Donnez leur vous-mêmes à manger !

par | 8 juin 2010

Frère Antoine-Marie Berthaud

Fête Dieu

Dimanche 6 juin 2010, Bordeaux, couvent de la Vierge du Rosaire.

DONNEZ LEUR VOUS-MÊMES À MANGER !

Écoutez-moi bien les enfants ! Il était une fois une petite fille qui n’avait jamais été au catéchisme. Elle ne connaissait donc pas Jésus. Elle en avait parfois entendu parler par ses camarades qui se moquaient de lui. Bref, à 6 ans elle ignorait tout de la religion chrétienne. Ses grands-parents étaient très croyants. Mais les parents de l’enfant ne voulaient pas qu’ils lui parlent de Jésus. C’était comme çà !

Or voilà qu’un jour, elle vint à passer un week-end chez sa grand-mère. Celle-ci avait prévenu : vous nous confiez votre enfant mais sachez que nous l’emmènerons à la messe car il n’est pas question de la laisser seule à la maison dimanche matin. Les parents de la fillette avaient râlé sur le moment mais cela arrangeait finalement tout le monde.

Au moment de partir à la messe la grand-mère expliqua en quelques mots ce qu’est la messe car sinon la petite risquait bien de s’ennuyer comme tous ceux à qui on n’a rien appris sur le sujet.

« Tu sais, lui dit-elle, la messe est la plus grande et la plus belle prière qu’on puisse offrir à Dieu. C’est le moment où Jésus qui est Dieu donne sa vie et tout son amour pour que le monde soit sauvé par lui. Et tu verras bien, au moment le plus important, quand le prêtre, qui fait exactement ce qu’a fait Jésus, dira ceci est mon Corps livré pour vous, ce ne sera plus un morceau de pain tout rond mais le Corps de Jésus en vrai. Alors il l’élèvera au dessus de sa tête pour un court mais intense moment d’adoration. – Et qu’est-ce qu’on fait alors ? demande la petite. – Alors tu diras à Jésus que tu l’aimes de tout ton cœur. Et puis quand tu verras le prêtre qui prendra la coupe de vin en disant ceci est mon Sang versé pour vous, ce ne sera plus du vin mais le Sang précieux de Jésus en vrai, comme sur la Croix. Alors il élèvera le calice pour qu’on puisse le regarder et l’adorer. Et là encore tu pourras dire à Jésus combien tu l’aimes ! » La fillette avait bien compris.

Le moment venu, pendant la messe, l’enfant se mit à genoux comme sa grand-mère. Elle comprit que l’instant était important. Puis elle suivait le prêtre qui officiait comme à la place de Jésus, prêtant ses mains, sa bouche et son cœur, et tout lui-même à Dieu pour qu’arrive le salut du monde. Voyant ensuite le ministre élever la sainte hostie, elle se tourna vers la grand-mère et lui demanda à mi-voix : – C’est maintenant ? Je peux lui dire ? – Oui tu peux le faire. – (à pleine voix) Jésuuus, je t’aiaiaime !!!!!!!!!!!!!!!!!

Tout le monde fut saisi, impressionné par cet acte de charité hors du commun ! Les grands-parents sont devenus tout rouges… de bonheur !

Puis vint le moment du précieux Sang du Christ. Même chose : elle vit le calice s’élever au dessus des têtes et chuchota à sa grand-mère : – C’est maintenant, je peux ? » – Mais bien sûr ! – (à pleine voix) Jésuuus, je t’aiaiaime !!!!!!!!!!!!!!!!!

L’assemblée fut toute bouleversée et profondément émue dans sa foi en l’Eucharistie. Les grands-parents étaient heureux, libres et fiers de leur petite-fille ! Elle ne savait rien la veille et elle avait tout saisi le jour même.

La foi, frères et sœurs, et la foi en l’Eucharistie, la foi en la Présence réelle du Christ dans le Saint Sacrement ne montera jamais du cœur de l’homme. C’est une vérité qui vient de Dieu et de Dieu seul ! Elle ne viendra jamais d’une démonstration convaincante ni d’un effort de raisonnement, mais d’une annonce simple, directe et croyante et, bien sûr, d’une écoute confiante du cœur qui cherche Dieu. Comme est grand le mystère de la foi !! Et c’est à ce mystère fou, Anaïs et Théophane, que vous allez dans un instant communier ! Que Dieu nous garde dans la foi en un si grand mystère !

Je voudrais en ce mois de clôture de l’année sacerdotale revenir à la demande de Jésus à ses apôtres dans notre évangile : « donnez-leur vous-mêmes à manger ! ».

Le Maître confie donc à l’Église la mission de « nourrir » l’humanité, de donner à tout homme ce qui lui est indispensable pour vivre : le salut, Dieu lui-même !

C’est la raison d’être de l’Église et singulièrement de ses ministres, les prêtres. « L’Église, dira le Cardinal Journet, c’est le Christ continué ». Et cela se réalise de façon sublime à travers la célébration de l’Eucharistie. Le Concile Vatican II le rappellera : l’Eucharistie est la source et le sommet de la vie chrétienne !

Voilà pourquoi ce sacrement, le Saint Sacrement, sera nécessairement la source et le sommet de tous les actes et de la vie du prêtre. Il faut une véritable consécration qui le configure au Christ prêtre, pour que le prêtre puisse agir ainsi.

Par la tradition apostolique et l’onction de l’Esprit Saint, il va agir in persona Christi, en la personne du Christ. Le Concile insistera, in persona Christi Capitis, en la personne du Christ Tête, c’est-à-dire au nom du Christ-Tête en personne ! Le peuple des baptisés étant les membres de son Corps, mystique. C’est donc un pouvoir inouï, sacré, divin, que le Christ confère à ses disciples qu’il a mis à part pour ce service de la gloire de Dieu et du salut du monde.

