De Thabor en Thabor …

par | 1 mars 2015

Frère Nicolas-Bernard Virlet

De Thabor en Thabor …

fr. Nicolas-Bernard Virlet, dominicain

Il est habituel de dire que le Thabor est un « haut lieu ». « Mais au fait, c’est quoi un haut lieu ? » Le vieux moine répondit : « C’est un lieu d’où on repart pour aller plus haut encore » : du Thabor au pied de la Croix, puis jusqu’au jardin de la Résurrection. Il n’y a pas de plus haut lieu sur terre, que chaque endroit, si modeste soit-il, où est célébrée l’Eucharistie. Un thabor, « temps fort », c’est un lieu de grâce particulière, qui éclaire, illumine la vie, qui porte un fruit et un fruit qui demeure en notre vie.

Sur le chemin qui nous conduit par sa Passion et sa mort jusqu’au matin éternel de sa Résurrection, Jésus nous fait faire une halte au Thabor, pour nous faire contempler de loin, par avance, avec la longue vue de la foi – que Pierre a proclamée six jours avant au nom du collège de tous les apôtres – sous le soleil de la charité qui transfigure toute chose, vers où nous allons : le rivage du visage de gloire du Fils bien-aimé du Père. Comme Jésus le fit déjà aux premiers jours de sa prédication en proclamant les Béatitudes au tout début de son grand Sermon sur la montagne, nous montrant ainsi en premier, de loin, vers où nous allons : le Mystère de la Joie éternelle, dessein de l’Amour de Dieu sur chacun (Mt 5,1-12). Puis, il nous indiquera par où nous y allons, en nous expliquant la Loi (Mt 5,19-7,29). Plan que reprendra St. Thomas d’Aquin dans la IIa IIae de la Somme théologique, traitant des actes humains.

Quelle est cette lumière qui transfigure toute personne qui l’accueille ? Elle est celle de l’Amour éternel du Père pour son Fils dans l’Esprit qui les unit : elle est celle qui va irradier le  visage de Jésus au Thabor, où est révélée aux trois apôtres présents la vocation de gloire de Jésus, Fils de Dieu, qui est celle d’être aimé de son Père et d’aimer son Père, de toute éternité.

C’est cette même lumière qui révèle sa raison d’être, son être profond, qui irradie et transfigure le visage du jeune qui a trouvé, dans la lumière des sacrements de l’Église, sa vocation, soit dans le mariage, soit dans la vie consacrée : vocation de toute personne, qui est d’aimer et d’être aimé, dans la lumière de l’Amour du Père et du Fils dans l’Esprit.

« Alors ils ne virent plus que Jésus seul avec eux » : ce que nous vivons à chaque Eucharistie, de Thabor en Thabor, où tous les plus grands retables, si beaux soient-ils, Moïse, Elie, Saint François-Xavier, anges et angelots s’effacent à la Consécration devant Jésus seul qui est réellement là, présent : n’ayant d’oreilles que pour sa seule parole, d’yeux que pour sa seule présence, c’est bien pour cela que nous sommes là ce matin. Et alors pour ne parler de toute chose que dans la lumière de la parole de Jésus seul, pour regarder toute personne, que dans la lumière du regard de Jésus seul : le seul Sauveur de tous les hommes.

Il faudra redescendre, si grande est la tentation d’y rester bien au chaud, entre apôtres, disciples convaincus, gardant Jésus pour nous seuls : « dressons trois tentes ... », « reste avec nous, car déjà le jour baisse … » Lc 24,29). Mais cette redescente est pour une remontée plus haute encore vers le pied de la Croix puis vers le jardin de la Résurrection : elle se fera avec cette lumière du visage du transfiguré dans notre cœur, qui est le seul vrai rivage de la barque de notre vie.

Cela se déroulait à la Renaissance. Après quelques jours de recherche, dans les bas fonds de sa ville, Léonard de Vinci qui voulait peindre le visage d’un homme marqué, défiguré, par la souffrance, par la misère, trouva son modèle qui accepta de le suivre dans son atelier. Chemin faisant, le miséreux dit au peintre : “Tu ne me reconnais pas ?” – ” Non, répondit Léonard de Vinci, et d’ailleurs, comment le pourrai-je ? je ne viens jamais dans la rue où tu vis et où je t’ai trouvé » Alors l’homme lui dit : « Il y a des années, tu cherchais le visage d’un jeune homme dont la beauté disait la gloire, la grandeur et la joie de l’humanité : c’était moi, tu m’avais fait poser dans ton atelier pour peindre Jésus en gloire.

Celui qui est transfiguré sera défiguré par le péché des hommes : mais il ressuscitera le troisième jour. Et « ce que vous avez fait au plus petit d’entre mes frères, défigurés, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25,40)

C’est la mémoire de ce visage du transfiguré contemplé au Thabor qui conduira Pierre, après son reniement, dans la nuit de l’épreuve, en croisant le regard de Jésus défiguré, portant le poids de toute la misère humaine, du péché des hommes, « qui n’avait plus figure humaine par la violence des hommes »(Is 52,14), à reconnaître, contempler, sous ses traits même défigurés, le visage de toute miséricorde, dans ce thabor de nuit, que seul Luc nous décrit à la Passion (Lc 22,61). Celui qui est manifesté par le Père dans l’Esprit, dans l’humilité du baptême au Jourdain (Mt 3,17), c’est le même qui est transfiguré et manifesté au Thabor dans la gloire : la gloire et l’humilité comme Amour et Vérité, sont inséparables en Dieu, s’embrassent, s’illuminent l’un l’autre

Dans les épreuves, par la Transfiguration, Dieu nous appelle à vivre dans l’action de la grâce des thabors qui jalonnent notre vie : savons-nous les relire, les cultiver, les garder dans notre cœur (Lc 2,19+51) ? Le jour de notre baptême, 1° communion, Confirmation, de notre première rencontre avec notre futur mari ou épouse, de notre mariage, de notre entrée au Noviciat, profession religieuse, ordination sacerdotale, la naissance de chaque enfant, tel pèlerinage, telle retraite, telle célébration, telle Eucharistie, tel sacrement du pardon, telle rencontre etc. autant de grâces qui nous ont accompagnés hier et qui nous accompagnerons demain, car le Seigneur est fidèle en grâce, car « Il est le même, hier, aujourd’hui et à jamais » (He 13,8) : mémoire, dans nos épreuves, des thabors en notre vie, qui tourne notre regard vers le Thabor de Pâque. Notre manque de mémoire des grâces de Dieu pour nous est in-gratitude qui éloigne de la grâce.

«Celui-ci est mon Fils Bien Aimé : écoutez-le, lui seul, regardez-le, lui seul, suivez-le, lui seul » : « votre vie en sera transfigurée dans les joies et les peines, dans l’Espérance, par son Amour sauveur ! »

fr. Nicolas-Bernard VIRLET o.p.

Frère Nicolas-Bernard Virlet

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