05/01/2014 – L’Épiphanie vue du ciel

par | 5 janvier 2014

Frère Thierry-Dominique Humbrecht

L’Épiphanie vue du ciel

Homélie du fr. Thierry-Dominique o.p , ce dimanche 5 janvier 2014

– Entendez-vous, ma commère, dit le Soleil, par toute la Voie lactée, ces bruissements ? On jase.

– Je les entends comme vous, répondit la Lune. Tout le monde en parle. Il n’y en a plus que pour elle. L’étoile ! L’étoile ! Elle accourt ! Elle repasse ! M’est avis que c’est beaucoup de bruit pour rien. Des étoiles, nous en avons vu d’autres. Surtout moi, de là où je suis. Si je puis me permettre, je suis plus loin de tout, alors que vous, maître Soleil, vous vous piquez d’être au centre.

– Laissons là cette querelle, dit le Soleil. Aujourd’hui, nous avons mieux à faire. Faudrait-il convoquer le Grand Conseil des planètes ? Sur cette étoile nouvelle, il faut statuer.

– Ce que j’en ai compris, dit la Lune, c’est que cette agitée est apparue ces temps-ci, et qu’elle file, légère et court vêtue, depuis l’Orient.

– Tout le monde vient d’Orient, bougonna le Soleil, nous n’avons à ce sujet de leçon à recevoir de personne. Pour ce qui est d’éclairer depuis l’Orient, j’y pourvois.

– Il y a autre chose, dit la Lune. L’étoile orientale s’est répandue en effets d’annonce. Elle prétend être chargée d’une mission. Les anneaux de Saturne me l’ont raconté : cette péronnelle ne fait que virevolter.

– Ah ! C’est une filante, dit le Soleil. Rien de neuf sous moi. Une friponne, une effrontée, qui va accrocher le cœur de Mars ou de Jupiter, et puis s’en ira comme elle est venue.

– Il y a autre chose, vous dis-je, continua la Lune. L’étoile annonce une nouvelle, elle se veut messagère. La nuit, quand vous dormez et que je le fais à moitié, je garde un œil ouvert. L’étoile venue d’Orient a attiré à elle des astronomes qui ne sont pas sans nous connaître, des hommes de science et de renom, mais qui se sont laissés séduire par cette petite chose.

– Et c’est une fille de quel âge ? dit le Soleil.

– Toute jeune, dit la Lune, et pourtant ancienne, selon ses dires. Elle prétend apporter Dieu au monde.

– Encore ? dit le Soleil. Dieu n’y est-il pas gravé depuis toujours ? Il ne crée qu’une fois, que je sache.

– Vous parlez sagement, dit la Lune, sauf qu’il serait bien inspiré de revoir son parc stellaire. Ni vous ni moi n’avons accepté de nous laisser ainsi humilier, au quatrième jour de la Création, lorsque nous fûmes déchus de notre rang divin. Tout le monde nous adorait comme des dieux. D’ailleurs certains ont continué, les uns du haut de leurs ziggourats à Babylone, et les autres au-delà des océans, avec ces cœurs humains arrachés au sommet des pyramides et que l’on vous offrait. Ah ! Le bon temps ! L’émotion des vraies religions ! Et lui, lui, nous a déclassés comme les lampadaires du ciel, même pas nommés, des lampadaires, pire que le menu peuple ! Les religions naturelles on pourtant du bon, les plus anciennes, celles auxquelles les hommes reviennent toujours lorsqu’ils refusent le Dieu qui crée tout, par son Verbe, pendant une semaine… Tant qu’on y est, pourquoi ne laisserait-il pas son propre cœur se fendre pour tous les autres, par esprit de sacrifice ?

– Et l’étoile ? interrompit le Soleil. Où est-elle à présent ? Quand je rayonne, on ne voit plus les astres, elle m’échappe ! Trop de splendeur m’encombre parfois.

– Elle s’est posée sur une masure, dit la Lune. Déjà alertée par les jappements des chiens du berger depuis une semaine, je suis restée dans les environs, l’air de rien, pour voir.

– Ce sont les mages qui m’inquiètent, dit le Soleil. Ils ne s’occupent plus de nous, pas même d’elle, l’étoile.

– Il y a autre chose, vous dis-je, dit la Lune. Ils adorent toujours, mais ils adorent, le croirez-vous, un petit d’homme.

