Je m’attarderai essentiellement sur le sacerdoce du Christ, admirablement médité par l’épître aux Hébreux, que je vous conseille vivement de relire. Je la laisserai souvent parler. Il est nécessaire dans un premier temps de rappeler, même très succinctement, ses racines testamentaires, pour le mieux comprendre en ses soubassements et son dégagement.

Dans l’Ancienne Alliance, le prêtre est médiateur par état, et à titre héréditaire. Le sacerdoce constitue une véritable caste. Au sommet, le grand Prêtre, descendant de Sadoq, successeur d’Aaron, de la tribu de Lévi. Au-dessous de lui, les prêtres, fils d’Aaron, et enfin les lévites, clergé inférieur, groupés en trois familles. A l’époque de Jésus c’était encore ainsi.

A ce système, qui tient du sacré, il faut adjoindre, étrangère à Israël, la figure mystérieuse et furtive de Melchisédech, prêtre cananéen de Salem, nom archaïque de Jérusalem, qui, dans sa rencontre avec Abraham, offre du pain et du vin. Melchisédech n’occupe que quelques versets dans la Genèse, mais, par quelque œillade de l’Esprit, c’est lui qui est retenu comme figure essentielle du sacerdoce du Christ par l’épître aux Hébreux : « Jésus, devenu pour l’éternité grand prêtre selon l’ordre de Melchisédech ». L’épître nous éclaire, parce qu’ « il est sans père, sans mère, sans généalogie, dont les jours n’ont pas de commencement, et dont la vie n’a pas de fin, qui est assimilé au Fils de Dieu, ce Melchisédech demeure prêtre pour toujours », He 7,3.

Melchisédech annonce un sacerdoce hors caste, comme Jésus, qui n’est pas un descendant de la tribu de Lévi ; hors frontière, comme le salut du Christ embrassant juifs et païens ; et non sanglant, en figure du Pain et du Vin substitués aux sacrifices sanglants de l’ancienne alliance. Il est au sacerdoce du Christ, si on peut dire, ce que Naaman le lépreux syrien guéri est au baptême de Jésus : le signe de la gracieuseté absolue divine, non enfermée dans le sacré.

Au sujet de Jésus, l’épître aux Hébreux dit : « Tout grand prêtre est établi pour offrir des dons et des sacrifices ; d’où la nécessité pour lui aussi d’avoir quelque chose à offrir. A la vérité, si Jésus était sur terre, il ne serait pas même prêtre, puisqu’il y en a qui offrent des dons, conformément à la Loi ; ceux-là assurent le service d’une copie et d’une ombre des réalités céleste… », He 8,3-4. Ce qui signifie en clair que l’exercice du sacerdoce dans toutes les civilisations, et singulièrement en Israël, n’est qu’une pâle préfiguration du sacerdoce plénier du Christ.

L’épître fait remarquer, en effet, que le peuple de l’ancienne alliance n’a pas vraiment accès à Dieu puisque seul le grand prêtre pénètre, et une seule fois par an, dans le sanctuaire. Elle ajoute : « L’Esprit Saint montre ainsi que la voie du sanctuaire n’est pas ouverte… C’est là une figure pour la période actuelle ; sous son régime on offre des dons et des sacrifices, qui n’ont pas le pouvoir de rendre parfait l’adorateur en sa conscience », He 9,8 ; tandis que : « Le sang du Christ, qui par un Esprit éternel s’est offert lui-même sans tache à Dieu, purifie notre conscience des œuvres mortes pour que nous rendions un culte au Dieu vivant », He 9,14

Deux ministères fondamentaux caractérisaient le sacerdoce en Israël, faisant du prêtre le médiateur entre Dieu et les hommes : le service du culte et le service de la Parole.

