Quand paraissent Les Caves du Vatican, Paul Claudel découvre les « mœurs affreuses » d’André Gide. Le 2 mars 1914, il lui envoie une épître comminatoire  : « Consultez Madame Gide, lance Claudel ; consultez la meilleure part de votre cœur. Ne voyez-vous pas que vous vous perdez, vous et ceux qui vous entourent de plus près ? Ne vous rendez-vous pas compte de l’effet que peuvent avoir vos livres sur de malheureux jeunes gens ? ». Gide lui répond le 7 mars : « De quel droit cette sommation ? Au nom de quoi ces questions ?[…] Je vous supplie uniquement de considérer ceci : c’est que j’aime ma femme plus que ma vie, et que je ne pourrais vous pardonner tout geste de vous, toute parole qui porterait atteinte à son bonheur. […] C’est à l’ami que je parle, comme je parlerais au prêtre, dont le devoir strict serait de me garder le secret, devant Dieu »[2]. Cette dernière allusion à l’éthique du confessionnal montre à quel point le secret de la confession était présent dans les conversations de l’époque comme une chose évidente et naturelle, tant chez les catholiques que chez les protestants[3]. Ce secret aujourd’hui est en crise ; il a perdu beaucoup de son évidence, y compris chez certains « pratiquants » pour qui il n’est pas possible de garder un secret : il finit toujours par être connu. Mais surtout, il est fortement remis en cause au nom de l’évolution du droit et d’un certain fonctionnement de la justice. Pourtant, confession et secret continuent de fasciner l’opinion, suscitant curiosité et fantasme… Ce secret existe-t-il vraiment, est-il vraiment absolu, peut-il éventuellement être levé ?

Brève histoire de la confession

Avant de répondre à ces questions, commençons par un bref aperçu historique. La forme concrète du sacrement de conversion, ou de pénitence, ou de la confession, ou du pardon, ou de la réconciliation, selon ses différentes dénominations, a beaucoup varié au cours des siècles[4]. Durant toute l’Antiquité chrétienne, ce sacrement, qui est d’institution divine explicite (Jn 20, 23), fait l’objet d’une discipline rigoureuse : pour être réconcilié à la suite de péchés graves commis après le baptême (idolâtrie, homicide, trahison, adultère), il faut entrer dans « l’ordre des pénitents » ; la pénitence doit être publique et bien qu’on ne rende pas public un péché qui ne l’est pas, sa célébration revêt toujours

un caractère communautaire. A partir du VIIème siècle, les missionnaires irlandais apportent en Europe continentale la pratique de la pénitence privée. Le sacrement se réalise désormais d’une manière plus secrète entre le pénitent et le prêtre. Cette nouvelle pratique prévoit la possibilité de sa réitération autant de fois que nécessaire et intègre le pardon des péchés véniels. En 1215, le IVème concile du Latran fait obligation à tous les fidèles de confesser une fois l’an au curé de leur paroisse tous les péchés dont ils ont connaissance, – disposition que le Code de droit canonique de 1983 estime toujours valable (can. 989). Des devoirs s’imposent aussi au ministre du sacrement : il doit questionner le pénitent avec « prudence et discrétion » (can. 979), l’aider à faire une confession complète, l’exhorter à la réparation et à la conversion. Une fois qu’il s’est assuré des dispositions du pénitent, il ne peut pas lui refuser l’absolution, ni la différer et il est absolument tenu par le secret sacramentel.

Le secret existe-il vraiment ?

Le Catéchisme de l’Eglise catholique l’enseigne en effet formellement, « tout prêtre qui entend des confessions est obligé de garder un secret absolu au sujet des péchés que ses pénitents lui ont confessés, sous des peines très sévères. Il ne peut pas non plus faire état des connaissances que la confession lui donne sur la vie des pénitents. Ce secret […] s’appelle le ‘sceau sacramentel’ (sacramentale sigillum) car ce que le pénitent a manifesté au prêtre reste ‘scellé’ par le sacrement » (CEC, 1467). Trois articles du Code de droit canonique concernent le secret de la confession : au canon 983, 1 il est dit que « le secret sacramentel est inviolable ; (qu’) il est absolument interdit au confesseur de trahir en quoi que ce soit un pénitent, par des paroles ou d’une autre manière, et pour quelque cause que ce soit ». Le canon 984, 1 précise que « l’utilisation des connaissances acquises en confession qui porte préjudice au pénitent est absolument défendue au confesseur , même si tout risque d’indiscrétion est exclu ». Enfin, le canon 1388, 1 prévient le confesseur que la violation directe du secret sacramentel entraîne l’excommunication latae sententiae [5] ; la violation indirecte, une punition selon la gravité du délit. Aux yeux de la Loi de l’Eglise, le secret de la confession existe donc bel et bien et il oblige gravement le confesseur. Mais ce secret est-il absolu en toutes circonstances ?

Ce secret est-il vraiment absolu ?

