Je vous propose d’aborder le difficile thème de la souffrance. C’est risqué, j’en conviens, surtout ici à Lourdes, qui en est comme le fief et le symbole. Le mot « thème » a l’air de laisser croire que la souffrance serait un sujet comme un autre, abordable de l’extérieur, la raison partant à son assaut. Or l’ingrate, par cercles concentriques, entre dans les chairs, harcèle et harasse l’esprit, peut vous mettre K.O, vous anéantir. Il suffit d’un méchant mal de tête pour empêcher un philosophe, d’une crise d’hémorroïdes pour ruiner une oraison. Je ne parle même pas de ce lent cancer qui vous mine à petit feu, ou de la terrible sclérose latérale amyotrophique qui vous ôte au fil du temps la faculté de bouger, de parler, de manger, de respirer, votre lucidité demeurant intacte, surnageant comme une île. Je vais laisser à l’ombre de la Croix bien des malheurs, de peuples et de personnes, comme ces violences familiales, sociétales, ces souffrances de rue, alcool, drogue, déchéance. L’angle d’approche de mon propos sera celui d’un modeste aumônier d’hôpital. Il suffit d’être encore jeune pour dire sur la souffrance des choses que, quand on y passe, on ne supporte plus d’avoir prononcées. Je serai donc prudent, tout en me disant que je suis encouragé à parler par l’Evangile même de la Croix.

On a coutume de distinguer douleur et souffrance, la première désignant les maux physiques, la seconde les douleurs morales. Cette distinction est justifiée, bien qu’il faille aussitôt préciser que des maux physiques peuvent être la conséquence de douleurs morales intenses, et réciproquement. Comme cette personne rencontrée à l’hôpital souffrant atrocement d’un eczéma géant depuis le décès de son mari, ou cette dame de grand âge attendant indéfiniment qu’on lui trouve enfin une place dans un centre pour personnes âgées. Elle n’avait pas de douleurs physiques particulières, les médecins avaient réussi à la calmer ; mais elle souffrait de devoir attendre ainsi dans le vide des journées. Un jour, la visitant, elle se plaignit à voix basse de picotements sous les fesses. Les infirmières débordées n’avaient pas eu encore le temps de la changer, l’urine commençait à la brûler. Ca l’humiliait. Elle en souffrait dans sa dignité, qui n’est pas localisable dans la chair. Ce qui nous met sur la piste du mystère de la personne. Et que dire du patient qui s’agite soudain sous les draps, hors de lui-même, et qui cinq minutes avant a dit au prêtre qu’il est dans la paix ? Où sommes-nous quand le corps et l’esprit sont secoués comme un sablier, la chair déréglée ? Sans doute surtout dans notre âme, notre dedans inviolable, qui empêche qu’on réduise un patient à sa maladie, à ses diminutions, à son handicap, à … « un légume ».
Certes, on ne voit plus dans les hôpitaux publics des personnes se tordant de douleurs dans leur agonie, livrées en pâture à leur propre corps. Remercions au passage la médecine pour les si grands progrès accomplis. Mais la douleur physique existe toujours, -il suffit d’une vilaine escarre, d’avoir la gorge en feu sans pouvoir boire une seule goutte, d’être obligé de se lever toutes les heures pour uriner, ou de ne pouvoir dormir des nuits durant-. Le temps de la mise en place du protocole de soins peut paraître très long. Et les souffrances morales ne se soignent pas avec de la chimie, si l’anxiété peut être secourue avec un anxiolytique. Imaginez jour après jour la détresse d’une épouse devant son mari alzheimer qui ne la reconnaît plus…
Je ne sais plus qui a dit, non sans humour et bon sens, « Seigneur, délivre-moi des souffrances physiques, des morales je m’en charge ». C’est que la chair tire autant que l’esprit peut chanceler, et l’esprit souffrir, mais autrement, autant qu’un organe vital atteint. Et une douleur au pied que celui-ci supporte fort bien fera peut-être rendre ronchon votre conférencier.
Que peut dire un disciple du Christ qui n’ajoute pas à son enseignement des choses douteuses ? En quoi Jésus peut-il nous aider ? Qu’apporte t-il de nouveau, avec sa croix, si difficile, et sa résurrection, si incroyable ? Sa personne éclaire t-elle vraiment la solitude de celui qui souffre, toutes les solitudes de ceux qui souffrent, l’immensité des souffrances dont le trait commun, qui les rend solidaires, est d’isoler d’angoisse, d’hébétude et d’incompréhension. Non seulement la souffrance vous scinde en deux, quand elle est intense, ou chronique à vie, mais aussi vous coupe souvent de ceux que vous aviez cru être vos amis.

