La joie de la justice

par | 16 décembre 2018

Frère Pavel Syssoev

Êtes-vous sûrs qu’il s’agit d’une Bonne Nouvelle ? – « Il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas ». Cette phrase qui conclut la prédication du Baptiste n’est pas hors contexte. Car de quoi parlait-il ? De l’appauvrissement des uns et de l’enrichissement des autres : « celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ». Des impôts injustes : « n’exigez rien de plus que ce qui vous est fixé ». Des violences des forces de l’ordre : « ne faites violence à personne, n’accusez personne à tort ». On dirait que l’actualité nous rattrape même dans l’Évangile. On espérait l’oublier ne serait-ce que le temps de la messe, et voici que Jean le Baptiste se comporte en éditorialiste engagé. Le tout entouré d’appels à la joie : « Frères, soyez toujours dans la joie du Seigneur ; je le redis : soyez dans la joie ! » « Éclate en ovation, Israël », car vient celui qui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu, ce feu même qui brûlera la paille dont Dieu dégagera le bon grain de son blé.

La joie ne vient donc pas de la fuite du réel. Il ne s’agit pas d’abandonner le monde en désordre pour se transporter miraculeusement dans une contrée de rêve où tout s’arrange tout seul. Jean prépare le peuple à accueillir le prince de la paix et cela exige une œuvre de justice. Exige, n’en dispense nullement.

Il y a un certain discours qui se veut évangélique et qui se plaît à abaisser la justice, à la déclarer dure, inhumaine, superflue, depuis le don du Sauveur. Il y aurait une justice de l’Ancien Testament et l’amour du Nouveau, il y aurait la Loi d’autrefois et la Grâce toujours nouvelle, le vieux sacré et la sainteté toujours jeune. Le tout articulé de la sorte que cet amour, cette grâce et cette sainteté n’aurait nul besoin de la justice, de la loi et du sacré. Jean le Baptiste, l’enfant du Temple et le prophète du désert, affirme le contraire. Sans la justice, pas d’amour. Sans la loi, pas de grâce. Sans le sacré accueilli avec respect et tremblement, pas de sainteté. Pas de joie dans le désordre. Pas de joie dans le crime. Pas de joie dans le mépris des dons de Dieu.

Il nous faut être plongés dans le feu de Dieu. Mais ce n’est pas en négligeant le monde qu’on s’y dispose. Ce feu apportera ce que nous ne pouvons pas produire par nous-mêmes, mais il ne tiendra pas pour nuls nos choix, nos responsabilités, nos décisions. Choisir la justice, c’est servir Dieu. Chercher la justice, c’est chercher Dieu. Lutter pour la justice, c’est épouser la cause de Dieu. Et cet engagement, Dieu le couronne de sa joie.

Nous ne bâtirons pas le Royaume de Dieu sur terre, cela est sûr. Il est illusoire de prétendre le contraire. La Jérusalem nouvelle descendra du ciel, elle ne surgira pas de la terre. Tout État, toute société qui prétendent être l’ultime horizon de la vie humaine glissent vers le totalitarisme. Celui qui attend de l’État ou de la société qu’ils lui procurent son bonheur, le sens de sa vie, sa joie plénière fait le choix d’une illusion dont le prix sera très élevé. La Jérusalem nouvelle ne surgira pas de la terre, mais y entreront ceux qui ont cherché et désiré la justice. Y entreront les artisans de paix. Y entreront ceux qui pleurent avec les malheureux et ceux qui soulagent les souffrances. La joie de Dieu couronnera leur effort. Car dans leur œuvre Dieu reconnaîtra la sienne.

C’est donc une Bonne Nouvelle que cette prédication de Jean : notre désir de justice, Dieu le couronnera de sa joie. Entrons dans la joie de notre Maître. Demeurons dans sa joie. Qu’elle soit notre lumière et notre rempart, notre exultation et notre paix. Le Seigneur est proche. Préparons-lui le chemin de justice.

Frère Pavel Syssoev

Frère Pavel Syssoev