Un esprit moderne, fils des Lumières, insiste volontiers sur la liberté chèrement acquise par la Raison. Il ne la conçoit que dans l’affranchissement de tout ordre transcendant, chrétien notamment. A la transcendance d’un Dieu et de sa Loi sacrée, ou de ses lois et règles, via la religion, a succédé, peu ou prou, juste avant l’ombre du nihilisme, l’auto-transcendance de l’être humain, seule source de ses propres valeurs, et seul régulateur acceptable. « Ni Dieu ni maître ».

Pour Paul, nous sommes fils de la Lumière : « Tous vous êtes des enfants de la lumière, des enfants du jour », Th 5,5. Il nous parle de cette noblesse immense qui est en nous d’être homme créé à l’image de Dieu, et que vient libérer la grâce. Sa vision, profondément christique, articule ces trois éléments loi, liberté, grâce, sans jamais les séparer. Il est tranchant dans ses assertions, certes, mais toujours en enroulant les notions, les distinguant dans leur statut et degré propres, et ainsi trouver un équilibre supérieur. Le dégagement qu’opère la grâce vis-à-vis de la Loi ancienne ne sera surtout pas à comprendre comme si désormais le chrétien pouvait se passer de toute loi, du Décalogue par ex. Vous le mettriez en colère et offenseriez son être juif. Une véritable anthropologie se dégage sous la plume de cet homme, car en réfléchissant à ces trois notions il brasse les profondeurs de l’homme, et dessine la nouvelle ligne de crête de notre relation avec Dieu.

Mais d’abord, précisons le sens du mot Loi, pour éviter toute confusion théologique, et finalement spirituelle. Car Paul ne s’attaque pas seulement au légalisme, à la casuistique forcenée de certains zélateurs qui, comme le disait son maître Jésus, font peser sur les gens de lourds fardeaux qu’eux-mêmes ne soulèvent pas du petit doigt. Parce que le Christ est venu, Paul repense entièrement la place de la Torah dans le dessein de Dieu, et dans sa relation avec les nouveaux convertis. Et il expose sa conception de la liberté du chrétien habité par la vie de l’Esprit.
Quand il parle de la servitude de la Loi, Paul a en tête trois choses :
-l’imposition des observances étrangères à la sensibilité grecque (circoncision, rites de purification, abstinence alimentaire stricte, sacrifices sanglants…
-le fardeau du rituel et sa casuistique, le légalisme
-et surtout, surtout, la prétention de la Loi à être un système de justification
Paul va donc la resituer dans l’histoire du salut.

Qu’est-ce que la Loi ?
Paul, en vrai juif, fait référence à la Torah de Moïse, le plus saint des Textes sacrés, document fondateur divisé en Cinq Livres (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome), couvrant l’histoire des Israëlites depuis les débuts du monde jusqu’à leur passage du Jourdain. Antérieure au monde, liée à l’Alliance, la Loi a servi de plan à sa création, avant d’avoir été transmise à Moïse au Sinaï, vers 1380 avant notre ère d’après les chroniques juives traditionnelles. Elle a tous les traits de la Sagesse divine : « Avant les siècles, dès le commencement il m’a créée, éternellement je subsisterai », Ecclésiastique, 24,9. Elle remonte à la « tradition des pères », à Moïse le seul médiateur entre le Seigneur et son peuple. Faisant partie de l’extrait de naissance d’Israël, elle est le cœur du judaïsme, immémoriale présence à laquelle on ne touche pas impunément. Elle règle la vie du peuple de Dieu, dans tous les domaines, familiaux, sociaux, économiques, judiciaires, par des prescriptions morales, juridiques et cultuelles. Elle comporte 613 commandements, divisés par Moïse Maïmonide en 248 mitzvot (prescriptions) positives, et 365 mitzvot négatives. La loi coule dans les veines des psaumes que nous récitons toujours : « La loi du Seigneur est parfaite, réconfort pour l’âme, ps 18, si bien que « il est plus facile que le ciel et la terre passent que ne tombe un seul menu iota de la loi », Luc 16, 17. Il existe en parallèle à la Loi écrite reçue par Moïse une Loi orale tout aussi sacrée, qui en est au fond le commentaire et l’explication pour éviter les confusions.
Considérant que tout le peuple est appelé à la sainteté, les Pharisiens, très influents encore au temps de Paul, exigeaient que tous observent les lois de pureté, à l’origine réservées aux prêtres seuls lorsqu’ils officiaient au sanctuaire. Ils faisaient observer scrupuleusement le sabbat et les prescriptions sur les dîmes, taxes, sorte d’impôts sur le revenu, soit au moins 20% de la totalité des revenus.
Pourquoi un tel attachement ? Parce que précisément pour Israël la Loi est chemin de liberté. C’est par elle que Dieu éduque, ce que confirme Paul qui voit en elle un « pédagogue ». Dans son livre le message de l’Epître aux Romains, le père S. Lyonnet commente : « Pour exprimer à quel point Israël devait sa liberté à la loi, les rabbins utilisaient même parfois un procédé qui leur est familier : ils profitaient de la ressemblance du terme désignant la liberté dans l’hébreu tardif : hérût, avec un terme très rare harût, employé justement à propos des Tables de la Loi ». L’expression « écriture gravée » pouvait aussi se comprendre comme « écriture de liberté ».

