800 ans d’histoire à Bordeaux

Depuis en 1230, année où l’Ordre des Prêcheurs s’installa à Bordeaux, jusqu’à nos jours voici l’histoire de l’aventure dominicaine à Bordeaux.
Notre Couvent de la Vierge du Rosaire comptant environ 25 frères est un couvent de formation, accueillant et formant les religieux, frères profès simples étudiant la Philosophie, la Théologie fondamentale, l’Ecriture sainte, le latin et le grec, au sortir du noviciat (Marseille) et avant d’aller étudier la Théologie (Toulouse).

Là comme en d’autres lieux, l’Évangile est annoncé, le Seigneur loué, honoré, prêché. Il nous y bénit comme il le fait pour chacun, depuis notre « Sainte Prédication » de Bordeaux.

Le début des dominicains
Dominique mourut en 1221 à Bologne. Dès  1221 aussi, Bayonne avait un Couvent de Frères Prêcheurs, ses religieux rayonnant jusqu’à Bordeaux ! L’archevêque Gérard de Malemort tint dès lors à les avoir dans sa ville. En 1230, l’Ordre des Prêcheurs s’installa à Bordeaux.

Outre le désir de l’archevêque, un bourgeois de la ville y œuvrera : Amanieu Colombi. Il donna une grande part de sa fortune pour cet établissement ; l’archevêque en fit de même. Une église à trois nefs fut bâtie, voûtée pour la moitié, bâtie près de ce qui deviendrait les Allées Tourny et les alentours de la Place des Quinconces. Elle était aussi à l’époque sur la vaste paroisse de Saint-Seurin.

En 1274, le Chapitre provincial décide de diviser sa province en six « Vicairies ». Ainsi Agen, Saint-Emilion, Orthez, Morlaas, Condom et Auch, vont être liés à celle de Bordeaux.

Le Couvent de Bordeaux accueillit aussi des Chapitres Généraux ; dès 1277, puis en 1287 et 1324 – trois en moins d’un demi-siècle, ou dans le premier siècle de son existence.

Le Couvent de Bordeaux donnera aussi un Maître de l’Ordre, pas seulement un Vicaire de l’Ordre : Bernard de Jusic, né près d’Agen, étudiant à Bordeaux, entré chez les Prêcheurs, professeur dans divers couvents, et prieur à Bordeaux en 1286 puis en 1292. Il sera enfin élu Maître de l’Ordre en 1301.

Le premier siècle du Couvent de Bordeaux est donc à remarquer. La qualité de ses religieux, ses lecteurs, ses spirituels, ses prieurs, ses dons de multiples de frères à l’église comme évêques, voisinent avec une réelle difficulté à propos des rapports avec le clergé de Bordeaux, ce qui n’est pas le cas avec les archevêques, en général. La crispation est liée à des questions d’argent, à propos du droit de sépulture, et à des missions venant directement du Pape, le régime d’autonomie venant de cette « dispense » limitant parfois l’autorité épiscopale sur le diocèse. Le couvent est désormais établi, au sein d’un siècle difficile.

Au XIVème siècle, le Couvent des Dominicains abritait près d’une centaine de frères.

On doit noter durant ces deux siècles le contexte politique éprouvant, un fond de violence civile. La Guyenne étant troublée, dévastée durant ce XIIIème siècle, calamités dues aux mercenaires, les Bandes de routiers ou les Grandes compagnies, aux baillis et sénéchaux anglais, violant les immunités accordées aux églises par les mandataires du roi d’Angleterre Henri III. Une solution n’adviendra qu’au XVème siècle, avec le roi Charles VII (1422 à 1461), lié à l’épopée de s. Jeanne d’Arc, sacré à Reims le 17 juillet 1429. Combattant les Anglais, il obtint la victoire de Castillon-la-Bataille en 1453, et met fin à la guerre de Cent Ans.

