Épître à Théophile – fr. David Macaire op

par | 24 janvier 2010

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Epître à Théophile

 (Homélie du Fr David Macaire o..p. pour le 3° Dimanche ordinaire de l’année C  selon (Luc 1. 1-4 ; 4, 14-21)

Mon cher Théophile

Comment va ton âme? Le temps est passé depuis l’époque, où Luc l’évangéliste t’adressait sa première lettre et composait pour toi le premier récit des événements qui se sont déroulés en Palestine lorsque le fils de Dieu s’est fait chair dans le sein de la Vierge de Nazareth, lorsqu’il a grandi à Nazareth dans sa sainte famille entouré de toute une parenté bien humaine; lorsqu’il a vécu parmi les hommes et passé parmi eux en faisant le bien, proclamant la bonne nouvelle aux pauvres et la libération aux captifs, guérissant les malades et ressuscitant les morts…

Le temps est passé n’est-ce pas Théophile? Et il te semble bien loin le moment où les méchants se sont saisis de lui, alors que ses amis l’abandonnaient, l’ont conspué, frappé, mis à mort, transpercé.

Ces souvenirs terribles mon cher Théophile ne sont peut-être chez toi plus aussi vifs. C’est normal, car toi tu n’étais pas là. C’est pour toi une histoire qu’on t’a raconté, une histoire forte, triste, terrible, mais tu n’y étais pas. Tu n’étais pas là non plus lorsqu’Il est sorti du tombeau au matin de Pâques. Et comme tu n’étais à l’époque ni apôtre, ni disciple, tu n’as pas vu le Ressuscité! Toi tu n’as vu que ses disciples, bien plus tard et tu as entendu leur témoignage, tu as lu leur récit…

Théophile tu as lu!

C’est bien là ton vrai, ton grand et ton premier charisme Théophile, certains sont apôtres d’autres sont prophètes, d’autres sont docteurs, certains font des miracles, il y en a qui ont des dons de guérisons, ceux qui parlent en langues et ceux qui interprètent... Mais toi, Théophile, tu es avant tout un Lecteur. C’est-à-dire celui qui reçoit dans l’Esprit-Saint ce qui a été écrit pour lui dans l’Esprit-Saint.

Tu es lecteur! C’est important Théophile! Ce n’est pas rien!

Un Lecteur commence par recevoir la Parole par l’Écriture. Comme ces hébreux qui n’avaient jamais lu la loi ni le récit des merveilles que le Seigneur avait accomplies au temps de jadis. Bien décidés à changer leur vie et à se conformer aux préceptes divins, ils écoutaient avec des larmes du matin jusqu’à midi la lecture du prêtre Esdras et l’enseignement des lévites et du prophète Néhémie!

Un Lecteur prend le livre et l’ouvre comme Jésus dans la synagogue de Nazareth et il lit non seulement pour lui-même mais aussi pour les autres. Comme un lecteur CD ou plutôt DVD qui restitue par la parole et par l’exemple « avec le son et l’image » sur l’écran de sa vie ce qu’il lit dans l’Esprit-Saint

Lecteur tu étais Théophile au temps de Luc, lecteur tu es aujourd’hui encore.

Te rappelles-tu combien ton cœur était tout brûlant quand on te faisait pour la première fois le récit des événements du salut? Comme les disciples au cénacle avec Marie tu recevais l’Esprit-Saint qui ouvrait ton cœur à l’intelligence des Écritures. Ce jour-là Théophile, le salut de Dieu est entré dans ta vie comme pour l’eunuque de la reine de Candace lisant le prophète Isaïe et écoutant les explications du diacre Philippe, comme le centurion Corneille et sa famille lorsque Pierre témoignait du Christ, tu as ressenti que le salut descendait dans ton cœur.

Mais eux aussi, comme toi aujourd’hui, n’ont pas été témoins oculaires des événements qui ont changé leur vie! Ils ont lu, ils ont écouté, cela suffisait!

Ce qui se passait (peut-être ne l’as tu pas compris alors), c’est que, par le moyen de la Lecture sainte, l’Esprit-Saint te donnait de vivre les événements avec la même intensité que ceux qui en furent les témoins oculaires. Tu recevais, Théophile, en te nourrissant de l’Écriture les mêmes grâces, les même révélations, que ceux qui te les ont raconté!

