Le loup, les brebis et les deux bergers – Jn 10, 11-18

par | 25 avril 2021

Frère David Perrin

Le loup, les brebis et les deux bergers. Serait-ce le titre d’une fable de la Fontaine ? Cela se pourrait et l’on imagine, sans peine, les premiers vers :

Un berger, mercenaire, appâté par le gain,

Languissait de garder un troupeau de brebis.

Quand à l’orée du bois, l’ombre d’un loup, il vit

Il s’enfuit et la bête mangea à sa faim…

Il serait facile, comme vous le voyez, de faire de la parabole de Jésus une fable ou un poème. Mais l’histoire du loup, des brebis et des deux bergers n’est pas une fiction. C’est son histoire que Jésus raconte, l’histoire véridique de sa vie… et de la nôtre !

Le grand méchant loup existe pour de vrai. Il est tapi dans l’ombre et cherche à nous égorger. Oh, je ne pense pas à tous ces loups fanatiques qui rôdent aujourd’hui dans nos rues et qui, comme le dit Jésus, veulent nous tuer, en pensant rendre un culte à Dieu (Jn 16, 2). Non ! Ce n’est pas à eux que je pense, parce que ce n’est pas eux que je crains : « Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme. Craignez plutôt celui qui peut perdre dans la géhenne à la fois l’âme et le corps ! » (Mt 10, 28) Le seul loup, en effet, que l’on doit craindre, c’est celui qui s’efforce de se faire oublier pour mieux régner : le diable, Satan, Lucifer. Sa voix, aujourd’hui, n’est  qu’un murmure à notre oreille, une petite tentation légère, à peine perceptible. Pas besoin d’en faire plus ! Nous autres, chrétiens, pouvons penser naïvement que le diable n’entrera chez nous que si nous lui ouvrons grand la porte. Mais il suffit, parfois, que nous la laissions entr’ouverte l’espace d’un instant, le temps d’un baiser, à la manière de Judas, pour qu’il se faufile dans la bergerie de notre âme et y fasse un carnage.

Contre lui, nous ne pouvons pas nous défendre tout seuls. Il nous faut un berger, un bon berger, pas un de ces bergers mercenaires qui prétendent nous faire du bien mais qui sont, en réalité, de faux frères, de fausses sécurités. Chaque fois que nous nous réfugions derrière des personnes qui prétendent avoir le remède miracle à tous nos problèmes, chaque fois que nous nous mettons à couvert derrière des excuses en béton armé­ — ­ « Les autres sont méchants, pas moi », « Moi, j’ai souffert, les autres non ! » ­—  chaque fois que nous nous abritons derrière des mensonges ou des faux semblants, qui nous évitent de perdre la face et de nous remettre en question, chaque fois que nous nous raccrochons au cadre, confortable et rassurant, de nos bonnes vieilles habitudes ­— « surtout ne rien changer », « surtout faire comme j’ai toujours fait » ­— chaque fois que nous préférons écouter d’autres voix que celle de la raison ou de Dieu et que nous nous rangeons derrière les solutions de facilité, nous nous cachons derrière des bergers impuissants, des bergers de pacotille, des bergers mercenaires qui nous abandonneront, dès que le loup enlèvera son déguisement d’agneau et se décidera à nous croquer.

Nous n’avons, frères et sœurs, face à ce loup qui est « tueur d’homme dès l’origine » (Jn 8, 44) et contre ces faux bergers, qu’un seul berger, un seul vrai pasteur : Jésus le Christ. « En dehors de lui, il n’y a pas de salut. Et son nom, donné aux hommes, est le seul qui puisse nous sauver. » (Ac 4, 12) Il est le berger véritable, parce qu’il est le seul qui a donné, réellement, sa vie, le seul qui s’est interposé entre le diable et nous, et nous a sauvé de la dispersion et de la damnation éternelle. Il n’y a que sa voix, aujourd’hui, qui puisse nous rassembler, que sa parole qui puisse nous faire du bien, que son bâton qui puisse nous protéger.

Mais il y a une chose, frères et sœurs, que je dois vous dire. Une chose que Jésus n’a pas dite, dans cette parabole, sans doute parce que l’heure n’était pas encore venue, et qu’à ce moment-là, les foules n’auraient pas compris. C’est la fin de l’histoire, comment le berger a donné sa vie. Le loup est entré dans la bergerie mais, contre toute attente, il ne s’est pas jeté sur les brebis. Il ne s’est pas non plus jeté sur le berger. Ce qu’il a fait était beaucoup plus subtil, beaucoup plus malin. Le loup a monté les brebis contre le berger, pour qu’elles déchirent, de leur petites dents, par leurs péchés, celui-là seul qui pouvait les sauver de la mort. La vérité, c’est que « l’ovin triomphe du divin[1] ». La voilà la morale de l’histoire !

Vous comprenez maintenant pourquoi cette histoire n’est pas entendue ? C’est parce qu’elle dévoile le pot-aux-roses de l’humanité, l’ignoble meurtre collectif du bon pasteur tué par son propre troupeau. Cette histoire ne vous plaît pas à vous non plus ? Ce n’est pas celle que vous vouliez entendre aujourd’hui ? Vous pouvez toujours vous abriter derrière des bergers mercenaires qui vous raconteront de belles histoires cajolantes et mensongères. Moi, c’est l’histoire du berger qui nous a aimé à la folie que je suis chargé de vous raconter, l’histoire du berger que nous avons transpercé par nos péchés mais qui, du haut de la croix, nous a pardonné, du berger mort et ressuscité qui nous sauve de la gueule du loup et veut nous porter sur son cœur (Is 40, 11).

 

[1] Philippe Muray, « Préface », Le xixe siècle à travers les âges, Paris, Gallimard (coll. « Tel »), 1999, p. 124.

Frère David Perrin

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