Quel sens ?
Comment donner un sens à ce qui vous accable, vous triture, vous défait, vous met hors de vous ou tout simplement vous diminue ? On peut dépendre de lourdes thérapies, voir se rétrécir la sphère de sa liberté -à la fin il ne reste que le lit ou le fauteuil-, se sentir humilié par le regard d’autrui, être amené à affronter sa propre image de personne qui n’a plus que les os et la peau. On se sent alors aussi seul que chacun est unique.
Donner une valeur à la souffrance n’est-ce pas la banaliser, ou la mettre plus haut qu’elle n’est, alors qu’elle est le symptôme d’un dysfonctionnement physiologique, et finalement une question terrible, qui fait trembler, un drame pour les proches qui assistent impuissants, un scandale pour l’esprit. Car la souffrance en fait tomber plus d’un dans la révolte, l’aigreur abasourdie, comme elle peut tout aussi bien être l’occasion d’un développement intérieur lumineux et de relations d’une belle vérité. A ce sujet je ne peux qu’adhérer à la sagesse de l’Eglise sur la question de l’euthanasie. Pour tenir ferme la dignité de la personne, elle encourage le maximum de soins et de relations, mais combat l’acharnement thérapeutique quand l’heure inexorable approche.

1- Attitudes et mentalités

le stoïcisme : « rester stoïque dans la tempête ». Le stoïcisme est cette sagesse grecque du IV°s. avant notre ère. Sa philosophie pourrait se résumer à ce propos fameux d’Epictète : « Ne demande pas que ce qui arrive arrive comme tu veux, mais veuille que les choses arrivent comme elles arrivent, et tu seras heureux ». Dans mon enfance campagnarde j’ai souvent rencontré cette sagesse chez les paysans. C’était la philosophie du brave Prosper que j’aimais beaucoup, avec sa cigarette toujours pendante. Il ne croyait pas trop au ciel, il n’y était pas opposé non plus, ça le dépassait complètement. Il disait : « Oh, Oh ! Guy, on sait ce qu’on laisse, on ne sait pas ce qu’on trouve ! ». Prudent, Prosper, très prudent ! Un peu trop, à mon goût. Sacré Prosper !
Que dit cette sagesse ? « Ne demande pas que ce qui arrive arrive comme tu veux », tu demanderais l’impossible, tu serais idéaliste ; mais, « veuille que les choses arrivent comme elles arrivent », c’est-à-dire il faut que tu t’y fasses, que tu te coules dans le sort qui t’est fait, au lieu de te regimber en te rendant malheureux. C’est le fameux : « C’est comme ça, on n’y peut rien ». « Sustine et abstine », supporte (ce qui t’arrive) et abstiens-toi de tout ce qui peut aider à ce que ça arrive. Quand ça arrive malgré toi, accepte, voilà tout, c’est ton destin. Mais qu’advient-il quand sa propre volonté est touchée, et la déchéance trop fortement ressentie ? « Je ne maîtrise plus rien » m’a dit pathétiquement cet homme hier encore aux affaires.
Certes, Jésus a « durci sa face » nous disent les évangélistes en montant vers Jérusalem pour vivre son martyre, mais il est mort dans un « j’ai soif » tout humain, dans le cri bouleversant « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » qui ouvre le psaume 21 d’espérance nue. Il n’est pas mort en Héros, qui brave la souffrance, et sait en montrer avant de tomber sur le champ d’honneur, ni en Sage qui s’accorde à la chose qui arrive, mais en Saint qui s’offre dans ce qui le brise. D’ailleurs ni le Héros ni le Sage n’auraient eu le génie de proclamer ce qu’il annonce et pour cela de se faire tuer. Finalement la Résurrection vient confondre l’horreur de la violence infligée et nous enseigne à ne pas vouloir que les choses arivent comme elles arrivent, quand elles nous détruisent, mais à nous mettre à l’école du Christ, qui a continué à croire au Père malgré ce qui arrive.

Dolorisme et masochisme
Le dolorisme, c’est-à-dire un amour plus ou moins morbide de la souffrance pour elle-même. Derrière le dolorisme, qui a beaucoup marqué le christianisme, il y a cette idée que plus je souffre plus je montre à Dieu que je l’aime ; et c’est comme si moi-même je payais ma dette de souffrance après les souffrances du Christ. Souffrir alors est vécu comme une grâce, une manière de justice qui peut se muer en grand désir d’amour : « Je désirais beaucoup souffrir, et je suis exaucée. J’ai beaucoup souffert depuis plusieurs jours » , dit sainte Thérèse de Lisieux. Mais Thérèse, issue d’un siècle encore marqué par le jansénisme, a évolué. Elle demandera par ex. qu’on enlève vite de sa table de chevet tout ce qui pourrait lui donner des idées de suicide. Demande qui choqua à l’époque au point que ses sœurs la biffèrent de ses carnets. C’est que la souffrance, quand elle vous tient, s’en prend justement à ce que Dieu nous a donné de plus cher et de plus ressemblant: notre liberté. Un homme peut s’élever très haut dans la fournaise de ses souffrances, mais bien des êtres s’y abîment, prostrés. Aussi sommes-nous quelque peu sur nos gardes, dans notre admiration, devant ce qu’écrit le moine du XIV°s. Thomas A. Kempis dans sa célèbre Imitation de Jésus-Christ :
« Sache, de science certaine, qu’il te faut absolument mener ta vie la
mort au ventre… Rien n’est plus salubre pour toi en ce monde que de
souffrir de plein gré pour le Christ…S’il y avait pour l’homme quelque
chose de meilleur et de plus utile que de souffrir, Jésus-Christ nous
l’aurait appris par ses paroles et par son exemple. Lorsque tu en seras
venu à trouver la souffrance douce et à l’aimer pour Jésus-Christ, alors
estime-toi heureux parce que tu auras trouvé le paradis sur la terre ».