Mais, pour la jeune Eglise, très vite le problème de la conversion massive de païens au Christ, qui ne sont pas passés par le judaïsme, va se poser. Des prédicateurs zélés de la Loi voudront imposer la circoncision (Epître aux Galates). On a peur de l’assimilation avec l’hellénisme ambiant. La communauté de Jérusalem dirigée par Jacques restera d’ailleurs fidèle aux observances juives. Paul ne lui reproche pas, mais il s’insurge contre l’idée que l’on fasse de la libre observance une question de principe, divisant l’église en deux.
Qui justifie, qui fait s’approcher le plus de Dieu, la Loi sainte et ses prescriptions ou le Christ ressuscité ? L’observance ou l’agape La Loi bénéficie de son statut d’ancienneté, et le Christ de son statut de Fils de Dieu.

Quel est le rôle de la Loi ?
Théorie générale : La loi considérée comme chemin de liberté, pour Paul, ne fait qu’accroître la culpabilité, car ceux qui l’enfreignent pèchent en connaissance de cause, et ceux qui parviennent à la respecter versent souvent dans le sentiment de supériorité. Paul casse de la Loi comme un sculpteur casse de la pierre pour faire advenir la figure centrale, qui est pour lui le Christ. Pour lui « L’homme n’est justifié que par la foi en Jésus-Christ et non par les œuvres de la Loi »,Gal 2,16.
Certes, elle est « sainte et spirituelle, » Rm 7,12-14, mais elle porte la marque d’une certaine infériorité puisque si l’évangile nous vient de Dieu même la Loi fut « édictée par le ministère des anges et l’entremise d’un médiateur », Gal 3,19. Or, il n’y a plus qu’un seul médiateur, le Christ.

-Elle ne fait que « donner la connaissance du péché », Rm 3,20, sans donner la force de l’éviter. En effet « je n’ai connu le péché que par la Loi. Et, de fait, j’aurais ignoré la convoitise si la Loi n’avait pas dit : Tu ne convoiteras pas. Mais saisissant l’occasion, le péché, par le moyen du précepte, produisit en moi toute espèce de convoitise », Rm7,7
Paul schématise quelque peu, car « Quand des païens privés de la Loi accomplissent naturellement les prescriptions de la Loi, sans posséder de Loi, sont Loi pour eux-mêmes ; ils montrent, gravée dans leur coeur, la réalité de la Loi », Rm 2,15 (appelons cela la loi naturelle habitant la conscience).

-Par des repères elle donne la connaissance du bien, sans donner la force de l’accomplir, mais elle est accusatrice dès qu’on ne la suit pas, et aurait tendance à engorger de suffisance ceux qui la respectent scrupuleusement.

-En tant qu’elle aide à faire connaître le péché elle est pédagogue, comme elle fut le tuteur d’Israël à l’état d’enfance : « La loi nous servit de pédagogue jusqu’au Christ, pour que nous obtenions de la foi notre justification », Gal 3,24 ; mais en tant que système de justification elle est source de malédiction : ‘Tous ceux en effet qui se réclament de la pratique de la Loi encourent une malédiction, car il est écrit : Maudit soit quiconque ne s’attache pas à tous les préceptes »…, Gal 3,10. Or, qui est parfait, je vous le demande ? Hormis celui qui se croit tel (c’était le problème des pharisiens). Et Paul de rappeler cette vérité : « Est-ce en raison de la pratique de la Loi que vous avez reçu l’Esprit ou parce que vous avez écouté le message de la foi ? », Gal 3,2. Non, bien sûr, sinon le Christ ne serait pas venu pour les pécheurs, comme il le dit, mais seulement pour les justes.

