« Vous êtes le sel de la terre » 

par | 9 février 2020

Frère Guy Touton

« Vous êtes le sel de la terre » 

Ça c’est une nouvelle, Seigneur ! Tu fais bien de nous dire que nous sommes le sel de la terre et la lumière du monde, parce que cela ne va vraiment pas de soi. Je sens même qu’une certaine réserve de notre part ne serait pas de trop. On se prend si vite pour ce qu’on n’est pas, ne serait-ce que pour se croire au moins quelque chose, ou quelqu’un, au mieux. On a tant besoin d’un minimum de reconnaissance. Mais même cela tu l’as balayé d’une traite avec ton « vous êtes des serviteurs inutiles », ou « quelconques », selon la traduction. Heureusement que tu as dit « Je ne vous appellerai plus serviteurs mais amis ».

   « Vous êtes le sel de la terre ». Mais comment cela se fera-t-il, je ne connais point une telle ardeur de saveur en moi ? Je serais plutôt du genre flouté. Le goût de toi est loin d’être toujours en moi, et parfois je m’en dégoûte moi-même. « Vous êtes la lumière du monde ». Mais comment cela se fera-t-il, je ne connais point une telle luminosité en moi, j’ai tant de zones d’ombre, tant de contradictions à lever, d’épaisseur à traverser. C’est long le voyage à travers sa propre épaisseur, mon dieu que c’est long ! D’ailleurs on peut ne jamais l’avoir entrepris, ne ressentant même pas sa propre épaisseur. Est-ce que Simon-Pierre avait senti et touché sa propre épaisseur avant de rencontrer Jésus pour la première fois au bord de l’eau ? Je ne pense pas. D’où le choc violent, et l’aveu très touchant, si humain : « Eloigne-toi de moi, Seigneur, je ne suis qu’un pauvre pécheur ! ».

   Avant de te croire le sel de la terre, comme si cela relevait de toi, peut-être faudra-t-il d’abord te sentir quelque peu insipide, un rien fade, ou surfait, si ça se trouve, ou bancal, péroreur de toi-même, limité de tous les côtés de toi. Peut-être faudra-t-il être corrosif avec toi, comme l’est toujours le sel si tu le laisses faire. Conversion bien ordonnée commence par soi-même. Sans doute faudra-t-il cesser de regarder d’abord les défauts et les failles des autres, personnels et d’époque. Souvent on n’est qu’en train de projeter ses propres ombres sur eux, comme les toitures les leurs. Avant tout commence par te laisser saler par la parole de Jésus. C’est elle qui relève de toute fadeur, c’est elle qui te relève d’entre les illusions mortes. Mais si elle ne brûle pas comme du sel, fais-toi du souci.

   Avant de te croire la lumière du monde, descends en toi d’abord, va à la cave, là où ça sent les envies moisies, les déceptions entassées, les redites recuites. Et dis, du fond de tes limites de tous côtés : viens, Jésus, descends jusqu’à moi, pose sur moi ton regard, nourris-moi de Toi, que ta lumière perce mon épaisseur dénutrie, que je finisse par la voir plus souvent que je suis dans le noir, ou la pénombre, entassé sous ma propre impuissance. Que je brille d’abord devant toi par ma pauvreté acculée avant de briller par mon témoignage devant les hommes. Il n’y a pas plus beau lampadaire que l’humilité. Et, si je viens à briller de ta lumière devant les hommes, que je sois le dernier à le savoir.

Frère Guy Touton

Frère Guy Touton