– Quelle idée singulière ! dit le Soleil. Un moucheron eût mieux fait l’affaire.

– On n’adore pas un moucheron, dit la Lune, vos rayons vous aveuglent. C’est une affaire monarchique, mon instinct me le dicte. Un autre roi s’y intéresse, il s’agite, il bat la campagne, lui aussi cherche l’étoile, mais je ne suis pas sûre de ses raisons. Elles ont ce goût de sang qui ne me déplaît pas. Un roi ne s’inquièterait pas sans péril pour lui-même.

– Allons donc, dit le Soleil. Tous les rois se suffisent. Rien ne les trouble. Certains même osent se comparer à ma majesté. Je ferme les yeux sur cette impertinence car, pendant qu’ils se croient le sommet de l’univers, ils ne pensent plus à Dieu. J’ai tout fait pour qu’ils se mettent dans la tête que la politique est le centre de leur existence, et qu’après la vie il n’y a rien, et qu’après moi, le déluge.

– Assurément, dit la Lune, mais l’athéisme me va bien aussi. Vous, vous êtes massif, intermittent mais solaire. Vous donnez trop confiance, votre disque les rend heureux. Rebondi, vous nuisez. Moi, je me cache et me montre en même temps. Je répands l’amertume, le doute, je divise, j’inquiète, j’atomise sur tout le cosmos, façon néant. Aujourd’hui, c’est de moi que tout le monde raffole, plus que de vous.

– C’est bien possible, dit le Soleil. N’en faites pas trop, commère la Lune. Vous me devez la moitié de vous-même.

– Pas l’autre moitié, la moitié obscure, et c’est elle qui compte, dit la Lune. Mais regardez donc, maître Soleil : il s’en passe en bas. Les mages sont arrivés. Tout est descendu.

– Je vois l’or, dit le Soleil, je le frappe de mon éclat, il me répond du sien. C’est un roi.

– Je vois l’encens, dit la Lune, la fumée se montre mieux dans la pénombre. Le croiriez-vous ? C’est un dieu !

– Ne prenez pas cet air de dégoût, dit le Soleil. Je vois la myrrhe. Il mourra.

– Cette étoile qui fait son empressée a bien perdu son temps, dit la Lune.

– Différez vos soupirs d’aise, dit le Soleil. Restez comme vous êtes, princesse d’inquiétude. Des convois d’Orient, nous en avons vu passer d’aussi beaux. La reine de Saba aussi est venue pour un roi, en grand équipage et avec tous ses gens, même si ces Orientaux gonflent toujours leurs chiffres pour faire somptueux. Et le roi, c’était Salomon, rien moins ! Il est vrai que Salomon n’avait pas d’étoile. Celui-ci en a une. Comme si l’univers entier devait accueillir ce bébé.

– Renseignez-vous, dit la Lune. Des Soleils comme vous, il y en a beaucoup dans le cosmos, ne le prenez pas mal. En attendant, je reste aux aguets. S’il y a du nouveau, alors ce roi-ci instaure un avant et un après. Avant lui, les étoiles filent sans but connu ; après lui, elles savent où elles vont. Ce Dieu-là se veut le dernier, après lequel les autres dieux ne seront que répétition, régression, abandon.

– Je ne sais qu’en penser, dit le Soleil, je suspends mon jugement.

– Voilà bien une nouveauté ! dit la Lune. Je crains que cela ne fasse que commencer. Ne sentez-vous pas quelque chose de changé, déjà, partout ? Comme un avant-goût de manifestation, trop modeste pour n’être pas éclatant.

– Peut-être que oui, peut-être que non, dit le Soleil. Il en faut plus pour m’éblouir. Attendons, attendons. On n’a jamais vu un Dieu se faire homme et puis mourir, c’est au-delà du sens commun. Allons ! Je vous laisse jusqu’à ce soir, à présent il me faut briller sur toutes choses, pour rappeler à ceux d’en-dessous qui est le maître.

– Brillez, brillez tout votre soûl, dit la Lune. Mais, dans le doute, n’omettons pas de nous renseigner. Il monte de cette étable un je-ne-sais-quoi de clarté.

fr. Thierry-Dominique Humbrecht, op

Frère Thierry-Dominique Humbrecht

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