-Le Christ en personne, l’Innocent, va subir sa sentence « Nous avons une Loi, et d’après cette Loi, il doit mourir », et « Maudit soit quiconque pend au gibet ». Il va, dit Paul, « se faire malédiction pour nous » ou « péché pour nous » et ainsi faire exploser de l’intérieur ce système religieux sacré. Dans quel but ? « Afin qu’aux païens passe dans le Christ Jésus la bénédiction d’Abraham et que par la foi nous recevions l’Esprit de la promesse », Gal 3,14. Comment cela ? Sa mort, par couperet de la loi, tue le péché en le noyant dans le pardon, et ainsi donne la vie au pécheur et en fait un juste.

-Accusatrice et froide, pouvant vous mettre au ban des regards pour la vie. Or, en face d’elle, Paul constate une autre loi d’expérience, qui est dans notre être, le divise et le rend fragile : « Je ne fais pas le bien que je veux et commets le mal que je ne veux pas », Rm 7,19, et « J’aperçois une autre loi dans mes membres qui lutte contre la loi de ma raison et m’enchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres », Rm 7,23.Si bien, dit Paul, que me voilà dépossédé de mon acte : « Ce n’est plus moi qui accomplis l’action, mais le péché qui habite en moi », Rm 7,20. Cet être divisé, s’il a besoin de règles et de préceptes, a surtout besoin d’un médecin, le Christ, qui l’enseigne, l’écoute et l’illumine.

Finalement, que manque t-il à la Loi ? Un petit geste, un mouvement de côté : céder la place au Christ, le Verbe de vie, qui ne l’abroge pas, la maintient, mais seul justifie, et pardonne. La Loi est appelée à vivre une pâque elle aussi, pour trouver sa juste place, toute sa place, mais uniquement sa place : « La fin de la loi, c’est le Christ pour la justification de tout croyant », Rm 10,4.

Le rôle de la grâce

Précisons d’abord le sens du terme. La grâce (charis) c’est le don de Dieu qui contient tous les autres, celui de son Fils, le Verbe fait chair. Elle est directement liée à ce que Paul appelle « l’insondable richesse du Christ », Eph 3,8. Il écrit : « La grâce de Dieu, source de salut pour tous les hommes, s’est manifestée », Ti 2,11. Elle est donc en son fond le Christ en sa puissance d’incarnation et de résurrection. Elle est lui et ses effets. Effet de sa parole, qui enseigne, édifie et guérit, effet en nous de sa puissance de résurrection, que plus rien ne limite. Relisant le parcours des siens au désert il rappelle que le Christ était déjà le « Rocher spirituel qui les accompagnait », 1 Co 10,4.
Principe de transformation, elle ne fait jamais défaut : « Ma grâce te suffit : car ma puissance se déploie dans la faiblesse », 2 Co 12, 9, mais requiert une alliance de notre part, une collaboration. Se laisser pétrir par l’Esprit investit tout l’être : l’écoute de la Parole y est engagée, la connaissance de plus en plus intérieure de l’enseignement des Ecritures, du mystère du Christ, la célébration du repas du Seigneur, où se vit justement ce baptême du Christ dans sa mort et sa résurrection : « Dieu est là qui opère en vous le vouloir et l’opération même », Ph 3,13. Paul parle même du « sceau de l’Esprit » en nous. Au chrétien de ne pas contrister l’Esprit, selon l’expression forte de l’apôtre, Eph 4,30.

Le salut remonte à la Gracieuseté de l’amour de Dieu. Il n’est pas le salaire mérité par mon travail de conversion, ou par l’observance de quelque loi que ce soit : « Si c’est par grâce, ce n’est plus en raison des œuvres ; autrement la grâce n’est plus la grâce », Rm 11,6. Si le salut est dû à l’observance de la Loi, -ou des commandements de l’Eglise-, alors, dit Paul « la foi est sans objet, et la promesse est sans valeur », Rm 4,14. A l’origine de tout il y a cette gratuité de l’élection divine, d’autant plus frappante que c’est un rebelle que Dieu choisit, un condamné qu’il gracie : « La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ, alors que nous étions pécheurs, est mort pour nous…Si étant ennemis, nous fûmes réconciliés à Dieu par la mort de son Fils, combien plus, une fois réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie… », Rm5,8. Et ce salut n’est pas un simple acquittement, il fait surabonder la charité de Dieu là où le péché avait proliféré, Rm 5,15-21.
Car cette grâce est fécondité de Dieu, elle donne à la foi de produire des œuvres, beaucoup de fruits : « Vous produirez toutes sortes de bonnes œuvres et grandirez dans la connaissance de Dieu , animés d’une puissante énergie par la vigueur de sa gloire »…Col 1,10-11. Paul le reconnaît pour sa propre vie: « C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis… J’ai travaillé plus qu’eux tous, et non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi »…,1 Co 15,10. Si les règles juridiques et cultuelles relatives aux institutions d’Israël son périmées, les exigences des commandements subsistent, résumés par le Christ lui-même dans le commandement de l’amour, qui accomplit la plénitude de la Loi : « N’ayez de dettes envers personne, sinon celle de l’amour mutuel. Car celui qui aime autrui a de ce fait accompli la Loi… La charité ne fait point de tord au prochain. La charité est donc la loi dans sa plénitude », Rm 13,8-10.