Pour le service du culte : l’acte essentiel de son ministère était de présenter à Dieu dans le sanctuaire l’offrande des fidèles qu’il accueillait. Il y avait plusieurs sortes de sacrifices. Sans entrer dans les détails, puisque ce n’est pas notre sujet, on peut distinguer quatre modalités cultuelles :

l’holocauste, (la victime animale est entièrement brûlée, et la fumée monte vers le ciel en signe d’offrande à Dieu. La victime offerte est toujours un mâle sans défaut. En ce sens, la Croix est l’Holocauste parfait, puisque Jésus est mort entièrement, que Dieu dans la chair est allé jusqu’au bout, s’est consumé d’amour, et que le témoignage du Fils est monté vers le Père infiniment plus haut que la pauvre fumée, au point que Christ a été exalté à la droite du Père

le sacrifice de paix, dit sacrifice de clôture, accompagne l’holocauste. Il est offert en reconnaissance pour les bienfaits de Dieu. La victime est en partie donnée à Dieu, en partie consommée par les offrants autour de l’autel. Ce sacrifice deviendra peu à peu le sacrifice de communion. En ce sens, il annonce l’Eucharistie, qui est une action de grâces, la sainte Cène où nous mangeons le corps du Christ

le sacrifice pour le péché, offert pour une faute involontaire commise contre un commandement

le sacrifice de réparation, qui est individuel.

Dans tout sacrifice, quelque chose de l’homme et de la communauté devient quelque chose de Dieu. En réponse, l’homme obtient sa faveur sous forme de protection, de bénédiction. Mais il n’y a sacrifice que parce qu’il est possible d’atteindre Dieu par cette médiation, dont il pose lui-même l’exigence, Ex 20,22-26. Ce type de relation dépasse largement le cadre de l’Ancien Testament. Dans les fêtes de Bacchus, par ex., les taureaux possédés par Dionysos étaient consommés afin que soient obtenues les faveurs de la divinité, et sa force vitale. Précisons que lorsqu’il y a effusion de sang, celui-ci est toujours offert à Dieu, parce que le sang est le siège de la vie donnée, et qu’il est normal de le restituer au Dieu qui en est le créateur. L’intériorisation de l’Alliance va affiner et purifier tout cela. Les prophètes, qui ne manqueront pas d’aller jusqu’à critiquer les formes fondamentales du sacré en Israël, l’arche d’alliance et les sacrifices, rappelleront que ce n’est pas tant la matérialité des holocaustes qui intéresse Dieu que l’adoration sincère de son Nom, accompagné du respect des commandements. Finalement c’est l’offrande de soi-même que Dieu veut, seul sacrifice qui lui est agréable : « Tu ne prendrais aucun plaisir au sacrifice, si j’offre un holocauste, tu n’en veux pas ; mon sacrifice, c’est un esprit bris, d’un cœur brisé et broyé tu n’as point de mépris », ps50. Par le sacrifice c’est l’homme lui-même qui passe à Dieu, ou le voudrait.

2- Pour le service de la Parole : lors de la liturgie des fêtes, les prêtres redisaient aux fidèles les récits fondateurs, proclamaient la Tora, l’interprétaient, faisaient des instructions en enseignant les commandements. Ils avaient aussi un rôle législatif… Hélas, déplore notamment Osée : « c’est à toi, prêtre que j’en ai… le prophète trébuche avec toi… Mon peuple périt faute de connaissance, puisque tu as toi, rejeté la science (de la Loi) je te rejetterai de mon sacerdoce », Os 4,4-6. Cependant, grandit peu à peu l’autorité des scribes laïcs, souvent pharisiens, qui seront au temps de Jésus des maîtres en interprétations, tandis que le sacerdoce aura tendance à se limiter au culte. Jésus accomplit la même fonction de service de la Parole. Il dit qu’il n’est pas venu abolir la Tora mais l’accomplir, la parfaire par sa présence ; il interprète les Textes, comme on le voit devant les pèlerins d’Emmaüs, en tant qu’il est le Verbe antérieur et intérieur aux Ecritures, qui a parlé à Adam, à Abraham, aux prophètes. La voix qu’entend Moïse au Buisson Ardent, c’est lui, l’éternel Je Suis ; il ne cesse d’enseigner les foules, de renvoyer aux commandements de Dieu, tout en en introduisant de plus élevés, comme le pardon des ennemis ; certes son rôle législatif se fait par délégation, mais il ne craint pas de situer la Tora sainte dans le nouveau plan divin, et en rapport à sa propre personne. Il réunit en lui la triple figure messianique du roi, « patron » des prêtres, du prophète, qui rappelle au peuple le dessein de Dieu et ses exigences, et du prêtre lié au sanctuaire de Jérusalem, qui immole et offre, en s’immolant sur la croix

