« Il m’aveuse et je l’aveuse »

par | 18 avril 2010

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« Il m’aveuse et je l’aveuse »
Voici que le matin de Pâques, au jardin, Jésus vint à la rencontre de Marie Madeleine et de l’autre Marie, et leur dit : « Soyez sans crainte, allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront. » (Mt 28, 8-10).
C’est en Galilée qu’ils me verront. Les apôtres, fidèles à cette demande, y sont allés. Ils sont allés pour le voir. Souvenez-vous de la première rencontre du Christ et de Pierre dans l’Évangile de Jean (Jn 1, 42). André (l’un des deux disciples qui avaient entendu Jean Baptiste et qui avaient suivi Jésus) amena Pierre, son frère, à Jésus. Jésus posa son regard sur lui et dit : « Tu es Simon, fils de Jean ; tu t’appelleras Képha », ce qui veut dire : pierre  (…). Le lendemain, Jésus voit Nathanaël venir à lui et il déclare : « Voici un véritable fils d’Israël » Nathanaël lui demande : « Comment me connais-tu ? » Jésus lui répond : « Avant que Philippe te parle, quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu. » (Jn 1, 48).
Jésus, dans une première rencontre, regarde Simon-Pierre, Nathanaël et les autres disciples. Ils le regardent. Et tout s’accomplit. Le Christ éclaire leurs yeux et ouvre leurs cœurs au mystère. Comme dirait le paysan au curé d’Ars : « je l’avise et il m’avise ». Dans le patois original « j’aveuse et il m’aveuse » garde le sens de regarder sachant ce qu’il y a dedans, comme dans le regard du paysan sur sa terre (Abbé B. Nodet, La vie du Curé d’Ars racontée par ceux qui l’ont connu, Lyon, Mappus 1978). Ainsi, quand Jésus « aveuse », et quand on se laisse « aveuser », on est découverts, retournés, bouleversés, et on revient à l’état gracié des origines. Jésus pose son regard, confère la grâce et investit l’homme d’une mission.
Cette nuit là, en Galilée, au bord du lac il y avait Simon-Pierre, Nathanaël et d’autres disciples. Il fallait bien faire quelque chose en attendant de voir Jésus. Simon-Pierre dit aux autres disciples : « Je m’en vais à la pêche. » Et ils lui répondirent : « Nous allons avec toi ».
Or voici que sur la rive, quelqu’un se tient et les appelle. Il n’est pas encore question de voir : d’abord ils entendent une demande, puis un ordre et ils sont témoins, ensuite, d’un miracle. Alors, le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : « C’est le Seigneur ! »  
 
En débarquant sur le rivage, ils voient un feu de braise avec du poisson posé dessus, et du pain.
Ils voient le feu et dans la splendeur de ce feu ils reconnaissent Celui qui est vivant.
« Je suis venu apporter un feu sur la terre, avait-il dit, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » (Lc 12,49). Ce jour nouveau est arrivé. Le jour du regard nouveau, du regard pascal, du regard « qui saute par dessus » les apparences et qui perce le mystère. Les disciples d’Emmaüs reconnurent le Christ à la fraction du pain et ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en nous quand il nous parlait des Écritures ? » (Lc 24, 32).
Le feu qui jaillit du tombeau la nuit de Pâques incendie au petit matin le jardin, le cœur des femmes, le cénacle, Jérusalem, la Galilée des nations et le monde entier.
Nous portâmes dans nos mains ce feu de Pâques qui alluma nos cierges. Au milieu de la nuit, le feu se fit entendre et couvrit de sa joie les hurlements du monde, sa langue de bois et même le « politiquement correct ». Cette nuit là ce feu éclaira l’autel où, tournés vers le Ressuscité, nous avons chanté « Nous proclamons ta mort Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire ». Cette nuit là nous avons entendu les exploits du Seigneur pour son peuple, et nous avons renouvelé notre baptême, et notre cœur de bois sec est devenu braise au contact du corps du Christ.
En débarquant sur le rivage, ils voient un feu de braise avec du poisson posé dessus, et du pain.
Ce feu nouveau et cette nourriture nouvelle donnent place à une nouvelle rencontre. La rencontre de Jésus et de Pierre se renouvelle. Quand ils eurent déjeuné, par trois fois Jésus demande à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? ». Par trois fois, avant le chant du coq, Pierre avait renié. Ce matin Jésus le regarde à nouveau et l’invite à tourner son cœur vers lui. Ce retour qui avait déjà commence le jour de la passion, se manifeste dans la barque. Pierre, nu comme Adam, s’habille à la voix de son Dieu, dit Pierre Chrysologue (Sermon pour le 3° dimanche de Pâques, In Lectionnaire patristique dominicain, J-R Bouchet, Cerf 1994, p. 217). Mais il se jette à l’eau pour aller sans peur vers lui. Il se lance dans les eaux du baptême de conversion et court vers ce feu qui le relève et le renouvelle.
Nous aussi, nous avons couru vers le feu pascal, nous entrâmes dans la nuit, conduits par le feu du saint Cierge, et nous traversâmes la nef de l’église comme s’il s’agissait de traverser les âges et l’histoire. Et nous avons vaincu. Nous avons été, comme Pierre, rétablis dans l’amitié avec le Christ, au prix de son sang. Mais aussi au prix d’une mort que nous devons traverser. Il nous faudra bien nous lancer à l’eau et nager vers le rivage où il nous attend. L’Ami est là, son feu, son vin, la douceur du vêtement nouveau, qui sent si bon, parce qu’il a enveloppé le Corps du ressuscité.
Le Christ revêt Pierre à nouveau et l’enveloppe de sa grâce et de sa mission : le feu l’enflamme à nouveau, la flamme déposée dans son cœur brûle désormais dans un cœur de pasteur. Et cette flamme se transmettra sans faille, infailliblement, vers la lignée de ses successeurs : la foi de Pierre subsiste et brûle le cœur de ceux qui portent la lourde charge de bergers du troupeau. Merveilleux feu du bord du lac qui continue à brûler dans l’Église !
Le pardon de Jésus relève Pierre. Jésus lui dit : « Suis-moi ! » (Jn 21, 19). Suis-moi jusqu’au bout du monde :
– Là où je suis monté, tu monteras : la croix.
– Là où je ne suis pas encore allé, tu iras : la mission.
– Là où tu seras, j’y serai, et là sera mon épouse : la promesse.  « Ubi Petrus, ibi Ecclesia » = «  Là où se trouve Pierre, là se trouve l’Église », dit saint Ambroise (Ambroise de Milan, Commentaire des Psaumes, 40, 30, In Patrologie Latine 14, 1134).
Cet appel particulier du Christ à Pierre s’adresse, en se déclinant de mille manières, à nous tous. Chacun de nous est appelé à tenir dans sa main et sur son cœur le feu de Pâques. Nous sommes lumière dans un monde qui s’est rassasié de ténèbres. Elles vaincront si dans notre cœur ne brûle pas ce feu qui, un matin sur le lac, brûla dans le cœur des apôtres. L’Église, malgré le péché des baptisés, brûle du feu pur et éternel qu’est l’amour du Christ. Il brûle dans son cœur, il est la source vive de sa foi, de la foi qui nous fait dire : Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime ! Peut être pas bien, mais tu sais, quand même, que je t’aime.
Tourne, Seigneur, tes yeux vers tes enfants et, sur le rivage, donne-nous ton feu, donne-nous ton pain. Amen.

fr. Jean-Ariel Bauza-Salinas, op

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frère Jean-Ariel Bauzas-Saulinas, op