Finalement elle équivaut à la présence de l’Esprit à l’œuvre en nous, thème du conférencier précédent. Bien que Paul n’emploie jamais ces images de source et de torrent, pour aider à comprendre je vais les utiliser à bonnes fins. Une source, ou torrent, comme vous voulez, a sa force motrice, qui à son tour entraîne des effets d’ondulation, qui à leur tour entraîne modification du paysage par sapement. Eh bien, disons que l’Esprit en nous est ce torrent, la grâce émanant de lui la force motrice, cette « puissance de Dieu », dont parle l’apôtre, produisant des effets, que la théologie scolastique appellera les « vertus » (de virtus : force), proches des « charismes » à développer dont parle Paul, qui à leur tour viennent saper en nous, peu à peu, ce qui nous envahirait si on le laissait faire, pour construire un nouveau paysage intérieur :
« Si quelqu’un est dans le Christ,
il est une création nouvelle :
ce qui est ancien a disparu,
un être nouveau est apparu !
2 Co 17
L’ancien monde a disparu, en tout cas sa domination.

Evidemment, nous ne sommes pas en présence d’une grande sagesse qui viendrait sculpter mon moi, pour ma satisfaction. Il ne s’agit pas du tout de notre épanouissement moderne, qui n’est souvent, hélas, que le pot de fleur sur le balcon du narcissisme. Paul parle de ce long baptême qui attend le chrétien toute sa vie, de cette plongée de tout le vieil homme, avec ses tendances cupides, dans la mort et la résurrection du Christ. Il parle d’expérience, il sait que « nous portons ce trésor dans des vases d’argile », 2 Co 4,7.
« Par le baptême,
nous avons été ensevelis avec lui dans la mort,
comme le Christ est ressuscité des morts
pour la gloire du Père,
nous vivrons, nous aussi, dans une vie nouvelle », Rm 6,4
Paul parle un peu plus loin de « crucifier le vieil homme » « afin que nous ne soyons plus asservis au péché ». Bref, boire à la Coupe, dont parle Jésus.
Pour la pensée moderne, s’il en est encore une, c’est là que le bât blesse. La liberté intérieure serait donc à ce prix fort ! Eh oui, mais l’enjeu n’éteint pas la chandelle, puisque le but est « d’être trouvé en lui », « de le connaître, lui, avec la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, lui devenir conforme dans la mort, afin de parvenir si possible à ressusciter d’entre les morts », Ph 3, 10.

Cette grâce en sa puissance déployée nous rappelle qu’antérieurement à tout désir de conversion, toute mise en œuvre de notre volonté, nous sommes des êtres graciés, ce que la Loi ne savait sûrement pas à ce point, puisqu’elle a participé à la mort du Fils. Cette gracieuseté exprime le fond même de la charité du Père, qui luit sur la face du Fils, et nous est transmise par l’Esprit Saint. Elle est cet abîme sans fond de l’amour qui est en Dieu, qui est Dieu. Voilà pourquoi la Torah, aussi sainte qu’elle soit, aussi antérieure qu’elle soit à la création du monde, s’incline devant infiniment plus grand qu’elle : devant les fonds mêmes de l’Amour, dont la Sagesse n’est qu’un des nombreux éclats, avec la Justice, la Vérité, la Miséricorde.
Pour Paul, soit nous entrons dans cette Gracieuseté de la charité, et nos actes s’en trouvent illuminés, le cœur soulagé parce qu’il sait que le pardon est toujours à portée puisque toujours en Dieu, soit le disciple retourne à son sérieux, à l’équation de ses actes par l’observance, perdant de vue l’Amour qui dans le Christ l’a sauvé :
« Cherchez à imiter Dieu, comme des enfants bien aimés, et suivez la voie de l’amour, à l’exemple du Christ qui vous a aimés et s’est livré pour nous, s’offrant à Dieu en sacrifice d’agréable odeur », Eph 5,1.