Nous retrouvons notre Communauté au XVIIème siècle, avant le nouveau couvent. La décadence gagna…. La règle n’est plus alors suivie en bien des domaines et un religieux belge, Grégoire de Mons, observant, ayant rejoint cette communauté, l’écrivit étant alors le seul à vouloir suivre ce qui était prescrit. A cette époque, le P. Sébastien Michaëlis avait commencé une réforme dominicaine. Le P. Secchi, Maître de l’Ordre décida alors que le Couvent de Bordeaux deviendrait Maison d’Observance. Une vie d’étude d’une rare qualité viendra ponctuer ce renouveau de l’Ordre à Bordeaux.

Le Père Souèges qui par ailleurs aura de l’influence sur la vie spirituelle des moniales dominicaines qui s’installent sur Bordeaux, confiera à propos des études thomistes de son couvent : « C’est une chose assez connue qu’il n’y a point de province dans tout l’ordre où on étudie mieux que chez les réformés ; car (…) comme on y inspire un désir plus ardent de l’observance générale des règles et que celle des étudiants porte de lire ou méditer continuellement dedans et dehors le couvent, et d’apprendre par cœur tout ce qu’on pourra pour mieux exercer la mémoire, c’est une chose toute évidente que dans l’ordre de saint Dominique, être véritablement réformé, ou pour parler plus clairement grand observateur de ses règles, et être savant, sont comme deux termes synonymes qui signifient la même chose ».

Les changements entre les 17ème et 18ème siècles
Ainsi donc la maison d’études, finalement rétablie sous l’impulsion de la Congrégation de la Réforme et du Maître l’Ordre, est vraiment établie en 1622 par le Chapitre général. Puis vint la période de ce Couvent, place du Chapelet … après une période de migration

Les circonstances qui amenèrent à l’édification du couvent des Jacobins restent celles du contexte socio-politique. Des révoltes avaient secoué les années 1673 contre l’instauration du papier timbré,et 1675 contre un impôt sur le tabac et le droit de marque de la vaisselle d’étain. Les révoltes contre les impôts sont toujours les plus durement réprimées par l’autorité. Le roi pour établir son autorité décide d’élargir le glacis autour du Château-Trompette pour en faciliter la défense.

En 1678, le Couvent des Prêcheurs et plus 300 maisons sont rasés. Le remboursement se fera sur plus de cinquante ans comprenant les intérêts ; et les matériaux restent la propriété des religieux.

En 1680, Vauban demandait que l’on précisât aux Prêcheurs de ne point voûter leur église ; ainsi se prémunissait-il d’une éventuelle utilisation par des canons contre la citadelle du roi. Cette recommandation fut levée, mais nuancée en 1700 par le Roi qui autorisera une voûte épaisse d’un demi-pied. Toutefois, la voûte ne fut guère solide, les pierres non plus, et avec le temps, malgré des travaux réguliers de toiture, finalement s’effondra au siècle passé.

Commencé en 1683, après l’achat d’un terrain le 23 avril, ce couvent ne fut vraiment achevé semble-t-il qu’en 1707 avec le clocher de l’église Notre-Dame, son clocher et deux cloîtres, comme c’était le cas dans le précédent ensemble conventuel. Entre-temps, près de trente ans s’écoulèrent. Les frères aménagèrent pour l’essentiel dans des bâtiments proches.

Par ailleurs, le fr. André est le peintre recherché dans l’Ordre des Prêcheurs pour ce type de projet iconographique. De 1718 à 1741, frère André sera pour l’essentiel le peintre de ces grands tableaux. Les frères sont déjà depuis plus de dix ans entrés en ces lieux.

Cette ville étant un Parlement et un des grands passages du Royaume pour les étrangers ou les autres provinciaux, il y a en réalité plus que 45 frères – notait le prieur en 1695. Beaucoup d’autres frères séjournaient donc dans le couvent ou y passaient pendant quelques jours.

