Un père avait deux fils

par | 28 septembre 2014

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Un père avait deux fils…

fr. Nicolas-Jean Porret, dominicain

La société contemporaine est surtout agitée par l’idée qu’un enfant pourrait avoir deux pères, deux mères : biologiques, adoptifs, etc.

Au fait comment se sent-on fils ou fille de ses parents ? Par le patrimoine génétique ? Par une forme de caractère, une ressemblance physique et morale ? Par la transmission et l’amour paternel, maternel ?

Mesdames et mesdemoiselles, je vais me focaliser sur la relation père-fils. Vous me pardonnerez, mais tout part de cet exemple pris par Jésus lui-même.

L’enfant, disons donc le fils, n’est pas appelé à demeurer un « fils à papa » ; Dr Freud en a beaucoup parlé. Mais il peut demeurer un fils de la maison de son père, dont il héritera. L’héritier de la dynastie deviendra à son tour père.

Le fils est par nature égal à son père. Comme son père a pris femme, lui aussi « quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair » ; ainsi il continue la Maison de son père, et ses propres fils continueront à leur tour.

Ce schéma patriarcal est simple, il fonctionne merveilleusement dans la Bible qui a façonné notre civilisation. Mais la Bible nous montre, bien avant Freud  que la filiation est en réalité complexe.

  • Voyez les deux premiers fils dans la Bible, les fils d’Adam et Ève. L’aîné, Caïn, jaloux de son frère Abel, dont l’offrande est agréée auprès de Dieu, tue son frère. L’histoire de la fraternité commence mal !
  • Voyez Abraham : Ismaël, son premier-né, fils de la servante, est renvoyé de la maison parce Sara devenue féconde rit et privilégie son Isaac. Division irrémissible !
  • Voyez Isaac, le fils de la promesse faite à Abraham : son fils Esaü, sorti du ventre de Rébecca avant son jumeau Jacob, en définitive compte pour rien son droit d’aînesse et le cède à son cadet pour… un plat de lentilles : la chose est connue : l’aîné servira le cadet.
  • Voyez la descendance de Jacob (Jacob c’est Israël) : ses dix premiers fils livreront le fils advenu à Jacob par Rachel en sa vieillesse, Joseph, par jalousie ; celui-ci devenu intendant de Pharaon sauvera ses frères et la maison de son père de la famine. Mais honte à eux !
  • Voyez David : le dernier des fils de Jessé est oint comme roi sur Israël au milieu de ses frères aînés que Dieu n’a pas choisis…

Sara, Rébecca, Rachel, toutes ces femmes étaient stériles et n’ont enfanté que par l’intervention de Dieu : « C’est l’héritage du Seigneur que des fils, récompense que le fruit des entrailles » (Psaume 126). Les fils qui héritent sont choisis, bénis, non en raison de leurs mérites, mais le plus souvent par ruse. Ils héritent de la dynastie à travers compétition, jalousie, honte, rancune, division, et même meurtre.

L’exemple proposé par Jésus dans l’évangile cristallise ce sentiment de domination d’un fils sur l’autre :

  1. L’héritier de fait c’est Israël, ce deuxième fils qui a dit « oui, Seigneur » mais à qui Jésus semble reprocher de ne pas vraiment travailler à la vigne ; ou du moins une partie d’Israël devenue ramollie (du bulbe) ou endurcie (du cœur), dilettante, intermittente dans sa fidélité.
  2. Le premier fils ce sont les « laissés pour compte », les païens (publicains, prostituées), qui, faisant peu de cas de Dieu, ont d’abord dit « je ne veux pas », mais qui reviennent en lice.

Car c’est là que Jésus intervient, pour mettre d’accord les désobéissants de la première heure et les désobéissants de la 3e, 6e, 9e ou 11e heure… Par la prédication de Jean-Baptiste, d’abord, mais surtout par sa révélation comme Fils unique du Père céleste, Jésus manifeste l’obéissance en parole et en actes.

Jésus, notre Seigneur, qui semble s’inscrire dans la lignée du second fils — car n’est-il pas fils de David, fils de Jacob, fils d’Isaac, fils d’Abraham, fils d’Adam (à ceci près qu’il n’a rien usurpé à personne) — coopère entièrement à l’œuvre de son Père.

« Mon Père est à l’œuvre jusqu’à présent et j’œuvre moi aussi » (Jn 5, 17)

« Je suis descendu du Ciel non pour faire ma volonté, mais le volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 6, 39).

Fils unique et bien-aimé, Jésus n’a pas retenu le rang qui l’égalait à Dieu (Ph 2). Il a dit « oui » en tout et il s’est montré fidèle.

Il est venu réconcilier les fils adoptifs afin de les sauver. « C’est lui qui est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa chair la haine » ; « Ainsi nous sommes de la maison de Dieu » (Eph 2).

Alors, frères et sœurs, quels fils, quelles filles de Dieu sommes-nous ? Nous croyons-nous divins par nature ? Ou bannis par malheur ?

Tous  nous avons été enfermé dans la désobéissance, si lents, si peu intéressés à faire la volonté du Père. Mais à nous tous Dieu a fait miséricorde en son Fils unique.

Les vendanges bordelaises ont commencé. La vigne du Seigneur s’annonce exceptionnelle. Irons-nous travailler avec le Fils de la maison, Jésus l’héritier ? Surtout, accepterons-nous que travaillent à nos côtés les pécheurs, nos frères et sœurs pardonnés, comme nous lavés dans le sang de l’Agneau qui s’est offert au pressoir de la Croix ?

Gloire au Père, et au Fils et à l’Esprit-Saint !

fr. Nicolas-Jean PORRET, o.p.

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Frère Nicolas-Jean Porret