Le « sacrifice d’agréable odeur » est ce don de sa personne du Christ. Dieu a épousé nos limites pour nous aimer sans limites. A ce Jésus qui a dit « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime », qui préfèrerait la Loi, ou sa propre liberté érigée en divinité, c’est-à-dire en caprice et forfanterie ?

Paul rappelle à tous ce qu’un moderne a raison de chercher : « Vous avez été appelés à la liberté », Gal 5,13. Dans l’ensemble du monde gréco-romain, pour tous la liberté évoque l’idéal démocratique, avec le droit pour chaque citoyen de prendre part à la cité, et pour la masse d’esclaves, trophée des guerres, elle signifie l’affranchissement pur et simple, le travail, une famille, enfin pour les gens ayant accès à la culture, un certaine idéal moral, dont la maîtrise des passions (stoïcisme), des contraintes, etc…Il s’adresse donc au plus vif de tous.

Quelle est cette liberté ? Paul la précise pour qu’elle ne soit pas prétexte à tous les abus : elle coule de notre nature filiale, puisque Dieu est Père : « La preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : « Abba, Père ! Aussi n’es-tu plus esclave mais fils, et donc héritier de par Dieu », Ga 4,6.C’est la lumière fondamentale. Entre la Loi de Moïse ou tout système de justification personnel et le Christ, il n’y a donc pas comparaison : « C’est pour que nous restions libres que le Christ nous a libérés ». La Loi est un texte sacré, l’autre le Fils de Dieu en personne : « O Galates…A vos yeux pourtant ont été dépeints les traits de Jésus Christ en croix », Gal 3,1, s’écrie Paul. Sous entendu, ne revenez pas en arrière avec vos attachements aux prescriptions et à votre propre observance, vivez les nécessaires comme venant de Dieu, mais tournez-vous vers le Seigneur, et non vers le parchemin des rouleaux saints. Et faites mémoire de lui par le Corps et le Sang de l’eucharistie, par le commandement de la charité fraternelle. Paul réfléchit à partir de son propre saisissement sur le chemin de Damas. Et de rappeler sans cesse au fil de ses épîtres quel prix de sang Dieu a dû payer pour racheter notre liberté en voulant nous enseigner l’amour que nous ne connaissions pas, l’Agape, qui est en Dieu, et entre les personnes, et que Dieu voudrait voir en nous, et entre nous, quelle que soit notre difficulté à la concevoir et à la vivre. Que nous ne connaissions pas, ni la Loi, puisque nous avons et elle a crucifié la Lumière.
De quoi sommes-nous libérés ?
De trois tyrannies : celle du péché, celle de la mort, celle de la Loi.
Pour évoquer la servitude du péché Paul parle du « vieil homme » en nous, et ses penchants égoïstes, prétentieux. Tant qu’il domine, nous sommes dans la « chair », non pas le corps, qui est, rappelle Paul « le temple de l’Esprit saint », mais cette tendance à se clore sur soi, à se croire la mesure de tout, et moi et moi et moi, jusqu’à se faire Dieu, en le chassant. L’homme charnel, selon Paul, n’a pas encore accueilli l’Esprit, il est « vendu au péché », trimballé par sa force destructrice qui le maintient sous son joug. Cette dégradation interne est déjà le signe que la mort est à l’œuvre, qui est « le salaire du péché », loi de dé-création. Nous sommes libérés du péché par la grâce, de la mort physique par la résurrection, de la mort spirituelle par l’œuvre en nous de l’Esprit, de la Loi par la loi nouvelle de liberté.
Je parlais au début de cette auto-transcendance de l’homme chère aux modernes. Nous préférons dire que nous sommes « à l’image de Dieu », et qu’en nous habite, à mesure de créatures, les traits mêmes du Fils qui reposent en Dieu : pouvoir de décision, volonté propre, noblesse d’être responsable de ses actes, et d’autrui, amour spirituel au creux du plus charnel… Parce qu’il est Père, plus Dieu donne plus il s’en remet à celui qui reçoit. De qui tiens-tu que ton cœur t’appartienne, et ta propre face ? Saint Paul le dirait : du seul Seigneur de qui « vous avez reçu un esprit de fils adoptifs ». Certes, un père est toujours du côté de la Loi, il la rappelle en ce monde, mais Dieu est un Père dont la Gracieuseté s’est fait de notre liberté une loi.
Intuition qui rejoint le meilleur de l’ancienne alliance révélée par Dieu : cette loi gravée dans le cœur, Ez 36,26 où les hommes observent les lois et les ordonnances sous l’impulsion intérieure de l’Esprit.
fr. Guy Touton, op