Zachée, d’un arbre à l’autre

par | 31 octobre 2010

Frère Thierry-Dominique Humbrecht

Zachée, d’un arbre à l’autre
 
Dimanche 31 octobre 2010, 31e du T.O. année C
Sur II Thess (1, 11-12 ; 2, 1-2) et Luc 19 (1-10)
La scène est à Jéricho. Jéricho, ville mal famée depuis des lustres, ville pécheresse, où il ne fait pas bon, pour un voyageur, descendre depuis Jérusalem, sous peine d’être roué de coups. Jéricho attend depuis longtemps son bon samaritain. Jésus le dit ailleurs : là où s’amoncellent les cadavres, se rassemblent les vautours. Dans la pourriture de Jéricho grouille la foule des charognards et Zachée le publicain.
Aujourd’hui, Jésus traverse la ville de Jéricho. Il n’y séjourne pas, il la traverse, comme il traverse le péché. Il sait que la foule qu’il fend est versatile et ne demande qu’à se rassembler demain, à nouveau, face à lui, pour le regarder mourir.
Toutefois, de cette foule en perdition émerge Zachée. Il cherche à voir qui est Jésus, monte sur son sycomore, et Jésus lève les yeux et l’appelle. Nous savons la suite.
Trois questions se posent. Est-ce par son effort que Zachée rencontre le Christ ? Jésus attend-il d’être poursuivi pour octroyer le salut ? Zachée converti se change en panier percé : est-il tenu de se ruiner pour se rendre digne de son nouvel état ?
Le sycomore ou l’effort de l’homme
Le sycomore, l’arbre de Zachée, symbolise son effort pour se rendre visible. Est-ce donc par notre effort que nous pouvons, comme Zachée, rencontrer le Christ ? L’effort est nécessaire, il est la mise en mouvement de toutes nos forces, le réveil de l’esprit, l’énergie de la volonté, la discipline imposée aux passions, faute de quoi l’abrutissement rend inapte à Dieu, ce qu’on appelle l’hébétude. L’hébétude de Zachée le rendait petit de taille, selon le corps et selon aussi l’âme. La richesse rapetisse, elle fait oublier Dieu.
Toutefois, cet effort n’est pas suffisant, il ne peut sauver. Malgré les apparences, il n’est pas premier. Il est second. Seule la grâce prépare la grâce. L’effort humain relève de la réponse et non de la préparation, il honore un premier moment de notre réponse à la grâce : le dérouillage. Or la rouille de l’hébétude attaque tout et en permanence. Le piqué de rouille commence avec la tiédeur, les compromissions négociées, les petits mensonges, le marchandage avec Dieu, à qui l’on croit pouvoir vendre des tapis. Tout s’achève en acédie, la paresse au sens véritable, ce dégoût entretenu des choses de Dieu, la fuite du spirituel, le refus de la grâce.
C’est ce qu’a vécu Zachée. S’il veut maintenant se payer le ridicule de grimper sur un arbre, devant la foule, c’est qu’il est en train de répondre à un appel. Son effort est de participer à cette grâce qui déjà le travaille.
L’arbre de la croix ou le salut advenu
Jésus attend-il d’être poursuivi pour octroyer le salut ? Se comporte-t-il comme une amoureuse, qui s’enfuit et se fait désirer, certes pour mieux se laisser attraper, mais aussi pour donner du prix à la conquête ? Non, car il ne joue pas avec nous, et, surtout, il nous précède en tout : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique », chante le verset de l’alléluia.
L’amoureux conquérant, c’est lui. Au lieu que nous, ne savons même pas tenir le rang de l’amoureuse désirée, nous fuyons par crainte. En d’autres termes, l’arbre du salut n’est pas le sycomore de Zachée mais la croix de Jésus, non l’arbuste de Jéricho mais le poteau de Jérusalem. « Aujourd’hui, dit Jésus, le salut est arrivé pour cette maison ». Le salut, c’est lui-même, Jésus. Cette maison, ce n’est pas seulement la villa du nouveau riche, c’est la maison du fils d’Abraham, c’est-à-dire la famille humaine, à qui le salut promis est advenu. « En effet, continue Jésus, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ». Qui est perdu est perdu, et ne peut se sauver lui-même. Jésus loue Zachée de l’avoir reconnu comme sauveur, même si sa reconnaissance est encore perfectible. La grâce en nous est amenée à progresser, comme les vertus.
La grâce, c’est Dieu venu nous chercher en personne, et nous devenus capables de nous laisser prendre. La misère de l’homme sans Dieu se change alors en grandeur.
Zachée est-il tenu de se ruiner ?
Zachée converti décide de donner la moitié de ses biens aux pauvres et de restituer ses exactions au quadruple. Y est-il tenu, du fait de son retournement ? Non, c’est lui-même qui propose cette distribution. Peut-être lui restera-t-il encore un pactole, l’histoire ne le dit pas : pécheur pardonné mais banquier, il sait compter. La foule le sait d’ailleurs pour lui, et tous à son sujet récriminent contre Jésus : « Il est allé loger chez un pécheur », professionnel mais malhonnête de profession.
Intéressante notation : appartient-il à Jésus de frôler le péché pour sauver le pécheur ? Jésus n’a pas vécu le péché en tant que tel, qui est une privation de l’amour de Dieu, un manque d’âme et non un supplément d’humanité. Il a au contraire infusé son amour dans les conséquences du péché. Nous faut-il, à nous témoins du Christ, évangélisateurs, nous mettre en danger en fréquentant, sous prétexte d’apostolat, des lieux de débauche, des institutions structurées par le péché ? Non pas, car nous ne sommes pas le Christ, nous sommes pécheurs, et nous risquons de faiblir. L’audace de l’apôtre intègre la prudence spirituelle du chrétien. Certes, avec le Christ nous sommes les plus forts, sous le rapport de sa grâce que nous collaborons à implanter, mais pas sous le rapport du péché dont nous restons complices, dans nos angles morts.
Il n’empêche que le pécheur le plus endurci, une fois conduit sur le chemin de la conversion s’engage à changer sa vie, tout de suite. « Vite » de son arbre descend Zachée. L’homme d’argent qu’il est distribue ses biens et probablement exercera autrement son métier. Il ne fait pas que pourchasser son vice, il cultive la vertu qui lui est contraire.
Si, dans sa grâce, en premier Dieu opère, nous coopérons ensuite. Cette fois, l’effort est requis, tout l’effort dont la grâce nous a rendus capables. Nous coopérons peu à peu, long est le progrès. Saint Paul nous souhaite aussi d’être trouvés dignes de l’appel que Dieu nous a adressé : « Par sa puissance, qu’il nous donne d’accomplir tout le bien que vous désirez, et qu’il rende active votre foi. Ainsi, notre Seigneur Jésus aura sa gloire en vous et vous en lui ».
Un tel effort n’est pas qu’une exigence de justice : il se mesure selon la charité, et la charité, si elle inclut la justice, la dépasse. La charité dépasse la justice, en extension mais aussi en origine. Si l’on donne, ce n’est pas pour le plaisir d’être généreux, car cela ne dure pas longtemps, c’est pour donner comme donne le Christ. Il se donne lui-même pour nous sauver. C’est de salut qu’il s’agit car il y avait perdition.

Plantons tous un sycomore : nous verrons la croix.

fr. Thierry-Dominique Humbrecht, op

Frère Thierry-Dominique Humbrecht

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