Au cœur du creuset je n’ai rencontré personne qui la bénissait, ou bien le patient oublie qu’on l’a branché ! Car la souffrance est aveugle, et peut durer et durer au-delà des forces, ne comptant pas ses jours et ses nuits. A quelqu’un, bien portant, qui disait à une malade atteinte d’un cancer, « c’est le signe que Dieu vous aime », le malade répondit « dites-lui de cesser de m’aimer ». La grande ambiguïté du dolorisme c’est d’avoir mis trop l’accentsur lessouffrances à endurer, au détriment de la personne qui les supporte. On peut le comprendre à une époque où la science médicale était impuissante à soulager les douleurs. Pour suppléer, la religion offrait un discours de sublimation qui avait sa grandeur, et permettait à ceux qui enduraient le martyre de donner un sens à leurs souffrances. Mais cette survalorisation de la souffrance n’est guère plus possible aujourd’hui. D’abord elle est combattue avec acharnement parce qu’on sait maintenant que les substances qu’elle secrète dans le cerveau sont nuisibles à la personne, que l’organisme stocke cette souffrance, qui finit par invalider par réactivation, par hébéter, dépersonnaliser, ce qui ne peut qu’émouvoir un chrétien, farouche défenseur de la personne créée à l’image de Dieu.
Déjà un saint Vincent de Paul, XVII°s., s’il affirme « l’état de souffrance est un bonheur car il sanctifie les âmes » écrit aussi : « L’amour ne peut demeurer oisif, il faut secourir le malade et l’assister autant qu’on peut dans ses nécessités et dans ses misères, et tâcher de l’en délivrer en tout ou en partie ».