Aucun moraliste ne soutiendra le contraire : le prêtre qui reçoit la confession d’une faute ne peut jamais la divulguer quelle qu’en soit la gravité. Ce fait n’a jamais prêté vraiment à discussion dans une société massivement chrétienne. On comprend pourquoi : les péchés relevant souvent de la vie privée, – l’infidélité conjugale par exemple –, le secret a évidemment pour but de protéger la réputation des personnes, d’éviter que leur soit porté préjudice. Mais, comment expliquer que le confesseur soit également tenu par la loi du silence[6] sur les crimes de sang, comme on le voit heureusement plus souvent au cinéma que dans la vraie vie ? C’est que, quelles que soient les circonstances, nous nous trouvons dans le cas d’un droit fondamental des fidèles aux sacrements et donc à être absous quand ils le demandent. La confession s’accomplit devant Dieu et le confesseur n’est pas le maître mais le serviteur du pardon de Dieu (CEC, 1466). Le pénitent est absous dès lors que sont réunies les conditions essentielles du sacrement : l’aveu, la contrition et la satisfaction[7]. Le secret est une garantie qu’offre l’Eglise à tout pénitent pour qu’il puisse user de ce droit sans aucune entrave. Il a donc jusqu’ici une connotation positive.

Ce n’est qu’au sujet des abus sexuels commis sur mineurs par des clercs que le secret de la confession a été récemment mis en cause. Il a été alors reproché à l’Eglise d’en faire mauvais usage, de pratiquer l’omerta, de se dérober à son nécessaire examen de conscience, de protéger les coupables et de faire peu de cas des victimes. L’impact de tels actes sur la société, les souffrances qu’ils entraînent, poussent le législateur à la limitation, – voire à l’interdiction -, du secret. Le gouvernement de la République d’Irlande menace ainsi de faire voter une loi obligeant les prêtres à dénoncer tout crime pédophile dont ils auraient connaissance y compris en passant outre le secret de la confession[8]. Sans doute la réaction irlandaise s’explique-t-elle par l’ampleur des crimes commis dans ce pays très catholique. L’Eglise en a bien conscience mais elle ne cède pas sur le principe du secret, comme le montre la position ferme de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi : « L’abus sexuel de mineurs n’est pas seulement un délit au plan canonique. C’est aussi un crime qui fait l’objet de poursuites au plan civil. Bien que les rapports avec les autorités civiles diffèrent selon les pays, il est cependant important de coopérer avec elles dans le cadre des compétences respectives. En particulier, on suivra toujours les prescriptions des lois civiles en ce qui concerne le fait de déférer les crimes aux autorités compétentes, sans porter atteinte au for interne sacramentel »[9]. Sans doute l’Eglise estime-t-elle qu’il existe d’autres moyens d’en avoir connaissance[10].

C’est pourquoi elle compte qu’à l’instar du secret professionnel, le secret de la confession soit toujours protégé comme c’est le cas dans le Code pénal français : son existence, en effet, admise par la Cour de cassation, reconnaît que les ministres du culte, qu’ils appartiennent à la religion catholique ou à la religion réformée, sont tenus de garder le secret sur les révélations qui peuvent être faites dans le cadre de leur ministère ou en raison de ce ministère et notamment dans l’exercice de leurs pouvoirs sacramentels (Cass. crim., 11 mai 1959, Gaz. Pal. 1959.2.79). Depuis les années 2000, des arrêts successifs de la Cour de cassation n’ont pas remis en cause le secret de la confession, garanti par l’article 226-13 du Code pénal, tout en mettant des limites au caractère absolu du secret professionnel. Du côté du législateur, l’article 223-6 du Code réprime désormais la non-assistance à personne en péril et s’applique à l’ensemble des professionnels – dont les ministres du culte – qui sont tenus au secret par leur appartenance institutionnelle. Le prêtre qui, en confession, aurait connaissance d’une violence sexuelle sur mineur, est donc placé devant un véritable dilemme : suivre le droit canonique sans déroger à la loi civile, obéir à la République sans désobéir à l’Eglise. A mon sens, face au pédophile comme à l’assassin, il devrait inciter le coupable à se livrer lui-même à la justice mais il ne peut en aucun cas le livrer sauf si le coupable l’en autorise. En dehors de cette éventualité, le secret de la confession est absolu et il ne connaît pas d’exception. Pourrait-il cependant être levé ?

Le secret peut-il être levé ? 

