Fr. Thomas d’Aquin, le Vivant

par | 28 janvier 2015

Frère Pavel Syssoev

S. Thomas d’Aquin
homélie prononcée aux Jacobins de Toulouse
Et pour eux je me consacre moi-même,
afin qu’ils soient, eux aussi, consacrés par la vérité…(Jn 17, 19)
Maître Thomas devait être canonisé. Lors de son procès, un religieux de Fossanova, ce monastère où Thomas était venu mourir, vois dans une vision nocturne une grande procession de dominicains qui emplissent le chœur de son église. Au centre – notre frère d’Aquin vêtu comme pour célébrer la messe. Étonne de cette intrusion liturgique, notre visionnaire lui demande la raison de cette nouvelle venue au monastère. « J’ai entendu, dit celui-ci, que le souverain pontife fait enquête sur mes actes, c’est pourquoi je suis venu ». Le moine, dans son songe, lui répond : « Il est vrai que vous devez être canonisé, mais votre frère, Pierre de Vérone n’a pas été canonisé avant d’être mort, et vous, vous êtes encore vivant ! » Et Thomas de rétorquer : « Mon fils, personne ne peut être canonisé sans être vivant. Frère Pierre de Vérone vit et c’est ainsi qu’il est canonisé ».[1]
Pour être canonisé il faut donc être vivant. Voire même, seul celui qui vit pour de vrai, pleinement, est digne d’être glorifié sur les autels. Si nous sommes là dans cette église, si une procession liturgique va se former dans ce chœur avec le maître Thomas en son centre, tout comme dans la vision antique, la cause en est toute simple – nous admirons cette vie divine qui est devenue celle de Thomas, à jamais. Je suis venu pour qu’ils aient la vie et qu’ils aient en abondance.[2]
Quelle est la source de cette vie ? C’est la consécration du Christ. Dans une obéissance filiale et souveraine Jésus dépose sa vie et devient ainsi la source du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent.[3] Sa consécration nous arrache à la domination de la mort et fait de nous des vivants. Et pour eux je me consacre moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, consacrés par la vérité. La parole de la vérité divine en traversant notre mort suscite la vie.
Il y a huit siècles, dans cette noble cité de Toulouse un prêtre mendiant, Dominique, a réuni quelques hommes pour qu’ils soient consacrés dans cette vérité du Christ. Il a voulu que leur parole puisse apporter lumière, consolation, vie. Il aurait pu prendre le chemin de la croisade, mais il ne l’a pas fait. Il aurait pu rester dans une vie paisible et confortable d’un chanoine de la cathédrale d’Osma, mais il ne l’a pas pu. Il s’est livré à la parole de Dieu, et sa consécration a été féconde: l’aventure dominicaine commence à Toulouse. Thomas en est un fruit admirable.
A la suite de Dominique, il est saisi par la vérité divine. Il y trouve sa joie, son repos et son combat, elle devient son amour et sa récompense. Il se consacre à cette passion qui le dévore et qui le vivifie. A Fossanova, au seuil de sa mort, l’Eucharistie lui est apportée. « Je vous reçois, prix du rachat de mon âme, je vous reçois, viatique de mon voyage. Par amour pour vous, j’ai étudié, j’ai veillé et j’ai travaillé. Je vous ai prêché, je vous ai enseigné, je n’ai jamais rien dit contre vous… »[4] L’amour de Dieu a consacré la vie de Thomas, toute sa vie, et sa sagesse nous éclaire, son exemple nous réconforte, son amitié porte notre pauvre consécration.
Frère Thomas est un guide sûr pour tous ceux qui choisiront de se consacrer à la vérité du Christ. Il leur parlera de Dieu, pas de lui-même. Il leur apprendra à admirer la création et y lire la splendeur de Dieu. Il leur ouvrira les trésors de l’Écriture et s’oubliera pour leur rendre familière une quête de tant d’amis de Dieu : sages, savants, philosophes, prophètes et docteurs, la quête des amoureux du mystère divin. Dieu est lui-même à la fois le guide de la Sagesse et le maître des sages.[5] Thomas est devenu maître dans la lumière divine en perdant sa vie dans celle de Dieu, en vivant de la vie de Dieu.
Aujourd’hui, comme il y a huit siècles, comme il y a deux mille ans, la voix du Christ clame : Père saint, consacre-les par la vérité : ta parole est vérité. Et pour eux je me consacre moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, consacrés par la vérité. La vie de Dieu nous est livrée dans cette Eucharistie et nous trouvons notre vie, sereine et pleine, dans ce Verbe du Père que l’Esprit saint dépose en nous.
Dans quelques instants nous adorerons la chair du Verbe incarné sur cet autel. Nous en serons nourris, son sang nous lavera de nos péchés. La consécration du Christ englobera notre vie. Puis, en cortège, nous parcourrons le chœur de cette église, maître Thomas au centre. Que célébrons-nous ? Un pieux souvenir ? Bien plus, une vie. Celle de Dieu, livrée par le Christ, reçue par Dominique, Thomas, tant d’autres et d’autres, nous enfin. L’unique vie, l’unique consécration, l’unique joie. Je parle ainsi en ce monde pour qu’ils aient en eux ma joie et qu’ils en soient comblés. Pourquoi sommes-nous ici, pourquoi célébrons-nous Thomas ? L’antique vision d’un moine de Fossanova nous en donne la raison : pour être des vivants.


[1]              Cf. ch. 15 des miracles dans L’Histoire de saint Thomas d’Aquin  par Guillaume de Tocco.
[2]              Jn 10, 10
[3]              He 5, 9
[4]              L’Histoire de saint Thomas d’Aquin par Tocco, ch. 58.
[5]              Sg 7, 15.

fr. Pavel SYSSOEV, op

Frère Pavel Syssoev

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