Mais comment donc le prêtre peut-il agir en la Personne du Christ ?

Je dirai en premier : le prêtre fait agir le Christ. La formule est osée mais comprenons-la bien. Il s’agit de la dimension visible, humaine, nous dirions temporelle, du sacerdoce.

Le Seigneur Jésus s’est en effet rendu dépendant de l’action du prêtre. C’est l’agir de l’homme de Dieu qui fait agir la puissance d’amour du Christ, qui la rend effective et efficace. C’est la manière que Dieu a choisie : il a voulu passer par notre humanité pour nous sauver. Dieu s’est fait homme ! Dieu n’avait pas besoin de se faire homme pour sauver le monde : il est Dieu ! Mais c’est pour nous qu’il a choisi ce chemin d’humanité, ce chemin d’humilité. Et il veut opérer continuellement le salut du monde par le moyen de l’Eucharistie, par le moyen du pain et du vin qui sont ainsi consacrés. Quelle humilité ! Donnez-leur vous-mêmes à manger, en faisant cela en mémoire de moi !

Et c’est le Jeudi Saint, vous vous rappelez, que le Christ institue en même temps et le sacrifice expiatoire des péchés du monde et le sacerdoce nouveau qui continuera l’action du Christ sauveur en tout lieu et jusqu’à la fin des temps. Pas de prêtre sans la première et unique Eucharistie du Christ mais pas d’Eucharistie sans le prêtre, ministre indispensable institué par le Christ !

On peut dire ainsi que le prêtre par son pouvoir d’ordre commande à Dieu, comme au Christ, d’opérer ce que lui-même, le Christ, lui commande en le consacrant prêtre. De cette façon, le Christ opère seul le salut mais en rendant participante l’humanité sauvée. D’où l’émerveillement du saint Curé d’Ars : « Ah si le prêtre savait ce qu’il faisait, il en mourrait… d’amour ! » Jésus a donc voulu, par amour de nous, faire dépendre d’hommes d’Église sa puissance d’amour. L’Église « fait » ainsi l’Eucharistie grâce au prêtre.

Deuxième formule, je dirai : le Christ fait agir le prêtre. C’est la dimension première du sacerdoce, cette fois-ci au plan invisible, éternel, au plan divin.

C’est bien le Christ qui suscite et fait agir le prêtre : « Faites cela en mémoire de moi ! » « Donnez-leur vous-mêmes à manger »… Mais il y a plus. C’est l’Eucharistie qui fait le prêtre. Tout son être est ordonné à cette action sacrée suprême. Certes, nous l’avons dit, vivre l’Eucharistie est l’acte le plus élevé que puissent poser dans sa vie le baptisé et communautairement l’Église ! Mais au plus près, célébrer la messe est un acte qui façonne la vocation du prêtre jusqu’à son intime. Accomplir l’acte du Christ qui sauve le monde va impliquer l’homme de Dieu comme instrument.

Dans la célébration de la messe le prêtre devient bien instrument du salut que réalise le Christ. Quand le prêtre dit «  Ceci est mon corps… ceci est mon sang » ce n’est pas qu’un discours du passé, un mémorial, la mémoire d’un événement si grand soit-il, ni même uniquement un rituel qui réalise par la puissance de Dieu ce qu’il énonce. Non ! C’est en plus et surtout une parole vivante, une parole qui agit, une parole qui transperce le prêtre. Une parole divine qui l’engage, qui le consacre comme à nouveau, qui le renouvelle dans sa grâce d’agir en la Personne du Christ, qui le consume et qui, comme l’holocauste du Christ, le fait se sacrifier lui-même, par amour, pour le salut de tous les hommes ! Quelle grâce ! Quel don de Dieu immense dans un si petit cœur d’homme !

Un prêtre aîné m’avait dit lors de mon ordination : saches que chaque jour que tu diras « ceci est mon Corps livré pour vous » ce sera un peu de toi-même qui seras entre tes mains… « ceci est mon Sang versé pour vous » ce sera aussi un peu de ton sang, dans le calice !

Alors frères et sœurs, nous comprenons ce qu’est ce don du sacerdoce que Dieu fait à son Église et pour tous les baptisés, pour le monde et pour tous les hommes. Nous comprenons aussi pourquoi en cette année du sacerdoce, le prêtre est si rudement attaqué à cause des fautes inadmissibles de certains hommes d’Église. Comme s’il fallait douter de la sainteté de ce don inouï du prêtre ! C’est dire qu’à l’aune de la violence de ses attaques combien sont immenses la grandeur et la valeur du sacerdoce ! Et cela, même pour l’homme qui ignore Dieu ou le rejette !

Alors, émerveillés d’un tel cadeau de Dieu, demandons à la Vierge Marie, Mère des prêtres, d’être aux côtés de ses fils privilégiés, afin que dans les grandes épreuves du monde et de leur vie, ils puissent toujours entendre cette Bonne Mère leur susurrer à l’oreille : « Faites tout ce qu’il vous dira ». Et Jésus de leur dire, comme au premier soir du salut et comme au premier jour de leur ordination : « Enseignez toutes les nations », « pardonnez les péchés », et surtout par le Saint Sacrement, « donnez-leur vous-mêmes à manger »… pour la gloire de Dieu et le salut du monde ! Amen.

fr. Antoine-Marie Berthaud op

Frère Antoine-Marie Berthaud

Frère Antoine-Marie Berthaud