L’amour seul fait de nous des chrétien

par | 2 mai 2010

Frère Pavel Syssoev

L’amour seul fait de nous des chrétiens
Homélie du fr Pavel SYSSOEV o.p. dimanche 2 mai 2010,
5ème dimanche du Temps pascal, année C, selon Jean, 13, 31-35
Je vous donne un commandement nouveau…
Judas quitte la communion apostolique, il sort dans la nuit, il manque l’essentiel – le commandement d’amour. Pourquoi Judas quitte-t-il ses confrères et son Seigneur ? Jésus ne serait-il plus assez zélé à ses yeux ? Ou pas assez pur ? Ou pas assez dur ? Peu importe. Il quitte Jésus et la communion apostolique – remarquez que cela revient strictement au même – il passe à côté du commandement d’amour.
Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres, comme je vous ai aimés ; vous aussi, aimez-vous les uns les autres. En quoi consiste la nouveauté de ce commandement ? N’était-il pas déjà dit dans la Loi : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur ! (Lv 19,18) ? Ce n’est pas l’amour qui est nouveau, c’est sa mesure, c’est sa source, c’est son mode. Sa mesure, car il ne s’agit plus d’aimer son prochain comme soi-même, mais comme Je vous ai aimés. Aimer à la mesure de Dieu-fait-homme qui au moment précis où ces paroles sont prononcées entre dans sa Passion volontaire, il dépose librement sa vie pour le salut du monde. Aimer non plus comme soi-même, mais à la mesure divine : plus que soi-même. Dieu s’est dépouillé de sa gloire pour prendre notre condition d’esclave ; il a nous a aimés jusqu’à la mort sur une Croix afin que nous vivions (Ph 2, 6-8).
La nouveauté de cet amour est aussi celle de sa source. Pour être efficace cet amour doit venir de plus loin, de plus profond que nous-mêmes. Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés – cela n’est pas possible si l’Amour de Dieu n’est pas répandu en nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous est donné (Rm 5, 5). C’est pourquoi ce commandement reste éternellement nouveau. Cette nouveauté est celle de Dieu lui-même, éternellement jeune, éternellement Vivant, créant les cieux nouveaux et la terre éternellement neuve. Son Esprit d’Amour nous donne part à sa nouveauté qui ne connait pas de déclin.
La nouveauté de ce commandement, c’est aussi le mode de cet amour. Dieu nous a aimés gratuitement, lorsque nous étions encore pécheurs (Rm 5, 8). L’amour du prochain qui exigerait des préalables n’est pas encore celui du Christ. Puis, Dieu nous a aimés efficacement : il ne s’est pas contenté d’éprouver de la bienveillance à notre égard, il a posé les actes. Il s’est incarné, il a souffert, il est mort, il est ressuscité pour notre gloire. L’amour n’est pas affaire des sentiments, mais des actes. C’est pour cela que le Seigneur en fait le commandement. Si nous attendons d’éprouver des sentiments de bienveillance avant de poser les actes, jamais nous ne sortirons de nous-mêmes, jamais nous n’aimerons à la manière du Christ.
Enfin, Dieu nous aime de façon droite : pour nous-mêmes, pas pour ce que nous pourrions lui donner. Ce n’est pas son bien qu’il cherche en mourant sur la Croix, c’est le nôtre. Lui, il ne manque de rien. Nous, de même, tant que nous aimerons nos proches uniquement pour ce qu’ils peuvent nous donner : plaisir, reconnaissance, compagnie, nous n’aurons pas encore découvert le motif le plus profond d’aimer. Aimer pour Dieu, aimer pour ce que le prochain est avant de l’aimer pour ce qu’il me donne – voilà la manière droite d’aimer selon Dieu.
Tout est aimable pour un cœur chrétien. Tout homme, toute réalité peut être aimée en Christ. Mais aucune réalité créée ne peut, ne doit remplacer le Christ. La famille, la nation, la chrétienté sont de bonnes choses, d’excellentes choses, tant qu’elles restent subordonnées au commandement d’amour. Mais lorsque la famille, la nation ou même la chrétienté sont adorées pour elles-mêmes, elles ne sont que des idoles et Dieu les exècre. Si elles ne sont plus habitées par l’amour du prochain, ces réalités se transforment en antichambre de l’enfer. La vie familiale sans l’amour venant de Dieu risque de se transformer en une farce tragique et hypocrite. L’amour de la Patrie, où l’abstrait passerait devant l’amour des personnes réelles, quelles qu’elles soient et d’où qu’elles viennent, se transforme en nationalisme qui vire au ridicule dans le meilleur des cas ou au monstrueux dans le cas des camps d’extermination. La chrétienté qui se prend pour une fin ultime, en méprisant les gens, n’est qu’une violation des consciences, une stagnation spirituelle, Dieu l’a en dégoût. Il ne faut pas être un fin théologien pour discerner une dérive : lorsque le mépris de l’autre remplace le commandement d’amour, nous quittons la doctrine du Christ, nous quittons la communion apostolique, nous devenons en tout semblables à Judas qui sort dans la nuit car il a préféré quelque chose au Christ. Peu importe ce qu’il a préféré : le zèle, la pureté, le messianisme national. Il sort dans la nuit, il n’a pas saisi où est la véritable gloire du Fils de l’homme.

fr. Pavel Syssoev, op

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