Marie et le mystère de la féminité – fr. Joël-Marie Boudaroua op

par | 20 décembre 2009

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Marie et le Mystère de la féminité

(Homélie du fr. Joël Boudaroua, le 20 décembre 2009, 4ème Dimanche de l’Avent, sur Luc 1, 39-45 )

Tu es bénie entre toutes les femmes. Chaque fois que nous disons notre Je vous salue, nous répétons les paroles d’Elisabeth au moment de la Visitation : Tu es bénie entre toutes les femmes…comme nous répétons, ou balbutions plutôt, les paroles de l’ange de l’Annonciation : Tu es pleine de grâce. Aujourd’hui nous pourrions nous arrêter sur ce que signifie « être bénie entre toutes les femmes ».

Tout au long de l’ancienne alliance, la mission de Marie a été préparée par celle d’autres femmes : il y a Eve, témoin du commencement biblique dans lequel sont contenues la vérité sur la création de l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu et la vérité sur le péché originel ; il y a Sara qui conçoit un fils malgré son grand âge, en vertu de la promesse ; il y a Anne, la mère de Samuel, Débora, Ruth, Judith et Esther, et beaucoup d’autres femmes qui se révèlent spécialement quand les hommes défaillent, quand ils ne brillent pas par leur courage et leur vertu…Et il y a Marie, choisie par Dieu pour être la Mère du Sauveur et qui, à ce titre, occupe la première place parmi ces saintes femmes de la Bible qui espèrent et reçoivent le salut de Dieu avec confiance…Au sommet de l’histoire humaine sur la terre, Marie est le témoin du nouveau commencement et de la création  nouvelle.

Elle est donc bénie entre toutes les femmes parce que c’est vers elle que converge toutes ces générations de femmes qui l’ont précédée dans l’élection ; elle est bénie entre toutes les femmes parce qu’elle apparaît au moment précis où s’accomplit l’événement qui détermine la plénitude des temps, l’événement clé dans l’histoire du salut, l’Incarnation qui se réalise par elle et en elle ; elle est bénie entre toutes les femmes parce qu’elle est celle qui ordonne toute l’anthropologie de la femme, celle en qui la relation de la femme avec Dieu atteint son apogée, sa plus belle réalisation. Elle est « la femme dans la grâce enfin restituée » qui émerveillait Paul Claudel, « la créature dans son honneur premier et dans son épanouissement final, telle qu’elle est sortie de Dieu au matin de sa splendeur originale, l’Eden de l’ancienne tendresse oubliée »[1] ou encore, comme l’a écrit un jour le pape Jean-Paul II, « la plus haute expression du génie féminin »[2].

Marie, « plus haute expression du génie féminin », c’est le plus bel éloge qu’un pape, un homme ait adressé à une femme et à travers elle à toutes les femmes… « La force morale de la femme, écrivait Jean-Paul II, sa force spirituelle, réside dans la conscience du fait que Dieu lui confie l’homme. Naturellement, Dieu confie tout homme à tous et à chacun. Mais, cela concerne la femme d’une façon spécifique – précisément en raison de sa féminité – et cela détermine en particulier sa vocation. […] La femme est forte par la conscience de ce qui lui est confié, forte du fait que Dieu lui confie l’homme, toujours et de quelque manière que ce soit »[3].

Avons-nous jamais pensé cela ? Nous pensons plutôt que c’est la femme qui est  confiée à l’homme, soumise à lui, protégée par lui. Mais Dieu ne pense pas comme nous : trouvant la femme plus forte de ressources morales et spirituelles que l’homme, il lui confie le soin de l’homme, la protection de la vie, la sauvegarde de la création, le destin de l’humanité, précisément en raison de sa féminité, de son ouverture à la transcendance.

Mais aujourd’hui cette vocation est étouffée, hélas. Toute l’intelligentsia post-moderne, enquêtes sociologiques à l’appui, fait chorus pour nous dire qu’il n’y a pas d’éternel féminin, qu’il n’y a pas d’instinct maternel, qu’il n’y pas d’essence de la féminité, que tout cela ne fait que maintenir la femme dans le statut subalterne, infrahumain de la vierge ou de la mère.

