Bref éloge de Mme Zébédée

par | 11 mars 2020

Frère David Perrin

On ne se débarrasse pas d’une mère, qui plus est d’une mère juive, facilement ! Jésus, souvenez-vous, avait arraché, de manière un petit peu cavalière — il faut bien l’avouer — Jacques et Jean à leur famille. C’était sur le lac de Tibériade. Zébédée et ses deux fils étaient en train d’arranger leurs filets quand, depuis la rive, Jésus appela Jacques et Jean à le suivre. Les deux pécheurs se regardèrent, un instant, interloqués puis laissèrent en plan leur père et ses filets.

Si Zébédée, pardonnez-moi l’expression, avait lâché l’affaire, ce n’est pas le cas, semble-t-il, de son épouse qui n’acceptait pas de laisser partir ses fils à l’aventure, comme ça, avec un inconnu. « C’était qui, au fond, ce Jésus ? On dit qu’il fait des miracles ? Qu’est-ce qu’on en sait ? Tu les as vus, toi, Zébédée, les lépreux ? Tu dis qu’il a nourri des foules ? Peut-être mais il a pris mes enfants ! Comment ce sont de grands garçons ? Ils seront toujours mes tout-petits. Et puis, je ne suis quand même pas donné tant de mal pour ces deux terreurs — note du prédicateur : Jésus les avait surnommé les « boanergès » c’est-à-dire les « fils du tonnerre » — pour les voir s’envoler, sans prévenir, avec un inconnu ! Ce n’est pas des manières. Je suis quand même leur mère ! Je vais aller le voir ce Jésus et obtenir des garanties pour leur avenir. Oui, môssieur, je me soucie, moi, de leur avenir.”

Aussitôt dit, aussitôt fait, Mme Zébédée prend son baluchon et s’en va voir d’un peu plus près ce que deviennent ses enfants. Elle les trouve. Ce n’était pas difficile : les gens, dans la région, ne parlaient que de Jésus et de ses disciples. Elle les rejoint, les observe, les écoute, constate les miracles et se dit que finalement, ce n’est pas un mauvais plan. Dieu soit béni ! Et béni soit le grand Moïse ! Ses enfants sont tombés, en effet, sur un grand prophète, sans aucun doute le messie ! Profitons-en ! Quelle mère ne voudrait pas une bonne situation pour ces enfants ! Se fichant bien pas mal des qu’en dira-t-on, la mère Zébédée s’avance vers Jésus, se prosterne devant lui et lui fait avec aplomb cette demande : « Ordonne que mes deux fils que voici siègent l’un à ta droite, l’autre à ta gauche, dans ton Royaume. Les autres disciples, entendant cela, n’en reviennent pas ». Non mais quel culot ! Elle n’a peur de rien celle-là ! Quand ils entendent les deux frères qui surenchérissent et affirment, sans hésiter, qu’ils sont capables de boire à la coupe que lui, Jésus, va boire, les disciples sont indignés ! Telle mère, tels fils : comment osent-ils demander les premières places ?

Jésus les blâme-t-il ? Non. Blâme-t-il cette mère juive ? Non plus. Sa demande, en vérité, est la plus belle qu’une femme puisse faire pour ses enfants. Sans doute, y avait-il dans son cœur quelques petites choses à purifier mais, dans le fond, sa prière est bonne et droite. Elle vient de l’Esprit Saint ! Demander, en effet, à Dieu de toute ses forces, que ses enfants bien-aimés soient à la droite et à la gauche de Dieu, qu’ils soient dans les bras de Dieu, dans son Royaume est la plus belle des prières.

L’indignation des disciples, à la réflexion, me semble plus douteuse. De quoi ces dix benêts avaient-ils peur ? Étaient-ils jaloux, inquiets de voir les deux frères leur passer devant et leur prendre les premières places. Ne savaient-ils pas que l’amour de Dieu est sans mesure, que sa miséricorde est infinie, qu’il y a une place préparée pour eux aussi et pour tous les hommes au cœur pur, à la droite et à la gauche de Jésus ?

Quant à savoir qui sera à la droite et à la gauche du Christ sur la croix, nous connaissons la réponse ! Ce ne sont ni les dix autres disciples, ni les fils du tonnerre mais leur mère : Mme Zébédée. « Il y avait là plusieurs femmes qui regardaient à distance ; elles avaient suivi Jésus depuis les jours de Galilée en le servant ; parmi elles se trouvaient Marie de Magdala, Marie la mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée. »

Frère David Perrin

Frère David Perrin