Thurôros – Il ne dort ni ne sommeille, à notre porte ! – fr. Nicolas-Jean Porret o.p.

par | 30 novembre 2014

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Il ne dort ni ne sommeille, à notre porte !

fr. Nicolas-Jean Porret, dominicain, 1er dimande ce l’Avent, année B, 2014 – Couvent de Bordeaux

Dans le silence et le froid intersidéral, ses batteries au plus bas, le robot Philae s’est mis en veille. L’hiver galactique l’a en quelque sorte contraint à hiberner. Dans quelques mois la comète Tchouri sur laquelle ils a « acométi » s’approchera du soleil : si tout va bien, les batteries de Philae se rechargeront ; il se réveillera et poursuivra un travail déjà bien fécond.

Épuisés nous aussi, sans doute par trop de travail et de fatigue, nous sommes tentés par le mode « hibernation » : veille prolongée… repos de nos facultés en attendant des jours meilleurs. Mais justement le cycle pour ainsi dire « astronomique » de la liturgie de l’Avent devrait nous rapprocher d’une étoile, un soleil, LE Soleil — que certains astronomes orientaux ont déjà repérée : cet Astre va se manifester ; il réveillera notre ferveur pour nous rendre la joie…

Voyez comme ces termes sont étonnants : nos machines et nous-mêmes parlons de mode « veille » pour désigner la déconnexion, le repos, voire l’endormissement ou l’affaissement des facultés ; bref, le contraire d’une veille… En effet, une veille, plutôt que d’être une extinction de nos facultés, désigne normalement un état d’alerte, une lutte contre le sommeil, une hypersensibilité à l’affut de tout indice de danger ou de nouveauté.

Dans l’Évangile de ce 1er Dimanche de l’Avent, il y a deux mots pour dire « veiller » :

  • il y a le mot classique, justement traduit par « veiller », répété 3 fois
  • et puis un autre mot, rare, rendu dans la nouvelle traduction liturgique

par « rester éveillé », mais qui littéralement signifie « chasser le sommeil » : « Prenez garde, dit Jésus, chassez le sommeil ! » [partez en chasse, débusquez, le sommeil prêt à surgir] Que le retour du maître de maison ne vous surprenne pas en train de dormir ! Donc si vous envisagiez l’Avent et l’hiver en mode enfouissement, hibernation et tranquillité, euh, c’est mort…

Notre évangile recèle un autre mot encore plus rare : le portier (3 x AT ; 4 x NT). Dans la parabole de l’homme parti au loin, Jésus présente deux types de personnages :

  • les serviteurs (chacun a reçu du maître de maison le plein-pouvoir d’accomplir son travail de serviteur)
  • LE PORTIER à qui il a commandé de veiller.

Les serviteurs sont pour ainsi dire « programmés » en vue de faire leur job ; le portier, lui, reçoit un commandement expresse, répété avec insistance 3 fois : veiller !

Qui sont ces serviteurs ? Et qui est le portier ?

  • On a pu dire : les serviteurs ce sont les apôtres, et saint Pierre parmi eux est le portier (qui renie 3 fois et confesse aimer Jésus 3 fois aussi)
  • Ou bien : les serviteurs sont les chrétiens ; et le portier le pape, qui veille sur tous
  • Ou encore : les serviteurs sont les organes de notre corps à qui Dieu a assigné un rôle précis, efficace ; et le portier est notre conscience qui s’efforce de rester en éveil
  • Ou : les serviteurs sont les sacrements qui opèrent toujours, et le portier la foi en éveil

Peut-être, oui… Mais rappelez-vous que ce mot « portier » est rare. Et on le retrouve à deux autres endroits significatifs, chez Jean :

1) Le premier est le passage où Jésus se désigne comme le bon pasteur à qui le portier ouvre la porte des brebis (Jn 10) : il y a donc une connivence entre Jésus-bon-pasteur et ce portier ; mieux : quelques versets plus loin Jésus se désigne comme la porte des brebis, par où elles entrent et sortent, en toute confiance. —

Voilà qui est intéressant : Jésus commande au portier la fidélité,

mais en réalité il est lui-même la porte que nous gardons, ou c’est elle, lui, qui nous garde ; veiller c’est être avec lui !

2) 2ème lieu significatif où vient ce mot, toujours chez Jean : le portier est… une portière, cette fameuse servante qui fait entrer Pierre quand Jésus est arrêté. — « Où je vais tu ne peux me suivre encore avait dit Jésus » : Jésus, qui est la porte, s’est laissé enfermé, jugé, condamné ; nul, pas même le vaillant Pierre, n’a pu veiller ni empêcher cela !

Le portier c’est donc Jésus avec nous, Jésus en nous ; Jésus avec Pierre qui renie avant le chant du coq mais que Jésus sauve ; Jésus avec le pape, Jésus avec notre conscience, Jésus avec notre foi. « Il ne dort ni ne sommeille le gardien d’Israël » C’est Jésus descendu dans notre sommeil, jugé, endormi dans la mort sur la croix !

Comme Philae, nous sommes éloignés à bien plus que 500 millions de km, dans le froid et la nuit de ce monde, loin de la Patrie où Dieu nous a façonnés à son image. Il nous a donné de quoi faire fonctionner sa maison, il nous a même donné son Fils qui veille en sentinelle à la porte de notre cœur.

Il est venu. Il reviendra pour juger ce monde ! Déjà il est tout proche, excitant notre veille en vue de Noël. Chassez le sommeil ! Il ne reviendra pas au galop !

 

C’est Jésus qui vient, Jésus qui est toujours déjà là.

fr. Nicolas-Jean PORRET O.P.

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