Imaginons que dans les affaires de pédophilie, l’obligation du secret soit suspendue. D’abord, elle ne peut l’être que par l’autorité compétente en cette matière religieuse : le Pontife romain. En soi, ce n’est pas impossible puisque le secret n’appartient ni à la forme ni à la matière du sacrement bien qu’il lui soit lié, semble-t-il, depuis l’origine. Dans cette hypothèse, le secret ne serait plus inconditionnel mais relatif : le bien de la victime, le bien du coupable, le bien public et le bien de celui qui a reçu confidence pourraient conduire à l’opportunité de le lever. Ainsi serait-il permis de dévoiler un secret chaque fois qu’il n’y aurait pas d’autres moyens d’éviter l’irréparable. Mais il faut y réfléchir à deux fois : quoiqu’en disent les partisans de la suppression du secret, en accusant l’Eglise de complicité criminelle, il n’est pas si fréquent que les abus sexuels aboutissent au confessionnal car les « délits les plus graves » (delicta graviora) sont sans doute les moins avoués ; ils sont souvent motivés par une compulsion irrésistible aux composantes à la fois biologiques et psychologiques. Le recours des pédophiles, fussent-ils prêtres, au sacrement de pénitence reste assez rare car ils n’ont pas toujours la claire conscience de la gravité de leurs actes ; ils sont la plupart du temps dans le déni et ce n’est qu’après divulgation des faits qu’ils peuvent vraiment les assumer, accepter leur jugement et entreprendre une démarche de pardon. La confession et le secret apparaissent alors pour ce qu’ils sont : des éléments essentiels du processus de réhabilitation de la personne qui, en dépit de sa responsabilité et/ou de sa culpabilité, ne perd jamais sa dignité intrinsèque.

Pour bien comprendre le sens du secret de la confession, il faut paradoxalement se placer sur un autre terrain que le religieux. Car le secret est nécessaire pour des raisons qui sont d’ordre philosophique, anthropologique et social autant que théologique. Le secret est « le baromètre » qui permet de savoir dans quel type de société nous vivons, libérale ou totalitaire. Les notions de secret, de confiance, de promesse, sont des catégories fondamentales de la personne humaine. « Toute société se fonde en effet sur la confiance réciproque de ses membres, c’est-à-dire sur la possibilité de se fier à la parole d’autrui, et le secret en est un corollaire direct »[11]. Il a pour base un intérêt social : le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le pécheur un confesseur. « Tous ces acteurs de la société, estime André Damien, ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n’étaient assurées d’un secret inviolable […]. Personne n’oserait plus s’adresser à eux si on pouvait craindre la divulgation du secret confié »[12]. Pour toutes ces raisons, il semble peu probable que l’Eglise renonce au secret de la confession, fût-il parfois détourné sans vergogne dans le but d’occulter la vérité ou de « protéger l’institution ».

Car in fine, le secret de la confession ne vise pas à cacher des actes délictueux ; il n’a pas pour but de soustraire à la justice. Il n’est pas une zone de non-droit dans la République. Il garantit l’existence d’un devoir professionnel indispensable à tous ; il fixe une limite à l’intrusion excessive de l’instance étatique ou médiatique dans la conscience individuelle et la vie privée. Le secret est une liberté nécessaire dans une société libre. Un secret limité présenterait beaucoup d’inconvénients pour peu d’avantages. Il porterait durablement atteinte à la confiance que l’opinion continue de placer dans le religieux, le prêtre ou le pasteur plus qu’il n’aiderait à résoudre des énigmes policières. Dans une société de la transparence absolue, il semble important de maintenir la possibilité d’un secret inviolable, inhérent à la dignité de la personne humaine, essentiel au processus de rédemption, de guérison et de reconstruction de ceux qui ont fauté. C’est pourquoi le choix de l’Eglise catholique est de défendre l’existence du secret de la confession, tout en affirmant, comme le fait souvent Benoît XVI, qu’il n’y a pas de pardon sans justice.

[1] Conférence aux Vendanges de Malagar, « Le Secret », samedi 10 septembre 2011.

[2] P. Claudel et A. Gide, Correspondance (1899-1926), Paris, Gallimard, 1949, pp. 217-218.

[3] Martin Luther tenait la pénitence pour « un saint sacrement ». Il voulait maintenir la confession individuelle surtout pour des raisons pastorales (Voir Sermons sur la pénitence, Petit manuel sur la manière de se confesser, Petit catéchisme…). Il n’a pas été suivi sur ce point dans les Eglises de la Réforme, mais au XXème s., Dietrich Bonhoeffer, par exemple, renouvellera l’exhortation à la confession dans son traité De la vie communautaire.

[4] Catéchisme de l’Eglise Catholique, Mame/Plon, 1992, § 1423. Cité ensuite CEC.

[5] Par le fait même, immédiatement

[6] Film d’Alfred Hitchcock (1953), titre original I Confess, avec Montgomery Clift et Anne Baxter, où un prêtre est accusé d’un meurtre dont il a reçu la confession.

[7] Ce qu’on appelle ici « satisfaction » est la réparation, d’une manière ou d’une autre, des torts commis.

[8]  La Croix, lundi 5 septembre 2011

[9] Lettre circulaire pour aider les conférences épiscopales à établir des Directives pour le traitement des cas d’abus sexuels commis par des clercs à l’égard de  mineurs, du 3 mai 2011.

[10] Outre la persuasion, des éléments extérieurs à la confession peuvent jouer un rôle déterminant : présomption, plainte des victimes, témoignage de l’entourage…

[11] Marie-Jo Thiel, A propos de la pédophilie, « Documents Episcopats », Bulletin du Secrétariat de la Conférence des Evêques de France, n°10 / juillet 1998, p. 4.

[12] A. Damien, Secret professionnel et secret de la confession, « Esprit et vie » n°85, juillet 2003, pp. 10-14

Fr Joël-Marie Boudaroua o.p.