Il faut prendre ces critiques au sérieux parce qu’au nom de ces soi-disant valeurs féminines éternelles, on a longtemps exploitées, marginalisée, sacrifiées les femmes et Jean-Paul II le rappelait lui-même : il ne suffit pas de dire merci aux femmes pour tout ce qu’elles sont et pour tout ce qu’elles font si l’on ne reconnaît pas, pour les dénoncer, les très forts conditionnements qui ont empêché la femme d’être totalement elle-même, d’être reconnue dans sa dignité et dans ses prérogatives. C’est l’humanité entière qui s’est ainsi privée d’authentiques richesses spirituelles[4].

Je ne vais pas détailler ces richesses propres à la féminité et d’ailleurs il n’est pas sûr qu’elles existent exclusivement chez les femmes. Les qualités masculines et féminines se trouvent dans chaque personne ; dans chaque être humain, homme ou femme, on trouve de la douceur, de la patience, de l’accueil, de la tendresse, de la générosité, de la compassion, de l’intuition, de la rigueur mais il se trouve que c’est plutôt la femme qui a conservé ce qu’on appelle « les valeurs fondamentales d’humanité » qui, peu à peu, se sont effacées du monde masculin, un monde qui reste, quoiqu’on en dise, un monde dur, un monde où l’intelligence raisonneuse s’est voulue exclusive. Un monde, par ailleurs, sur lequel beaucoup de femmes se penchent avec convoitise, pas pour les raisons qu’on imagine, mais pour accéder aux mêmes fonctions, aux mêmes responsabilités, aux mêmes carrières que les hommes, jusqu’à devenir semblables à eux et y perdre un peu de leur âme.

Mais une fois qu’elles ont reconquis leur féminité toute entière, dans ces mêmes fonctions, dans ces mêmes responsabilités, dans ses mêmes carrières, elles peuvent aider l’homme à découvrir le sens intégral de son humanité, elles peuvent aider nos sociétés, masculines et techniciennes et comme par hasard matérialistes et sécularisées, à prendre le chemin d’un vrai humanisme, d’un humanisme qui prend en compte le développement humain intégral dans la vérité et dans la charité. C’est cela leur véritable vocation, telle que l’Eglise essai de la traduire pour notre temps.

On en conviendra, cela fait beaucoup pour la femme, beaucoup de responsabilité…et comme si cela ne suffisait pas Dieu lui demande encore autre chose : révéler à l’homme sa propre vocation à le connaître et à l’aimer, car ce n’est qu’à travers le mystère de la femme que l’homme accède au mystère de Dieu. L’homme est par-lui même incapable de Dieu, Dieu reste toujours pour lui un rival et l’homme ne le découvre vraiment comme son Sauveur que s’il prend le chemin ouvert devant lui par le mystère de la femme. Prouhèze apporte Dieu à Rodrigue et ce dernier prend conscience du pouvoir de la femme : « de ce déliement, dit-il, de cette délivrance mystique nous savons que nous sommes par nous-mêmes incapables et de là ce pouvoir sur nous de la femme pareil à celui de la Grâce »[5].

Porter Dieu et l’apporter à l’homme a été la grâce de Marie. Rendre l’homme sensible à Dieu sera la grâce des femmes chrétiennes. Et l’homme le sait : il ne devient lui-même, il ne devient ce qu’il est que s’il s’ouvre au Dieu porté par Marie, que s’il accueille le Dieu de la femme, que s’il se convertit comme Clovis au Dieu de Clothilde.

[1]«  La Vierge à midi », dans Poëmes de guerre (1915)

[2]Lettre du pape Jean-Paul II aux femmes (29 juin 1995) § 10

[3]Lettre apostolique Mulieris dignitatem  sur la dignité et la vocation de la femme à l’occasion de l’année mariale, 1988, § 30.

[4]Lettre aux femmes, § 3.

[5]P. Claudel, Le Soulier de Satin (autour de 1923), 3ème journée, scène XIII.

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