2- Dans l’Ancien Testament
Dans l’Ancien Testament la souffrance est perçue comme le signe de la malédiction divine, d’un châtiment. « Arrive t-il un malheur dans une ville sans que le Seigneur en soit l’auteur ? », ose dire le prophète Amos. La maladie, la lèpre par exemple, qui vous met à l’écart de la cité, pour éviter toute contagion, est le signe que vous êtes pécheur. Il n’y a point d’autres explications. Le mal qui vous frappe ne fait qu’extérioriser une souillure intime. On retrouve cette mentalité jusqu’à l’époque de Jésus : « tu es pécheur depuis ta naissance, et tu voudrais nous faire la leçon ! », crient les pharisiens à l’oreille de l’aveugle de naissance, Jn 9. A l’inverse, dans cette religiosité du pur et de l’impur, la richesse et la santé sont les signes que vous êtes bénis de Dieu, avec toutes les cautions d’injustice que cela suppose et les comportements arrogants. Mais le livre de Job soulève la terrible question du malheur de l’innocent, de la souffrance du juste. Job, riche propriétaire terrien, à qui tout réussit, « est un homme intègre et droit qui craignait Dieu et se gardait du mal » » Jb 1,1. Le malheur lui tombe dessus, il perd tout, et son honorabilité. Des représentants de l’explication traditionnelle, de faux amis, l’enfonçent encore plus, sous-entendant qu’il ne devait pas être si juste que ça puisque maintenant il est anéanti. Job continue de crier son innocence. Pour réponse, Dieu finit par le justifier et le renvoie aux merveilles de la création comme à un immense contrepoids à méditer. Job est rétabli dans sa santé et son honneur. C’est sans doute un peu trop « tout est bien qui finit bien », mais ce grand livre a le mérite d’avoir enfin soulevé l’énorme question. Le Seigneur s’y révèle le Dieu de l’Alliance des Pères, Celui qui dans le même mouvement manifeste son absolue transcendance à Moïse et sa grande proximité, comme principale qualité de sa tendresse : « J’ai entendu les cris de misère de mon peuple ».
3- La grande lumière de Jésus
Jésus rompt clairement le lien établi maladie-péché-malédiction. Il promet et vient peser de toute sa présence de guérison et d’écoute. Par les guérisons il manifeste que Dieu n’a pas voulu et ne peut vouloir la maladie, qu’il n’a aucune complicité ave le malheur qu’il combat de toute sa puissance de salut reçue du Père. Les miracles de Jésus sont les signes avant-coureurs de la victoire définitive de Pâques, quand « il essuiera toute larme de nos yeux », Ap. 7,17. Chaque guérison de Jésus contredit l’ordre du mal et annonce sa défaite future. On peut bien tenter de l’expliquer par le péché originel qui n’y est sans doute pas étranger, encore qu’il faille distinguer la souffrance liée à la finitude de toute chair, et celle qui est la conséquence du désordre introduit. Mais si l’explication se veut générale et universelle, plongeant jusqu’aux racines du malheur, la souffrance, elle, est personnelle, intime, organiquement et psychiquement unique. Celui qui souffre, devant pareille explication, pourrait vous regarder, l’air de dire « ça me fait une belle jambe ! ».
Jésus offre sa présence et nous unit au mystère de la Croix. Parce que lui-même est descendu dans le néant de la mort, pour la vaincre, et qu’il nous a laissé son sacrement, toute souffrance et tout malheur sont unis ou peuvent être unis à sa puissante charité rédemptrice. De même que la Parole de Dieu, d’après le psaume, ne lui retourne pas sans effets, de même aucune souffrance dans le Christ ne retourne désormais à son absurdité fondamentale Le sacrifice de l’eucharistie, qui fait mémoire de l’offrande du Christ transperçant les temps, unit à lui toutes souffrances, toute forme de générosité et d’amour pour ceux qui souffrent ou sont dans le besoin.
Aujourd’hui encore, et jusqu’à la fin des temps, Jésus se donne dans le Pain et le Vin de l’eucharistie, dans la Parole à méditer et à consommer, pour que malgré l’épreuve nous tenions dans la foi : « donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour », ou mieux « donne-nous aujourd’hui notre pain pour tenir jusqu’à demain »., jusqu’à ton retour. L’Eglise propose les sacrements des malades, de la réconciliation, et de l’eucharistie à ceux qui souffrent pour qu’au lieu de ne se fixer que sur leurs souffrances, dans un face à face insupportable, (la maladie crée des fixations), le souffrant fixe son esprit sur le Christ, se mette à son école, découvre sa charité : « Fixant nos yeux sur le chef de notre foi qui endura une croix », He 12,10.
Lui-même en sa Passion est devenu « familier de la souffrance », Is. 53,3, tout comme il montra pendant son ministère sa compassion, reflet de celle du Père. Jésus a bu à la coupe de l’absolu dépouillement de l’amour-propre : « Jésus, de condition divine, n’a pas retenu comme une proie le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est dépouillé lui-même…», Ph.2,6. Ce dépouillement se manifeste dans la descente du Fils dans la chair, dans cette Incarnation qui ne fut jamais du théâtre, dans cet amour qui alla jusqu’à la perte de la vie par le don de soi le plus vertigineux. Au coeur de l’épreuve qui nous accable nous pouvons aimer ce Dieu qui est allé si loin pour nous rejoindre. Le message évangélique, porté par le bouleversement de la Passion, invite ceux qui sont accablés à se saisir de leur malheur pour entrer en conversion, ouvrant les yeux sur Celui qui peut les guérir et surtout les sauver, leur montrant un tout autre amour.
Avec sueur et sang Jésus n’a pas craint de s’avancer « comme un agneau à l’abattoir ». Mais un Agneau qui en impose par la fermeté de son témoignage, renvoie la violence à ses ténèbres, rompant la spirale de la haine par le pardon : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Nous saisissons mieux ce qu’il dit aux pèlerins d’Emmaüs : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire ? », Lc 24,26. Il fallait, effectivement, qu’il jetât tout le poids d’amour qui est en Dieu dans ce cauchemar qui remonte à la nuit des temps. Que celui qui souffre s’en souvienne. Quand tout s’en va et tire, il est invité dans la foi à faire mémoire de son Seigneur qui « essuiera toutes larmes de nos yeux ».