Le couvent bénéficiait alors d’un statut reconnu ou d’une aura justifiée depuis plusieurs dizaines d’année en matière de d’étude et d’école thomiste.

Sous Louis XVI en 1790, l’Assemblée Nationale décréta la mise à disposition de la nation des Biens ecclésiastiques et la Société des amis de la Révolution occupa les lieux. L’église devint Temple de la Raison et Temple de l’Etre suprême. Pour un temps, la communauté dominicaine n’est donc plus à Bordeaux.

Cependant, l’église, retournée au culte catholique deviendra Église Saint-Dominique : elle aura été la cathédrale de Bordeaux du 15 août 1802 au 14 juillet 1803 – puis Église Notre-Dame, et paroissiale, à partir du 4 mai 1803.

Le couvent pour sa part fut réquisitionné en 1797 pour entreposer des vivres de guerre.  En 1883, ce fut une École de Santé Militaire. C’en était fini de son lien organique avec la vie de son église Saint-Dominique, et avec la vie ecclésiale.

Du 19ème siècle à nos jours
Quant aux dominicains, s’ils étaient partis en 1790, ils repartiraient encore en 1883. Nous retrouvons notre communauté du XIXème au XXIème siècle. Dans notre famille religieuse, la figure de Henri Lacordaire, du frère Henri-Dominique ou plus le Père Lacordaire vient secouer le XIXème siècle redevenant catholique missionnaire. On le voit spécialement pour notre Ordre des Prêcheurs. Avocat, prêcheur, personnalité marquante, l’abbé Lacordaire publia en 1839 un Mémoire pour le rétablissement des Frères Prêcheurs, puis il entra au noviciat dominicain à Rome.

Plus tard, le voici venant à Bordeaux du 24 novembre 1841 au 11 avril 1842.
Maître en communication, toujours prêt à prendre à témoin le monde pour tout projet devenu alors difficilement contestable, sa prédication bordelaise attire notre attention.
Car chez Lacordaire, la prédication est un mot ample et grave ; elle lui donne une occasion politique, sociale à saisir ou à vérifier. Venir en province est selon lui à privilégier, car il y a là une population lettrée qui a peu entendu la Parole de Dieu.

Concrètement, il donna à Bordeaux une série de 16 conférences à la Cathédrale, du 28 novembre au 28 mars se donnant ainsi l’occasion de rencontrer beaucoup de monde dans le clergé, à commencer par l’archevêque, Mgr Donnet qui souhaitait sa venue et l’installation dominicaine. Lacordaire descendit d’ailleurs à l’archevêché, alors rue de Cheverus. Inconnu dans cette ville, il voulut rencontrer le monde socio-politique et intellectuel, afin de mieux reconquérir l’opinion publique, et celui de la jeunesse catholique, celle du petit séminaire comme celle des étudiants.

On ne peut y insister ici, mais c’est alors, le 10 avril 1842, qu’il sera vu par le futur Bienheureux Jean-Joseph Lataste, alors prénommé Alcide, né à Cadillac ; cette rencontre fortuite marquera cet enfant de 10 ans, puisque Lataste écrira au P. Lacordaire quinze plus tard, de Pau, lorsqu’il sera prêt à rentrer dans la vie religieuse. Et la réponse que lui fera le P. Lacordaire l’amènera à opter pour la vie dominicaine.