En lisant, tu as non seulement entendu l’enseignement des saints prophètes, mais tu t’es retrouvé dans la maison de Marie pour entendre la salutation de l’ange Gabriel, tu as entendu le Magnificat, tu étais à la crèche avec les bergers au soir de Noël.

Par la lecture des saintes Écritures Théophile comme à André, le maître t’a dit « viens et vois » sur les bords du Jourdain, il est entré chez toi comme il est entré chez Zachée, sur tes chemins de Damas, Théophile quand tu t’éloignais de lui, il est venu t’éblouir avec Saul, pour faire de toi son témoin au milieu des nations!

Mais aujourd’hui, Théophile, comment va ton âme? Te serais-tu habitué, comme ces enfants gavés de dessins animés japonais qui, ayant déjà tellement entendu l’histoire du petit chaperon rouge, ne tremblent plus lorsque la petite fille demande au loup déguisé en mère-grand pourquoi il a de grandes dents!

Théophile, « Ami de Dieu », disciple bien-aimé, lecteur, scrutateur des saintes lettres qu’as-tu fait de ta Bible? Toi qui as tout connu dans les saintes Écritures et qui, par elles, a connu tout (peut-être plus que les témoins de l’époque qui n’avaient pas accès à tous les enseignements et tous les moyens dont tu disposes aujourd’hui, qui n’avaient ni la Bible complète, ni les enseignements du magistère, ni la liturgie, ni les média… et même pas de Dominicains pour prêcher la Parole de Dieu), qu’as tu fait du trésor des Sainte-Écriture? Pleures-tu quand tu lis les récits où sont révélées les infinies miséricorde et bonté de ton Dieu? Pousses-tu des cris de joie lorsque la lecture proclame devant toi les merveilles que le Seigneur a faites?  Est-ce encore ta nourriture ou préfères-tu les raisonnements creux d’une vaine et orgueilleuse philosophie? Te laisses-tu aujourd’hui transformer radicalement par la Parole de Dieu et l’enseignement de l’Église?

Te serais-tu assagi? Assagi à la manière des hommes, (j’entends par «  être sage », ne pas faire de vague, traverser dans les clous et ne pas se faire remarquer).

Il faut dire que trente ans de pastorale couleur muraille, où même ton curé et les théologiens qui t’ont donné l’exemple d’une certaine distance avec la Révélation Biblique ont peut-être eu raison de ton enthousiasme, de ta fougue, de ta rigueur face au compromis du monde. Depuis le siècle des lumières, une pollution franc-maçonne de la culture t’a fait croire que tu serais bien sot de réagir comme au premier temps de ta conversion. Laisse donc cela pour les pauvres haïtiens face à la catastrophe naturelle! Mais toi Théophile, tu es maintenant « intelligent » et tu as pris des distances avec le tout ça. Tu sais des choses Théophile, elles ne te disent pas la vérité, mais qu’importe tu te sens tellement plus libre.

En fait Théophile, tu as vieilli!

Sous prétexte de nos pas être un exubérant « dévisseur d’ampoule », (comme si la ferveur et les charismes était réservés aux « charismatiques ») on ne te voit plus prier

Sous prétexte de vivre une religion plus intérieure et moins affective tu as enterré profondément ta ferveur,

Sous prétexte de vivre une religion plus ouverte tu  as perdu ton latin (au sens propre comme au sens figuré) et tu ne te mets plus à genou devant le Saint Sacrement.

Félicitation tu n’as rien de ce croyant simplet qui  ouvrit un jour sa Bible et alla se pendre parce qu’après avoir lu le récit de la pendaison de Judas, il ouvrit à nouveau sa Bible et vit « va et fais de même »! Mais tu n’es pas non plus celui qui après avoir lu, accepte de prendre sa croix, de vendre tout ce qu’il possède pour se mettre à la suite du Christ dans son corps qui est l’Église ou de couper sa main droite si elle l’entraîne au péché…

Théophile la Parole de Dieu -le Verbe éternel- s’est abaissée dans l’Écriture pour se donner à toi en tout temps et en tout lieu.

J’ai bien peur que la parole de Dieu ne soit devenue chez toi une Bible poussiéreuse!

Je ne sais même pas si tu t’appelles encore Théophile.

Cependant si tu veux encore l’être, si tu te reconnais dans ce beau vocable, alors écoute bien, chaque jour, avec les oreilles de ton cœur, l’enseignement de ton Seigneur dans la synagogue de Nazareth: Aujourd’hui l’Écriture s’accomplit à tes oreilles!

fr. David Macaire op

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Frère dominicain