En vue d’une vraie Pentecôte

par | 16 mai 2010

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En vue d’une vraie Pentecôte
Ou la petite  histoire de la patrouille du Castor
La patrouille du Castor avait tout préparé pour les feux de la saint Jean. Les sketchs étaient prêts. Chacun avait appris son rôle à la perfection. On avait même monté déjà l’immense tas de bois qui permettrait la magie du spectacle. Chacun avait apporté son fagot, et les branches des plus petites au plus grandes avaient été agencées scrupuleusement selon les règles les plus strictes, suivant les rites ancestraux transmis par le vieux Baden Powell lui-même. Tout était là. Le spectacle pouvait commencer. Mais alors que le CP s’apprêtait à allumer le feu, le petit Gustave avait oublié les allumettes. Ainsi les apôtres en ce dimanche après l’Ascension. Les voilà tout embêtés. Pourtant chacun connaît son rôle. Comme nous, ils savent tout, ils ont tout pour eux. Jésus a tout dit, tout fait jusqu’à sa dernière parole : « Allez, de toutes les nations faîtes des disciples ! » Et pourtant, comme on les comprend, les voilà sûrement tout éberlués, bien impuissants à réaliser une tâche si grande. Il ne leur reste plus qu’à prier comme Jésus leur a appris en se réunissant le dimanche. Comment, que faut-il dire ou faire ? Saint Jean, alors, leur répéta sans doute les paroles que nous venons d’entendre. Les paroles de Jésus dites juste avant sa passion, dans l’angoisse et la peur de la mort, les voilà appliquées à Jésus vivant dans la sérénité du ciel. Les mêmes, mais cette fois-ci sereines. Dans ce bonheur total, saturant, Jésus ne prie pas pour lui-même mais pour les autres. On est loin de la sérénité d’inspiration bouddhiste, de cette prière individuelle, de ces techniques spiritualistes, ésotériques ou bien philosophiques sans Dieu, sans visage, sans père, sans vérité qui vous laissent bien tranquille, seul avec vous-même, confortablement assis en lotus ou sur un canapé dont la sérénité consiste à vous faire oublier tout le reste.
Appliquées envers Dieu, les techniques Zen ou ces spiritualités de supermarché qui remplissent les librairies au rayon religieux, font de Dieu un bien consommable qui réalisera tous vos fantasmes ; elles vous laissent particulièrement seul, d’ailleurs, après avoir fait (terrible expression) le vide en vous.  C’est un peu comme au McDonald’s : « tu as envie d’y aller et puis quand tu sors tu te dis que tu as encore faim ». Ainsi celui qui cherche dans la prière un repos, une sérénité, une consolation, il veut de Dieu les dons sans Dieu lui-même. Dieu n’est plus Dieu. Il est instrumentalisé, et réduit à la condition d’un satellite de l’homme. La prière n’est plus cordiale elle est vénale. C’est la prière des diplomates. C’est une prière tortueuse, compliquée. On parle beaucoup, on évite de se regarder les yeux dans les yeux, on étudie ce que l’on dit, et on regarde tout ce que l’on fait, et surtout, il nous tarde que tout soit terminé. Alors que les hommes regardent aux apparences, Dieu lui scrute le cœur. « Tu aimes la vérité au fond du cœur ». Et, ajoute le psalmiste, « d’un cœur brisé et broyé tu n’as point de mépris »  car dans cette expérience douloureuse comprenez c’est la vérité qui pointe tout d’un coup le bout de son nez. La prière, la vraie, est sincère, elle dit ce qu’on a sur le cœur. La prière des diplomates au contraire est la prière des hypocrites. « Isaïe a bien parlé de vous, hypocrites, dit Jésus : « Ce peuple m’honore des lèvres mais son cœur est loin de moi. »
Pourquoi ? Sans doute parce que, comme tous les modernes (mais après tout c’est vrai depuis la faute originelle) l’homme a peur de Dieu. Soit qu’il se sente coupable, soit qu’il ait peur pour sa propre liberté et sa sacro-sainte autonomie, Dieu est devenu son concurrent. A l’inverse, regardez comme le Christ n’a pas peur, lui qui avait fait pourtant l’expérience de l’abandon de son Père, sur la croix. Il prie son Père. Il court vers Lui. Il l’embrasse. Il l’appelle Papa. Il demande son amour ! Il reconnaît que Dieu l’a aimé, avant même la création du monde. C’est magnifique ! Eh bien nous aussi, à l’occasion d’une retraite, d’un sacrement reçu dans la foi, ou même à l’occasion d’une prière tout d’un coup plus personnelle, notre cœur s’attendrira et nous sentirons naître en nous une vie totalement nouvelle. L’âme