Rien d’autre que Toi, Seigneur!

par | 29 mai 2016

Fr Hughes-François Rovarino

« Rien d’autre que Toi, Seigneur ! » –
Fête du Corps et du Sang du Christ
 
Sans doute connaissez-vous cette image : Naples au XIIIème siècle, une chapelle, un homme en prière ; rien que de très courant, semblait-il. Tôt le matin, il priait à la chapelle Saint-Nicolas. Dominique de Caserta, le sacristain qui l’observait, le vit soudain en lévitation et en dialogue. Le religieux demandait inquiet, si ce qu’il avait écrit sur les mystères de la foi chrétienne était juste. Et le Crucifié répondit : « Tu as bien parlé de moiThomas, quelle sera ta récompense ? » Et la réponse ne se fit pas attendre : « Rien d’autre que Toi, Seigneur ! » Moment saisissant : on aurait aimé y être !
Heureusement, le crucifix napolitain parle encore, et nous pouvons lui répondre. S’il s’est adressé jadis à saint Thomas d’Aquin en prière, cet épisode passé ne cesse de manifester l’ampleur et la vérité de ce qui se livre aussi dans les célébrations chrétiennes.
Cette réponse n’est-ce pas celle que nous aussi voudrions toujours dire : « Rien d’autre que Toi, Seigneur ! » Cette réponse porterait-elle notre existence ? En la livrant, sommes-nous prêts à livrer notre vie ? En venant auprès du Seigneur à l’église, à la messe, ne devons-nous pas être dans cette réponse ? De même, pendant la prière eucharistique lors de l’élévation du Corps et du Sang du Seigneur ? Et encore lorsque nous avançons à la communion, portés par le désir, appelant sa bénédiction, nous nourrissant de sa présence : « Rien d’autre que Toi, Seigneur ! » N’est-il pas enthousiasmant de pouvoir être nous-mêmes tout entier dans ces mots ? Ils ne sont pas trop grands pour nous, sûrement pas ! Et l’on comprend alors dans la suite d’une telle rencontre qu’il y ait un recueillement, un silence de l’âme accueillant son Sauveur, son Seigneur.
Pensons à cette confidence de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face : « Ah ! qu’il fut doux le premier baiser de Jésus à mon âme !… Ce fut un baiser d’amour, je me sentais aimée et je disais aussi « je vous aime, je me donne à vous pour toujours ». Depuis longtemps Jésus et la pauvre petite Thérèse s’étaient regardés et compris (MA 35r°) “  Je me répétais sans cesse ces paroles de saint Paul : « ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus qui vit en moi ». Depuis cette communion, mon désir de recevoir le bon Jésus devint de plus en plus grand” » (MA 36r°).
Ne craignons pas de nous laisser emporter par le Seigneur vers ses propres rivages. Les circonstances de ces grandes heures peuvent nous paraître banales, habituelles ou trop discrètes. Pourtant Jésus a aussi aimé la pauvreté de Bethléem, l’humilité de Nazareth, la joie de Cana et la simplicité de Capharnaüm où il a demeuré. Car ce qui est en jeu est une réalité infinie.
            Mais nous comprendrons mieux la richesse de la présence eucharistique, en adoptant encore un autre point de vue, en recourant à une autre image, une parmi tant d’autres. Ainsi lorsque les novices dominicains vont recevoir l’habit de l’Ordre, le rite prévoit qu’ils sont allongés sur le sol, prosternés devant Dieu, le provincial les interroge ainsi : « Que demandez-vous ? » Monte alors du sol cette réponse : « La miséricorde de Dieu et la vôtre ». En de telles heures, si l’émotion nous étreint, en vérité une vie se joue, un cœur, un corps se livrent au Seigneur. L’habit reçu le manifestera quelques instants plus tard. Chacun, l’Ordre, l’Eglise se réjouissent de telles heures ; et combien il est bon de désirer les vivre !
Cependant, cette célébration si forte n’est pas une communion eucharistique. C’est dire l’originalité et la profondeur de cette présence du Christ dans ce sacrement. Par cette présence personnelle et sacramentelle Jésus vient nous rejoindre et accompagner, nous fortifier, nous consoler, nous intégrer de mieux en mieux à son Eglise, à son Corps.
Si l’eucharistie est discrète en sa forme, elle porte cependant la vérité d’une force incomparable : la force de la charité. « Devenez ce que vous recevez. » [s. Augustin, sermon 272]. L’Eglise continue la présence du Christ. « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde », promit Jésus avant son Ascension [Mt 28,20]. Cette présence vient ainsi à nous, avec son Corps eucharistique. Et le Corps du Christ, l’Eglise, s’étendra, se développera avec l’accueil du corps du Christ, ce sacrement. Ce Corps reçu pour s’en nourrir, n’est pas diminué. Multiplié, il nous rend de plus en plus « membres les uns des autres », comme l’écrira saint Paul [Rm.12,5]. Il nous rend acteur de la charité de Dieu, attentifs à tous avec lui, le Sauveur des hommes.
Alors l’Eglise Corps du Christ devient de plus en plus au sein de notre monde le signe de la réelle présence de Dieu. Elle appelle sans cesse à la conversion radicale et joyeuse ceux qui vont murmurer au Seigneur, les paroles de saint Thomas : « Rien d’autre que Toi, Seigneur ! Vis en moi, et que tes sentiments passent par moi, toujours. »

fr. Hugues-François Rovarino, op

Fr Hughes-François Rovarino

Fr Hughes-François Rovarino