On peut toujours embrasser le bâton qui vous frappe, trouver un plaisir étrange et pervers à souffrir. Telle ne fut pas l’attitude de Jésus qui d’abord a cherché à vivre et témoigner, s’échappant à plusieurs reprises de la violence de ses détracteurs. S’il a embrassé la croix, c’est-à-dire le martyre, c’est pour en crucifier l’ignominie, en tuer la haine qui l’a dressée : « En sa personne il a tué la haine », Eph 2,16. Sa mort est le fruit mûr de sa charité, puisque l’amour peut aller jusqu’à donner sa vie. Il ne faut pas comprendre le fameux « afin que s’accomplissent les Ecritures » comme l’exécution servile d’un plan préétabli. Les desseins de Dieu ne sont pas les couloirs d’un abattoir. Si un Destin commande à Dieu comme la nécessité commande au loup, alors Dieu n’est pas Dieu. « Pour que s’accomplissent les Ecritures » est à entendre comme la fidélité à sa parole d’un Dieu essentiellement libre, qui a réfléchi de toujours à toujours à la réponse qu’il donnerait au mal de violence et de malheur qui se perd dans la nuit des temps. Jésus a transformé l’épreuve de force en destin mûrement choisi, en sacrifice personnel. Bien avant la fondation du monde, au sein même de la Trinité il est celui qui fait don au Père de sa personne. Il est « l’Agneau égorgé » de l’Apocaypse, qui devient notre pasteur, l’innocent inaltérable Amour.
Jésus invite ses frères à emprunter le même chemin pascal. Aussi nous faut-il à notre tour « souffrir avec le Christ », « boire à la coupe » pour « entrer dans sa gloire ». « Si nous souffrons avec lui, avec lui nous serons glorifiés », dit saint Paul, c’est-à dire nous entrerons dans la lumière du Royaume, baptisés dans l’épreuve même. La souffrance elle aussi est de passage. La mort elle aussi est mortelle ! Notre héritage, c’est la vie éternelle, goûtée en ce monde dans les sacrements, avant que de le voir face à face. Une phrase de l’apôtre Pierre me bouleverse : « C’est par ses souffrances que nous sommes guéris ». Il ne dit pas, comme on aimerait l’entendre, c’est par son amour que nous sommes sauvés, il dit bien « c’est par ses souffrances ». Vous avez là toute la théologie de la Passion et du salut, car Dieu a tant aimé le monde que son amour a pâti dans la chair. Ce n’est pas un amour resté invisible qu’il faudrait croire, mais un amour qui a pris chair, et tous les coups du martyre. Les souffrances du Christ sont la preuve de son amour. De même qu’on ne saurait séparer le corps et l’âme, ne séparons pas les souffrances du Christ de son salut, et nos souffrances des siennes. De sa croix il attire tout à lui. Il nous a rejoints où la souffrance nous disjoint, et la baptise dans la lumière de la résurrection. Voilà notre espérance .

4-Questions qui nous brûlent les lèvres

Dieu envoie t-il la souffrance ?
Je rencontre parfois à l’hôpital des représentations assez monstrueuses de Dieu, qui n’est alors que l’autre nom du Destin. Ainsi cette vieille dame diabétique, déjà amputée d’une jambe, et souffrant de l’autre : « J’espère que le bon dieu ne va pas me couper l’autre ». Ou encore cette dame en fin de vie aux Soins palliatifs ne supportant pas l’idée que Dieu n’y soit pour rien dans son affreux cancer. Il lui était plus intolérable de penser que son cancer avait ses propres causes. Elle préférait imaginer que Dieu, d’une façon ou d’une autre, le lui avait envoyé. Quand la maladie a un tel auteur, c’est comme si aussitôt elle revêtait un sens, une sorte de majesté cachée. Au risque d’ajouter de l’horreur au malheur. Ne laissons pas s’insinuer de telles abominations, ou bien venez voir comment se décharne jour après jour un être cher, ou se décompose un visage atteint d’une tumeur faciale… Dieu est « Père », nous dit Jésus. Il n’envoie ni malheur ni maladie ni fléau, leurs causes sont diverses, à chercher avec rigueur, à combattre avec science et fraternité. Quand on arrive à en discuter, beaucoup de gens comprennent. Par exemple cette dame qui demande à Dieu, par lassitude, de la faire mourir. « Quand même il ne peut pas vous piquer !», me suis-je permis de lui dire gentillement. La réponse fuse, raisonnable autant que résignée : « non, bien sûr ! », « mais je voudrais maintenant rejoindre mon mari, je me sens inutile sur la terre ». Le mieux alors est de prendre la main, de prier ensemble, et de revenir, fidèle au poste.
Dieu n’a aucune complicité avec le mal. « Saint, saint, saint est le Seigneur ! », clamons-nous dans la foi devant son innocence absolue. Mais attention, en son Fils il l’a regardé en face, et subi de plein fouet. Il faut le dire pour ne pas laisser s’immiscer cette pensée que Dieu au fond veut un peu le mal et la souffrance puisqu’il les permet et qu’il laisse faire. Parce qu’il refuse d’être un magicien, comme je vais le redire, ne laisse t-il pas surtout sa création à son autonomie, et l’homme à sa liberté tâtonnante, qu’il éduque par son enseignement et pétrit de sa lumière? N’est-il pas plutôt le remède et le médecin ? Et n’en fut-il pas la Victime principale, qui confond le mal par la résurrection, la violence par la charité, le malheur répandu par la lumière du témoignage?