sera alors inondée d’une lumière nouvelle, dans laquelle Dieu se révèlera d’une manière nouvelle, en tant que Père. Le biographe de Sainte Catherine de Sienne, Raymond de Capoue, écrit qu’« elle arrivait difficilement au bout d’un Notre Père sans rentrer en extase. » Sans doute cette rencontre amoureuse nous demandera de sacrifier à quelque chose mais peu importe puisque l’amour de Dieu, un amour infini, nous aura envahi. Arrivé à ce stade, c’est l’union des volontés qui s’accomplira. Comme Jésus sur la croix, où se réalise un singulier accord des volontés. Alors, et c’est là la grande nouvelle : « Le père, nous dit Jésus, l’exauçait toujours car il faisait toujours ce qui plaisait au Père. » Voilà la loi de toute prière de demande, même des choses les plus matérielles : « Attendu que l’homme ne demande plus que ce que Dieu veut, il arrive alors que Dieu veuille tout ce que l’homme demande » ; autrement dit, depuis l’Ascension, Jésus est l’unique demande, l’unique intercesseur, et si nous voulons demander quelque chose nous devons d’abord revêtir les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus. Un frère franciscain qui avait vécu en Italie m’a raconté, un jour, l’histoire de cet enfant qui courait vers son église.
–          Pourquoi es tu si pressé ? lui demanda le frère étonné.
–          Parce que je vais me confesser
–          Et pourquoi veux-tu te confesser ? osa demander le frère.
–          Car je voudrai avoir le cœur pur, tout blanc, tout net, comme le cœur de la Vierge Marie.
–          Et pourquoi veux-tu un cœur comme la Vierge ?
–          Parce que j’ai un ami qui est malade et je voudrai demander sa guérison à saint Antoine.
Le frère n’a jamais revu l’enfant mais il m’a dit : « je suis sûr que cet enfant a été exaucé».
La prière de demande, l’unique, la seule, celle qu’on doit copier c’est celle de Jésus. Que demande-t-il ? L’Esprit Saint pour eux. Il demande un feu qui anime tout notre être. Ce feu ne nous fera pas seulement savoir mais sentir en vérité que nous sommes vraiment fils de Dieu. La prière n’est pas d’abord un faire ou un contenu à dire mais l’expression de tout notre être. L’Esprit ne nous donnera pas une loi de la prière mais une grâce de prière. L’Esprit créera en nous un être de prière. Il ne nous enseignera pas de l’extérieur en nous disant ce que nous devons faire mais il le fera avec nous. Ce n’est plus moi qui prie mais c’est l’Esprit qui prie en moi, aurait pu dire saint Paul. Voyez comme nous en sommes loin et combien il nous faut demander ce don. Et Jésus le sait bien. Jésus ne se ment pas. Il voit combien son Église a besoin de ce feu. Sa prière n’est pas là pour se cacher derrière les apparences. Jésus le sait, il nous manque quelque chose. Il sait que nous ne sommes pas vraiment unis et combien il nous est difficile d’être vraiment nous-mêmes tout en aimant réellement ceux que nous aimons ou devrions aimer.  Jusqu’au bout, Jésus aura une prière vraie, lucide, sincère. Ce qui importe le plus dans la prière c’est ce que notre cœur désire, ce que nous sommes en réalité au moment même où nous prions. Si nous ne possédons pas l’Esprit, pas la peine de faire comme si nous étions une petite Sainte Catherine. Si nous ne connaissons pas les réponses au mystère la vie et en particulier face à la souffrance, pas la peine de faire comme si nous étions des sages qui aurions tout compris d’avance. Ainsi Jésus au moment de sa passion adresse au père un pathétique « Pourquoi ? Pourquoi m’as-tu abandonné ? » Ainsi Marie devant l’incroyable promesse de l’ange risqua la seule question qui vaille : « Mais comment est-ce possible ? » Leur bouche murmurait contre Dieu mais leur cœur était sûr d’avoir une réponse.  Ces cœurs sincères, pauvres, mendiants mais confiants  sont alors disponibles au Don de Dieu.

La patrouille du Castor vit alors passer une jeune fille qui portait des loupes en guise de lunettes. Et comme il y avait tout de même un peu de soleil, on fit venir la jeune fille pour prêter ses lunettes. Ainsi les apôtres se réunirent autour de la Vierge Marie qui comme une loupe attirait sur elles les grâces de l’Esprit Saint. On l’entendit alors murmurer : « Que tout se passe pour moi selon ta parole ». Alors l’ange la quitta.

fr. Paul-Marie Cathelinais, op

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frère Paul Marie Cathelinais