Avec Bartimée, revoir ou Voir ?

par | 28 octobre 2018

Frère Nicolas-Bernard Virlet

Bartimée est un aveugle : de naissance ? cela n’est pas dit. Il est sur le bord du chemin, sur le bas-côté de la vie dite « moderne », dans le fossé des non sens de ce monde, des laisser pour compte économiques, moraux, spirituels et de l’esthétique mondaine, des blessés de la vie. Il en est là, à cause de ses mauvais choix mais aussi par ceux de son entourage, de la société : aveuglé de l’extérieur par le prêt à porter omni-consumériste, médiatique, culturel, du politiquement et philosophiquement correct, ambiant, intolérant, dictatorial, et aveuglé de l’intérieur par l’orgueil, le mépris, la suffisance, l’indifférence, l’égoïsme, la jalousie, la rancune, la violence, les mensonges …

Voilà que Jésus passe. Il n’est pas seul. Il y a ses disciples. Et il y a la foule si instable et si souvent superficielle, qui le suit, l’entoure, plus comme un thaumaturge que comme le Messie souffrant Sauveur : cette foule devient un obstacle à la rencontre de Bartimée avec Jésus.

Il quémande quotidiennement avec ses mains de quoi manger, mais il espère de tout son cœur revoir la beauté du jour et de la nuit étoilée, de la création, des visages de l’humanité. Il désire, il attend, il espère, il mendie la lumière, le salut que réveille en lui, le passage, la présence de Jésus : « Mon âme a soif du Dieu vivant, quand le verrai-je face à face » (Ps 42,3) L’attention de Bartimée n’est pas dispersée, divisée, fracturée par tout ce que le monde donne à voir pour nous empêcher de contempler en vérité, la vérité. Toute son attention est unifiée, centrée sur ce qu’il entend, pour y discerner ce qu’il veut y écouter et recevoir.

Alors il crie au milieu des brouhahas mondains si bruyants et multiformes, oppressants. Il a cette forte attente, ce désir vigoureux : qui n’est pas la cerise sur un gâteau – d’ailleurs quel gâteau pour lui ? – mais déjà sa lumière intérieure. N’est-ce pas pour cela que nous sommes là nous aussi ce matin, encore si souvent dans les fossés de nos péchés : mais pour rencontrer Jésus qui passe parmi nous par les chemins de notre humanité, qui s’arrête et s’offre pour nous et se donne à nous,  en chaque Eucharistie, pour nous sauver, pour purifier notre cœur, afin que nous puissions Le contempler éternellement.

Malgré les obstacles à sa rencontre avec Jésus, Bartimée persévère, comme la veuve importune (Lc 18,1-8)).

Alors Jésus s’arrête. Il sait où Il va, mais Il sait aussi demeurer disponible aux rencontres sur le chemin : comme en allant chez Jaïre dont la fille est morte, il saura s’arrêter pour dialoguer et guérir une femme malade venue toucher son manteau par derrière au milieu de la foule (Mc 5,25-34)

Et Jésus ordonne à ses disciples de l’appeler en son nom : de lui transmettre son appel. Avec discernement, nous avons à apprendre à nous appeler au Seigneur les uns les autres, de la part du Seigneur : comme le fait Marthe avec Marie (Jn 11,28) quand leur frère Lazare vient de mourir, ou comme plus tard les chrétiens de Milan appelleront Ambroise à devenir leur évêque.

Bartimée quitte son manteau : tout ce qui peut l’empêcher d’aller promptement à Jésus pour se tenir devant sa face très sainte.

La réponse de Jésus à son cri d’appel et à sa prompte venue ne se fait pas attendre :

« Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Quel est ton désir véritable ? Ce qui n’a rien de commun avec un vague vague à l’âme mystico gélatineux..

« Que je vois » en vérité, plus encore que revoir, retrouver la vue : que je puisse contempler à jamais le visage de Dieu, voir toute chose dans la seule lumière de ta sainte Face.

« Va, ta foi t’a sauvé » : ta foi a ouvert ton cœur pour recevoir le don de sa grâce.

Bartimée retrouve la vue aussitôt. La parole recréatrice de Jésus, Fils de Dieu, en ces jours qui sont les derniers, est la même parole créatrice de Dieu au premier jour : « Que la lumière soit, et la lumière fût » (Gn 1,3) aussitôt. Car Dieu n’a qu’une parole éternelle, fidèle, c’est son Fils, le Verbe.

La guérison de Bartimée se déroule après plusieurs déjà opérées par Jésus : entre autres, après celle d’un démoniaque épileptique, d’un sourd bègue, d’une enfant habitée par un esprit impur etc … Jésus sauve tous les hommes : il sauve tout l’homme. La vue retrouvée est l’achèvement des guérisons, l’accomplissement du relèvement pour la vie bienheureuse éternelle : pour la contemplation sans fin de la face de Dieu.

L’aveugle guéri par Jésus, ce qu’il voit, contemple en premier, c’est la sainte face du Fils de Dieu, visage visible du Dieu invisible, qui lui rend la vue. Quelle grâce première ineffable méditait Léon Bloy. Puissions-nous, avec la grâce de Dieu, garder nos yeux, notre cœur ici-bas, de tout ce qui pourrait les détourner ou les éloigner de son visage éternel. Le soir en dernier, le matin en premier, fidèlement tout au long du jour, sur quoi, sur qui se pose notre regard ? sur la sainte face de Jésus notre Sauveur ? sur nos frères créés à son image et ressemblance, sur la création, sur le monde, dans la seule lumière du regard de Dieu sur nous tous ?

Bartimée, tu avais bien compris que nul ne peut aller à Jésus dans la nuit sans trébucher : seule la lumière de Celui qui est la lumière du monde, lumière née de la lumière, retrouvée en son amour sans cesse créateur, en son pardon qui nous guérit, accueillie dans la foi, peut nous conduire au port éternel du visage de Dieu, au rivage sans fin de sa sainte Face.

« Fais lever sur nous la lumière de ta face » (Ps 4,7)

« Ouvre nos yeux Seigneur, aux splendeurs de ta parole » (Ps 118,18)

Alors « dès le matin, je me rassasierai de ton visage » (Ps 16,15) : matin éternel par la contemplation de la face de Dieu que nul et rien ne pourra nous ravir.

fr Nicolas-Bernard Virlet o.p.

Frère Nicolas-Bernard Virlet

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