Du feu de Dieu …

par | 14 août 2016

Frère Nicolas-Bernard Virlet

Du feu de Dieu …

 

Jésus nous parle d’un feu sur la terre qu’il vient apporter. Quel est ce feu ? Si ce n’est celui de la charité, de la Passion d’amour de Dieu pour les hommes, de la Bonne Nouvelle de l’Evangile du salut, de l’Esprit de communion à son Père : feu de l’Esprit de lumière et de vérité, qui purifie et guérit, qui relève et ressuscite, qui seul donne la paix véritable. Feu qui réchauffe sans brûler, qui brûle sans consumer, qui purifie sans détruire, qui éclaire sans éblouir, qui illumine sans aveugler, que Moïse déjà contempla au Buisson ardent (Ex 3,1-6). Feu de la Bonne Nouvelle, dont la joie se répand, se multiplie en la partageant : suscitant l’embrasement du monde dont la bienheureuse Jeanne d’Aza eut la vision préfigurant la naissance de l’Ordre que son fils saint Dominique fondera : sous la figure d’un chien portant en sa bouche un bâton de bois embrasé, et qui parcourant le monde, répand ainsi le feu de l’Evangile.

Notre monde omni-médiatisé, nous-mêmes, nous avons inversement tant cette propension à répandre quotidiennement en boucle des tsunamis seulement de mauvaises nouvelles, étouffoirs du feu de la foi et de l’espérance dans le cœur des hommes, au lieu de porter et de partager à nos frères en priorité les vraies et bonnes nouvelles, dans la lumière de la Bonne Nouvelle du salut, comme la Vierge Marie pour Elizabeth à la Visitation (Lc 1,39-45), et de devenir serviteurs de la Bonne Nouvelle – non pas naïfs, paresseusement et dramatiquement optimistes et béatement aveugles – mais courageusement confiants en la victoire de l’amour sur la haine, tenant résolument la main de la petite fille Espérance.

 

Oui, «  Dis-moi quel est le feu que tu veux allumer autour de toi et je te dirai qui tu es ? » :

le feu du pyromane fratricide ? qui détruit l’autre et soi-même avec les allumettes de l’orgueil sous toutes ses formes : feu de la comparaison jalouse et stérile, de la médisance et de la calomnie aux frontières si incertaines …, de l’amertume et de la rancune, de la haine et de la violence.

ou le feu de paille d’une vie spirituelle sans lendemain, fondée sur le seul événementiel émotionnel, sans fidélité ecclésiale.

ou alors, le feu de l’Esprit d’Amour, qui  embrase durablement le cœur de l’homme ouvert au souffle de la charité de Dieu qui attise ce feu en nos vies : et qui donne sagesse et intelligence, conseil et force, connaissance et adoration, et la bonne crainte de Dieu (Is 11,2), joie et paix, patience et bonté, longanimité et mansuétude, fidélité à la grâce, douceur et tempérance (Ga 5,22-23), dans la foi et dans l’espérance.

 

Mais alors pour cela, pourquoi Jésus nous dit-il juste après : qu’il n’est pas venu apporter la paix mais la division … Contradiction ? Non. Il nous met simplement en garde : sa paix, son Royaume, ne sont pas de ce monde (Jn 14,27+18,36).

La paix que Jésus apporte n’est ni celle de l’intolérance qui conduit à la paix des cimetières, ni celle de la tolérance « bisou-nounours, où tout le monde il serait beau et gentil », qui n’est que pseudo-tolérance, qui, érigée en idéologie, devient intolérance et conduit aussi, même si c’est un peu plus tard, inéluctablement aux mêmes drames et tragédies. Entre l’intolérance orgueilleuse et rigide et la tolérance paresseuse et lâche, il y a l’œuvre de la Vérité qui nous a tant aimés.

La paix de Dieu qui est éternelle, est un travail artisanal divin toujours à construire, jour après jour, entre les peuples mais aussi dans notre entourage, voisinage, comme il nous le dit dans la béatitude « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,9) : béatitude qui n’est pas celle des pacifistes, installés dans leur petit confort consumériste égoïste, trouillard du combat spirituel où il faut aller jusqu’à donner sa vie à la suite de Jésus.

Cette paix ne peut se bâtir que dans la lumière de la vérité (Jn 3,21) qui seule rend libre (Jn 8,32), relève, recrée en l’amour qui l’anime : ces divisions dont Jésus parle, il  ne les apporte pas en plus, mais les révèle comme étant de fait latentes, déjà là depuis longtemps en nos vies personnelles et communautaires, familiales et prêtes à surgir, jusque parfois y exploser : nécessaire mise en lumière de nos divisions, nécessaire étape sur notre purification et transfiguration par le feu de l’Amour, reconnaissance de nos blessures, du mal que nous avons commis, accueillant le diagnostic de la maladie de l’âme qu’est notre péché, qui est oeuvre de vérité, humble sol incontournable de l’œuvre de guérison et de paix. Alors le bon médecin, notre Sauveur, par le remède du feu de son Amour peut nous en guérir, nous relever, nous réintroduire dans sa communion et sa paix éternelle. Ce qui est vrai de chacun personnellement, l’est aussi pour une société toute entière.

 

Depuis le premier jour où Dieu venait visiter Adam et Eve le soir, dans la paix de son dessein divin d’amour (Gn 3,8), jusqu’aux dernier jours, à la plénitude des temps, où l’ange dit au nom du Seigneur à la Vierge Marie à l’Annonciation « Ne crains pas », la paix soit avec toi (Lc 1,30), comme Jésus aux apôtres tout au long des trois ans de sa vie apostolique, jusqu’au matin de Pâque à ces mêmes apôtres qui l’avaient laissé tomber au moment de l’épreuve de la Croix, il leur dit et redit, il nous dit et redit : « la Paix soit avec vous » (Jn 20,19).

Sa parole en ce jour dans l’Evangile peut paraître à priori contradictoire avec toutes ses invitations du Prince de la Paix qui accompagnent toute l’histoire du salut dans la fidélité divine de son dessein de paix ? Mais elle ne l’est pas en vérité : elle n’est qu’une vive remarque de Jésus pour nous éviter, le plus sûrement possible, de nous égarer sur les faux chemins de la paix que le Mauvais nous présente dans nos combats spirituels, comme pour Jésus au désert, allant jusqu’à, rusé de chez rusé, à fausser même le sens de la parole de Dieu (Mt 4,6).

Alors présentons au Seigneur en chaque Eucharistie, l’offrande de notre vie de pauvres pécheurs, afin qu’il vienne par les braises fidèles de son pardon, du sacrement de sa miséricorde, l’embraser, la purifier, l’illuminer du feu de son amour, y réduisant à leur néant toutes nos divisions de piètres roitelets orgueilleux dans nos tours d’ivoire : transfigurant alors nos vies de misère par la lumière de son dessein d’amour et de paix, de joie éternels, qu’il porte sur chacun, hier, aujourd’hui et à jamais (He 13,8), depuis le premier jour (Gn 1,31) jusqu’au dernier soir – « Qu’ils aient en eux-mêmes ma joie en sa plénitude » (Jn 17,13) – et dont il nous fait les témoins depuis le jour de notre baptême.

fr. Nicolas-Bernard Virlet o.p.

Frère Nicolas-Bernard Virlet

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