« Pourquoi a t-elle ce cancer, elle était la bonté même ? »
Combien de fois ne l’ai-je pas entendu. Ou, à la perte douloureusement ressentie d’un être de qualité : « ce sont les meilleurs qui s’en vont ». Que dire ? Que la bonté, la droiture ou la sainteté ne protègent de rien d’autre que du manque d’amour. Le sacrifice de la croix nous l’enseigne. Que la générosité d’un être vaut pour son rayonnement et non pour ce qu’elle pourrait lui rapporter en confort et protection sur la terre. « La rose est sans pourquoi, fleurit parce qu’elle fleurit », écrit le poète mystique Angelus Silesius dans « le Pèlerin chérubinique ». Pas d’épargne. Pas de calculs. C’est facile pour la rose, qui ne fait qu’un avec elle-même, beaucoup plus aride pour nous, que l’épreuve déchire. Pourtant l’évangile nous invite à cette gratuité qui sert son Seigneur pour la joie de le servir. L’amour évangélique est sans pourquoi, il aime parce qu’il aime. Dans les pas du Christ, qui a vécu sa Passion, le disciple apprend à aimer sans pourquoi après s’être posé beaucoup de questions, car « le serviteur n’est pas plus grand que son maître ». Nous sommes au coeur de l’évangile. Au sommet de tout. Et de toute conversion.
La maladie ? Les souffrances ? Avec rigueur, cherchons plutôt du côté de la génétique, de l’alimentation déséquilibrée, du stress répandu, des agents pathogènes, comme le tabac et autres « merveilles ». Une fois encerclée le réseau de causes, placardé sur les murs de certaines unités de soins, vous tomberez quand même sur le fameux « pourquoi ? ».

Dieu est-il tout-puissant, alors que je souffre ?
L’affirmation du Credo « je crois en Dieu le Père tout-puissant » se heurte à bien des contradictions. Invalident-elles pour autant ce que nous confessons ? Elles nous obligent surtout à corriger notre vision de la toute-puissance de Dieu, appelé « Père ». Puis-je ici risquer un petit raisonnement. Il me semble que la toute-puissance de Dieu s’est fait une loi de respecter le temps de la finitude et de la chair, qui vit, souffre, guérit, meurt à son rythme. Notre Dieu n’est pas un magicien, le jongleur de l’histoire et des lois naturelles. Cette loi qu’il s’impose de ne pas arrêter le cours affreux d’une maladie, ou d’un malheur, à un miracle près, n’est certes pas une loi qui s’imposerait à lui. Ou Dieu ne serait pas Dieu. C’est une loi intérieure, une règle (terrible) qu’il se donne, qui exprime sa volonté de respecter le rythme de sa création, son autonomie « dans les douleurs de l’enfantement », dit saint Paul. Une règle terrible qui nous serre la gorge quand on apprend que Philippe qui allait mal, pour qui on a tant prié, a fini par se suicider. Tant de maux vont jusqu’au bout de leur chute, qu’on ne peut qu’unir au Christ anéanti dans sa chair, à l’ombre de la mort.
Si parfois Dieu anticipe par le miracle, c’est pour maintenir en nous l’espérance, nous affermir dans la foi, nous consoler dans l’épreuve, manifester déjà la lumière qui nous attend, mais ça ne sera jamais sur terre son mode habituel. Jésus n’est pas venu semer un état miraculeux qui nous guérirait tous d’un coup, pas plus qu’il n’a changé les pierres en pain, cédant au Tentateur. Pour faire advenir le Royaume, ce serait tenter Dieu que de lui demander de changer le miracle en état miraculeux. Le Christ n’a pas cédé au Serpent à sornettes.
Cette façon d’agir du Père dans la foi est acceptable, parce que son Fils en son Incarnation s’est appliqué à lui-même cette règle intérieure: il n’y a pas eu pour lui exemption. Du milieu de la chair il a crié vers Dieu avec clameurs et larmes, nous dit l’épitre aux Hébreux, He 5,7. C’est donc que cette règle, -je n’ai pas d’autre mot- malgré les terribles affres, contient une justesse si grande que nous n’en saisirons que là-haut la majesté. Nous croyons que le Père achemine son oeuvre dans son Fils vers la lumière, notre Terre promise. Dans l’anonymat, l’Esprit pétrit le monde : « A celui qui peut, par sa puissance qui agit en nous, faire au-delà, infinimentau-delà de ce que nous pouvons imaginer », Eph 3, 20. Ce que Jésus confirme :« Mon Père travaille jour et nuit ». Ce travail est l’inverse d’un tour de magie. Qui dit travail dit un matériau qui résiste, pétri progressivement comme une pâte. Quand quelqu’un souffre d’une sclérose en plaques, par exemple, si Dieu peut le guérir, effectivement, -et il l’a fait à Lourdes- il n’a jamais promis qu’il le ferait systématiquement. Ce qu’il promet, c’est le salut. La guérison doit rester un souhait, non une injonction avec son marchandage tout humain.
Tu es gravement malade, tu voudrais t’en sortir, tu vois que ta maladie progresse, que ton handicap t’invalide de plus en plus, sache cependant que la grâce voudrait demeurer chez toi, te transformer jusqu’à te configurer au Christ, si tu le demandes ou si on le demande pour toi en prière. Oui, Dieu est tout-puissant, par l’acte créateur qu’il continue, faisant confiance en la chair, alors même qu’elle est mortelle, par l’humilité de sa fidélité que rien n’a pu ébranler sur la Croix, et par l’absolue suprématie qu’il a manifestée dans sa Résurrection glorieuse.

