Es-tu bien celui qui doit venir?

par | 15 décembre 2019

Frère Guy Touton

 Saint Matthieu, 11, 2-11, 3° dim. de l’Avent 2019, frère Guy Touton

   Il semble loin le bébé de six mois bondissant de joie prophétique dans les eaux amniotiques à la voix de Marie saluant sa cousine Elisabeth. Et au bord de ces autres eaux, celles du Jourdain, on a du mal à faire se joindre les propos du même Baptiste en saint Jean quand il voit Jésus : « voici l’Agneau de Dieu », avec cette hésitation  rapportée par Matthieu du même homme au sujet de Jésus : « Est-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » Il y a comme un hiatus, inutile de le nier, les textes font foi.

   Mais mettez-vous à la place de cet homme retiré dans le désert pour aller à la source de son judaïsme sincère. De sa prison il entend dire des choses bizarres au sujet de Jésus : qu’il remet les péchés le jour du Shabbat, qu’il guérit le jour du Shabbat, qu’il dit être plus grand que le Shabbat. Mais seul Adonaï remet les péchés, et nul humain ne saurait se croire au-dessus du Shabbat. Jésus ferait-il du zèle ? Tout le judaïsme du Baptiste, avec sa titulature ancienne au sujet du Messie, est en train de buter sur ses limites. Que c’est beau cette part d’ignorance ! C’est le baptême du feu du Baptiste, dont toute l’attente est retournée, dépaysée. Il croyait être chez lui chez les prophètes, mais il n’avait encore rien vu !

   La réponse de Jésus à la question inquiète du Baptiste par voie de disciples est de la plus belle finesse : il renvoie le Juif qu’il est aux Écritures mêmes, on ne peut pas faire plus juif. Il lui rappelle les prophéties de l’ère messianique : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent. Sans autre explication. Il le renvoie à ses chères lettres, pour mémoire. Et cela suffit. Le Baptiste fera avec. Bien sûr Jésus ne lui parle surtout pas des futures souffrances de la Passion, le Baptiste ne pourrait pas comprendre, lui aussi attend la restauration d’Israël, un roi qui vaille, comme tout le monde à cette époque.

  Dans sa réponse allusive, mais centrée sur les prophéties, Jésus n’omet pas de faire l’éloge du Baptiste, le plus grand parmi les enfants des hommes. En attendant le Baptiste, lui, croupit dans la  prison d’Hérode. Et pourquoi est-il le plus grand ? Parce qu’il est ce messager annoncé par Malachie, rien de moins. Jésus ne parle ni de son courage, ni de son héroïsme personnel, comme l’on fait d’ordinaire pour saluer un homme d’exception. Il se contente de rappeler sa mission. Le Baptiste n’est grand qu’à proportion de Celui qui doit venir, et déjà agit, dont la lumière se projette sur toute la chaîne apostolique de la prophétie dont il fait partie.

   Pourtant le plus petit dans le Royaume, dit Jésus aux foules, est plus grand que le Baptiste. En effet, la lumière divine a transfiguré en lui toute la chaîne des passions, pas apostolique celle-là, toute la chaîne des attentes humaines, plus ou moins éclairées sur leur objet, et son pauvre cœur d’homme. Le Baptiste, lui, est comme nous : il a encore du chemin à faire, mais il le fera, en s’unissant par le martyre, sans encore pouvoir le mesurer, à la Pâque de son Seigneur, la Tête du corps de l’Eglise, lui qui sera décapité.

Frère Guy Touton

Frère Guy Touton