Les conférences seront au-delà du succès. La foule se presse : la nef est pleine et les estrades ajoutées sont aussi remplies bien avant l’heure. A la dernière, on a dit que 5000 ou 6000 personnes étaient présentes.
Les dominicains sont alors partis de Bordeaux depuis plus de 50 ans, mais Lacordaire vient d’y arriver pour les y rétablir. De ses 16 conférences, parmi celles qui satisfirent le plus Lacordaire, rien n’est écrit. L’improvisation a été complète.
On doit aussi faire mention de diverses rencontres comme celle avec Auguste Nicolas et ses Etudes philosophiques sur le christianisme qui seront publiée, préfacées par Lacordaire ; rencontre aussi que le 9 janvier 1842 : avec 2000 jeunes venus le rencontrer devant l’archevêché ; et il faut noter de la « bataille de l’habit » que Lacordaire porta lors d’un dîner chez le préfet avec l’archevêque, puis chez le premier président et le procureur général. L’habit est donc accueilli et reconnu ; c’est une victoire. Il est mentionné dans la presse ; médiatiquement, c’est gagné. Et le recteur d’académie, et les séminaristes, et la conférence saint-Vincent de Paul, et la Maison de la Miséricorde pour les jeunes filles en difficulté. La trace de la présence de Lacordaire restera plus de vingt ans après, on en parlait encore, les églises restaient plus fréquentées.

Plus tard, en 1856, le P. Souaillard étant venu à Bordeaux, une communauté (4 frères) put s’installer dans une maison rue Mouneyra, grâce à la famille de Ravignan. Proche du Tribunal certes, éloignée du centre, cette maison ne convenait pas : un terrain fut acheté rue de la Salpêtrière, aujourd’hui rue Lhôte (près des rue Huguerie et Carrefour Tourny) et on construisit. En 1862, chapelle et cloître sont là. Mais … en 1883, viennent les expulsions.

Peu à peu les frères reviendront à Bordeaux et à la rue L’hôte. Mais voici que vingt années plus tard les expulsions se renouvellent. Nous avons des rappels de ces heures dramatiques qui frappent un Vendredi-saint 1903.
Les journaux de l’époque du « Nouvelliste » ou « La Croix » du 9 avril 1903 jusqu’au 29 mai où l’audience a lieu. La population aura soutenu les frères depuis le début.
Et cependant l’expulsion a lieu le 5 juillet à 9 heures.

La foule (parfois 600 personnes) aura accompagné les multiples déplacements des quatre Pères dont le P. Raynal. De correctionnelle en appel, malgré l’appui des bordelais et celui de l’archevêque alors tertiaire dominicain, le Cardinal Lecot, les dominicains seront par ruse et force expulsés de leur local rue Lhôte. Ils trouveront un temps refuge chez leur avocat, Maître Brejon, pour déjeuner notamment, au 4 rue Cabriol,.

Les Dominicains reviendront… comme d’autres religieux ; ils en avaient acquis l’habitude. Après la 1ère Guerre Mondiale, d’autres lieux les accueilleront : d’abord, une maison importante rue Saint-Genès, face à la rue Duluc, où une chapelle fut alors bâtie, à la gauche de la maison, chapelle détruite lors de la vente de la maison.

En 1980, le chapitre provincial ayant décidé que le Couvent de Bordeaux abriterait un couvent de Formation, peu d’années plus tard, le nombre de frères devenant trop grand, se posa la question d’un déménagement vers un lieu plus apostolique où par la prédication, la liturgie, les contacts, les rencontres, la vocation dominicaine aurait à rayonner en ville. Pendant plusieurs années, des recherches se firent, des idées germèrent… Le centre-ville nous intéressait.

Dans les années 1988-1990, sous la municipalité de M. Jacques Chaban-Delmas, l’archevêque étant le Cardinal Pierre Eyt, le prieur conventuel fr. Jean-Louis Bruguès et le syndic fr. Jean-Philippe Rey, put être discuté le lieu de la paroisse Saint-Paul d’alors, lieu accepté, déménagement et aménagement des bâtiments opérés, pour que nous puissions y demeurer.

Est-ce un clin d’œil divin ? Mais nous sommes aujourd’hui, depuis 1991-1992, dans l’église anciennement saint François-Xavier, jésuite, édifiée quelques années avant celle de Notre-Dame, bâtiment lui aussi exceptionnel qui exprime une spiritualité propre, passée dans la pierre.