Peut-on offrir ses souffrances ?
Une certaine Yvonne gravement malade a écrit : « On n’offre pas ses souffrances. On n’offre pas quelque chose de mauvais. On offre ce qu’on essaie de devenir dans la souffrance, un être de courage et d’amour ». Pourtant je pense sincèrement qu’un chrétien peut tout à fait offrir ses souffrances au Seigneur, sans contredire ce que dit Yvonne. A condition de bien comprendre que nous ne les offrons pas comme à ces dieux païens jamais rassasiés de sang, qu’il fallait satisfaire par des sacrifices pour faire reculer leur colère. L’expression « pour satisfaire votre justice » signifie que notre coeur consent à se sacrifier, pour être pétri, ajusté progressivement à la charité du Christ, qui est à la fois d’une intransigeante sainteté, appelée justice, et d’une incommensurable tendresse, appelée miséricorde. Nous sommes exhortés à combler le coeur de père de notre Dieu, à le « satisfaire », oui, par notre vie donnée.
Qu’est-ce que la souffrance d’ailleurs, sinon ma chair en train de souffrir, mon esprit en train d’angoisser. Plus va le temps, et les médecins autour, elle devient, hélas, inséparable de ma personne. Dans la prière je m’offre donc au Seigneur comme je suis, comme la souffrance me défait, comme je voudrais bien que je devienne avec le Christ, ce que dit d’ailleurs Yvonne dans sa prière. Je me présente au Seigneur avec cette chair devenue un poids, qui attend d’être soignée, et respectée. Un poids allégé par l’offrande. En offrant mes souffrances je fais oblation de ma propre personne. A l’heure même où la chair me plaque au sol et m’immobilise, je m’élève, s’il se peut, en amour héroïque et simple.

La souffrance est-elle rédemptrice ?
L’élan le plus sublime que j’aie rencontré à l’hôpital est celui de ces hommes et de ces femmes me disant sur leur lit d’agonie « offrir leurs souffrances pour le monde ». La perspective est si immense que certains doutent de la validité de l’intention, et n’y voient que la marque d’un masochisme douteux. Mais raisonnons un peu.
Bien que très vrai, il est incomplet de dire que seul l’amour du Christ est rédempteur, comme si dans le salut il n’y avait pas aussi une alliance de Dieu et de l’homme. Certes le Seigneur donne en plénitude, mais il ne donne jamais sans que nous ne versions notre part. Si une personne dans les douleurs se tourne vers le Christ et lui offre l’insupportable pour le salut des âmes, comment Dieu qui est Père ne serait-il pas bouleversé par ce don, infiniment supérieur à un don d’organe, puisqu’il est l’oblation de ce qui vous écrase. ? Il n’y a pas plus réaliste que l’amour spirituel : il demande tout, il veut participer. Oui, unie à son Seigneur, la souffrance offerte construit le corps mystique du Christ, qui se nourrit de nos offrandes. Quant aux souffrances non offertes, parfaitement absurdes, vécues comme on peut, sans la moindre référénce à quelque Dieu que ce soit, il y a des orants par le monde qui leur consacrent leur prière, leur vie, afin que le Seigneur les incorpore à sa Passion et sa Résurrection. Depuis que Dieu en son Fils est descendu dans l’anonymat de la mort, avant d’être chrétien, avant d’être un disciple, chaque face humaine est saluée et aimée pour ce qu’elle est, puisqu’elle est « à l’image et à la ressemblance » de son Dieu. En vertu de ce mystère en amont aucune souffrance humaine n’est laissée à l’écart par Celui qui s’est fait l’un de nous. Le Christ pousse l’Eglise à sortir de son église pour s’agrandir aux dimensions de l’Eglise invisible, le nouveau vaste monde, vaste comme la miséricorde.
Par l’Incarnation la substance divine du Verbe -le fond de son être- s’est unie au fond de notre nature. Ce n’est pas seulement une alliance comme entre deux nations, chacune retournant à son autarcie, ou entre deux êtres humains que réunit l’amour, c’est une union dans les profondeurs de notre âme, que ne peut abolir la mort et qu’accomplit la charité. Parce qu’il s’est fait chair, l’âme du Christ s’unit à notre âme comme jamais homme ne peut s’unir à sa femme, et réciproquement. Une union qui va jusqu’aux épousailles, puisque l’Eglise est l’épouse du Christ. Saint Paul médite assez souvent cette réalité mystique bouleversante, qu’il traduit d’ailleurs en langage très charnel : « Nous ne formons qu’un seul corps dans le Christ, étant, chacun pour sa part, membres les uns des autres », Rm 12,5 ; « Il n’y a qu’un Corps et qu’un Esprit », Eph 4,4, qui rejoignent pour la dépasser la fameuse phrase de la Genèse : « Et tous deux deviennent une seule chair ». A chaque Eucharistie, prophétiquement, nous sommes configurés au Christ parce que lui-même a pris forme de nous. L’innombrable souffrance humaine est donc aussi inséparable de la Croix que les noeuds du bois d’un arbre, et notre amour de l’amour du Seigneur, et nos mérites des mérites du Christ, et nos offrandes de l’Oblation éternelle du Fils.
Nous célébrons aujourd’hui l’un des plus grands stigmatisés de l’histoire, saint François d’Assise. C’était sur le mont Alverne, le Christ lui apparut dans la gloire de sa Passion très sainte, et le darda de ses rayons définitifs, en des plaies de feu que François dut ensuite cacher sous ses manches. Il l’unit ainsi à sa personne, corps à corps, plaie à plaie, âme pour âme, comme lui-même s’est uni à notre nature en son Incarnation.
« Par une estocade de splendeur de séraphin
tenant quelqu’un de crucifié entre ses ailes
ô une miraculeuse lumière de papillon !
le fils de drapier fut dévêtu plus loin.
Il connut le Christ, son extrême présence
et ce qui s’enfonce de souffrance du monde
dans les chairs de la lumière divine »…(extrait du poème, l’Alverne)

