La politique et la religion : les sujets qui fâchent !

par | 18 octobre 2020

Frère David Perrin

Il y a deux sujets sensibles, vous le savez bien, dans les réunions de famille : la religion et la politique ! Si vous parlez de l’une ou de l’autre, les esprits s’échauffent aussitôt. Et si vous parlez de l’une et de l’autre, les discussions, très vite, tournent mal : « Décidément, François, vous ne comprenez rien à rien ! » ; « Ce qui est stupéfiant avec vous, Madame, c’est que vous faites toujours le mauvais choix ! » ; « Il ne faut pas s’étonner si la France et si l’Église vont si mal aujourd’hui ! Forcément, avec des gens comme vous ! »

Comment vais-je faire, pauvre prêcheur, pour parler de ces sujets qui fâchent ? Quoi que je dise, je le sais, je me ferai lyncher à la sortie de la messe ! Si je fais remarquer que Jésus s’est soumis à César, on me dira que je prêche la soumission aveugle au gouvernement Macron ! Ce qui n’est pas le cas. Et pourtant, il est vrai que Jésus n’a jamais contesté l’autorité de ceux qui le gouvernaient. Le roi qui régnait en Galilée à son époque n’était pourtant pas un enfant de chœur. Hérode Antipas, vous vous en souvenez, avait fait arrêter puis tuer Jean-Baptiste, parce qu’il s’opposait à son mariage avec Hérodiade, la femme de son frère. Jaloux de la popularité grandissante de Jésus qui, lui était de descendance royale, Hérode cherchait à le faire tuer. Jésus était effectivement une menace très sérieuse ! La foule l’aimait et croyait qu’il était le roi-messie. Elle voulait le mettre sur le trône d’Israël ! Mais pensez-vous que Jésus aurait saisi l’occasion de rétablir la royauté et la justice en Israël ? Pas du tout ! Quand on est venu le chercher pour le faire roi, il s’est enfui dans la montagne. Le seul Royaume, dont il a annoncé la venue, n’est pas de ce monde. Jamais Jésus ne s’est mêlé de politique. Jamais Jésus n’a attaqué Hérode directement. Jamais il n’a appellé le peuple à prendre les armes contre lui ou contre les Romains. Le seul message qu’il a adressé à Hérode était le suivant : « Allez dire à ce renard : Voici que je chasse des démons et accomplis des guérisons aujourd’hui et demain, et le troisième jour j’arrive au terme ! Mais aujourd’hui, demain et le jour suivant, je dois poursuivre ma route, car il ne convient pas qu’un prophète périsse hors de Jérusalem ! » (Lc 13, 32-33)

Hérode fut sans doute soulagé d’apprendre que Jésus allait quitter la Galilée. Bon débarras ! Et plus encore d’apprendre qu’il allait se jeter dans la gueule du loup. Car en Judée, on ne rigole pas ! Les prophètes et les agitateurs de son espèce ne font pas long feu ! Là-bas, ce sont les Romains qui gouvernent. Ponce Pilate, le préfet, campe, avec ses troupes, à Césarée maritime. Il administre les affaires financières de la Judée, au nom de Rome, maintient une garnison dans Jérusalem, a le pouvoir absolu de vie et de mort sur toute personne de la province qui n’a pas la citoyenneté romaine. Dans la pratique, il laisse au grand prêtre, Joseph Caïphe, le soin de régler la plupart des aspects de la vie intérieure juive. Pilate et Caïphe s’entendent à merveille. Le plus difficile pour Caïphe est de persuader ses compatriotes Juifs de se conformer aux exigences romaines concernant l’ordre et les impôts.

La question que les pharisiens posent à Jésus est donc un test : un test mortel ! C’est la question qui tue. Si ce soi-disant prophète, ce prétendu messie refuse de payer l’impôt à César, l’affaire est pliée ! On l’embarque illico et on n’en parle plus ! Mais Jésus, loin de prôner la désobéissance, comme attendu, affirme qu’il rendra à César ce qu’il lui doit et qu’il paiera, comme tout le monde, ses impôts. Sa réponse ne satisfait personne. Les pharisiens et les prêtres sont déçus parce qu’ils ne peuvent pas le coincer. Déçus aussi, ceux qui voyaient en lui le roi qui allait les libérer du joug romain. Quel dommage ! Le refus de payer l’impôt des païens aurait mis le feu aux poudres ! C’aurait été le signal parfait pour se révolter ! Et dire qu’on le prenait pour l’homme providentiel, celui que Dieu avait envoyé pour chasser ces politiques impies et tous ces prêtres collabo, ces vendus qui déjeunent tous les midis avec le préfet. Voilà qu’on se retrouve avec un mou du genou, un rallié au régime qui baisse son pantalon devant César. Ce Jésus vaut moins que ce bandit de Barrabas ! Avec lui, on avait une chance de faire bouger les choses !

Certains, parmi les partisans de Jésus, ont sans doute tenté de se consoler en disant que Jésus jouait double jeu : « Quand il dit ‘‘Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu’’, il le dit pour sauver sa peau. Il ne pense pas ce qu’il dit. C’est une stratégie pour prendre le pouvoir. Attendez un peu et vous verrez ! Quand il se manifestera, il n’y aura bientôt plus de César, plus d’impôt ! Vous entendrez dans peu de temps les enfants crier dans les rues : ‘‘Vive Dieu et vive le Roi ! Hosanna au Fils de David ! Il nous a libérés de la main des Romains, comme Moïse nous avait libérés de la main des Égyptiens ! Vous verrez ! »

Ce qu’on voit, c’est que Jésus ne veut pas prendre la place de César. Il ne dit pas à Pilate comment il doit gouverner, quelles lois il doit promulguer, s’il a raison ou tort de lever un impôt, mais il lui donne à lui, comme à tous les hommes, les moyens de connaître et de réaliser ce qui est bon, ce qui est vrai, ce qui est conforme à la raison humaine et à la volonté de Dieu. Pilate ne veut pas savoir ce qu’est la vérité ? Tant pis pour lui. Le Christ a fait tout ce qu’il avait à faire. Il a dit tout ce qu’il avait à dire. Il est allé au bout de sa mission. Si César commet une action injuste, indigne, c’est à Dieu qu’il devra ultimement en rendre compte. Car c’est à Dieu, en dernier lieu, que César doit se soumettre, car c’est de lui qu’il tient son pouvoir. La soumission de César à Dieu n’a jamais impliqué, dans le plan de Dieu, sa négation. La grande œuvre de restauration entreprise par le Christ n’implique pas la destitution de César mais sa conversion ! Le Verbe de Dieu n’est pas descendu sur terre pour remplacer le trône par l’autel, l’État par l’Église, César par le Pape, mais pour évangéliser le monde, évangéliser l’État, évangéliser la cité par les citoyens.

Ressuscité, Jésus n’a pas renversé les hommes au pouvoir qui l’avaient condamné. Il a envoyé ses disciples dans un monde où Tibère était toujours empereur, Hérode toujours roi de Galilée, Caïphe, toujours grand-prêtre à Jérusalem et Ponce Pilate, toujours préfet de Judée. Ce que Jésus a fait, c’est apporter à tous les hommes, César compris, les moyens de faire le bien, de revenir à Dieu et d’être sauvé par lui. Il nous revient, à nous chrétiens, de poursuivre l’œuvre du Christ et des apôtres pour agir avec raison, éclairés par la Révélation, et conduits par l’Esprit de Dieu, pour que César et Dieu aient, tous deux, ce qu’il leur revient.

Fr. David Perrin o.p.

 

Frère David Perrin

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