Il y a donc bien sûr des souffrances offertes en sacrifice qui feront entrer dans le ciel des personnes qui sans ce secours fraternel n’y seraient pas entrées. On se moque en modernes de ce langage vieilli de « réparation », devenu un peu trop, il est vrai, offense au marquis, il sous-entend pourtant une réalité mystique extraordinaire et lumineuse : le pouvoir par la prière et la vie offerte de peser sur le coeur de Dieu, pour que sa justice qui défait absolument le mal le cède à sa miséricorde qui veut accueillir le plus grand pécheur. Toutefois, nul ne sera sauvé contre son gré. Il y a des limites que même l’amour infini ne saurait franchir. Le grand mystère de la communion des saints, cette chaîne de ferveurs en Christ, est la plus haute réponse, du tac au tac, si je puis dire, à la solidarité des hommes englués dans le mal depuis le péché originel.

Que veut dire faire la volonté de Dieu ?
A cette amie qui ne comprend pas pourquoi, alors qu’elle s’abandonne dans la foi au Christ, elle continue de souffrir, comme s’il voulait absolument ses souffrances, j’ai affirmé que non le Christ ne les lui souhaitait pas bien sûr, comme s’il était un mauvais génie. La vibrante foi d’un malade ne le protège pas de sa maladie. C’est une foi nue, « bien que de nuit », dirait saint Jean de la Croix, parce qu’au coeur de l’épreuve qui torture. Dans le creuset de ces souffrances, faire la volonté de Dieu c’est surtout vouloir que le coeur ne cesse pas de s’unir à la charité du Fils, qui est allé jusqu’à mourir sur une croix, dans un pardon qui annonçe déjà Pâques. Faire la volonté de Dieu, c’est s’unir à celle de Jésus afin que son Esprit nous aide à ne pas sombrer dans l’amertume et le ressassement, en nous ouvrant les portes de la liberté intérieure. Il n’est rien de plus émouvant en ce monde qu’un malade rongé par le mal dispensant autour de lui cette joie que rien, ni la mort ne peuvent ravir. C’est d’ailleurs une des promesses de Jésus la veille de sa propre Passion :« Cette joie nul ne vous la ravira », Jn 16,22. Cette lumière spirituelle se traduit sur le visage par ce sourire de paix qui vaut tous les arcs-en-ciel réunis. Cette volonté est un baptême de feu. Elle a besoin d’être épaulée par la prière des frères, et leur compassion concrète. Croyez-vous cette paix improbable ou rare ? J’ai en mémoire ces derniers mots si forts de Françis : « Je suis triste, très triste de laisser les miens, ma femme, mais je suis en paix ». Et ça se voyait lumineusement.

Comment consoler quelqu’un qui a perdu un être cher ?
Devant l’inconsolable, je crois qu’il faut d’abord faire preuve de pudeur, respecter la peine pour pouvoir ensuite annoncer la lumière de Pâques. Ce fils perdu, sur cette terre, personne ne le lui rendra. Il est irremplaçable. C’est l’amour qui l’a rendu unique. Ce n’est pas nous qui confessons que « Dieu est Amour » qui contredirons cette vérité. La lumière ne peut être annoncée que si la peine a pu se confier. Le Christ ne prétend pas remplacer la perte d’un fils perdu. Il ne prend la place de personne. Mais il rend unique pour l’éternité. Il est important que l’annonce claire de la Résurrection du Christ s’accompagne de la compassion tenace devant le chagrin. Souvent, convenons-en, c’est en filigrane que Pâques est parmi nous, le nouveau levain dans la pâte.

fr. Guy Touton