Pas une seule fois Jésus ne s’est attribué le titre de prêtre, puisque réservé aux membres de la tribu de Lévi, mais toute sa vie il n’a cessé d’agir en prêtre. Il a eu avec le sacerdoce les mêmes réserves salutaires qu’avec le titre de Messie, trop temporel. Il a préféré les titres de « Fils » et « Fils de l’homme ». C’est d’ailleurs le grand prêtre et les prêtres qui le condamneront, et, à travers eux, tout le système du sacré, du pur et de l’impur. Le sacré a tué le Saint, qui est devenu sa pierre de trébuchement. Pourtant tout ce que dit Jésus de sa personne, de sa mission, relève du langage sacerdotal, sacrificiel : « Ma vie nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne », ou « le Fils de l’homme lui-même n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude », Mc 10,45. On n’en finirait pas d’énumérer les paroles qui expriment ce don de soi, jusqu’au martyre, infiniment plus élevé que la somme des offrandes et sacrifices présentés par les prêtres successifs de l’ancienne alliance. L’épître aux Hébreux écrit : « Ceux-là sont devenus prêtres en grand nombre, parce que la mort les empêchait de durer ; mais lui, du fait qu’il demeure pour l’éternité, il a un sacerdoce immuable. D’où il suit qu’il est capable sauver de façon définitive ceux qui par lui s’avancent vers Dieu, toujours vivant pour intercéder en leur faveur », He 7,23-2.

L’épître met en parallèle, pour le renforcer, l’unique sacrifice du Christ et l’infinie pluralité des sacrifices des prêtres successifs « impuissants à enlever les péchés », He 10,11. Les prêtres de l’ancienne alliance, dit-elle, officient et « offrent maintes fois les mêmes sacrifices », tandis que Jésus « offre pour les péchés un unique sacrifice », qu’elle appelle un peu plus loin « oblation unique ». Et elle précise : « Ce n’est pas dans un sanctuaire fait de main d’homme… que le Christ est entré, mais dans le ciel lui-même… et ce n’est pas non plus pour s’offrir lui-même à plusieurs reprises, comme fait le grand prêtre qui entre chaque année avec un sang qui n’est pas le sien, car alors il aurait dû souffrir plusieurs fois depuis la fondation du monde. Or c’est maintenant, une fois pour toutes, à la fin des temps, qu’il s’est manifesté pour abolir le péché par son sacrifice », He 9,24-25. Toutes les messes célébrées depuis que le Christ s’est offert, et tous les prêtres successifs au long des âges, ne font qu’une seule et même eucharistie, ne forment qu’un seul et unique Prêtre. Par des mains d’hommes ordonnés est célébrée, rendue présente la Passion du Seigneur, qui a reçu le sceau définitif de la Résurrection. Ce point est capital, notamment dans les discutions entre religions, tout particulièrement avec l’Hindouisme, qui absorbe allègrement toutes les divinités pour en faire des avatars de l’unique Déité, chaque apparition n’étant qu’une vague de l’Océan divin. L’Incarnation, le sacrifice de la Croix et la Résurrection sont absolument irréductibles, et éternellement uniques.

Bien plus que revendiquer le titre de grand prêtre, Jésus l’a vécu par tout son être. L’Apocalypse pare Jésus des vêtements sacerdotaux : « Je vis comme un Fils d’homme, revêtu d’une longue robe serrée à la taille par une ceinture en or… », Ap 1,12s. Au moment de la croix, de la perte de toute seigneurie au yeux des hommes, saint Jean fait très probablement allusion aux vêtements sacerdotaux du Christ par cette « tunique sans couture, tissée tout d’une pièce de haut en bas », manifestant par là le sacerdoce absolument nouveau de la charité divine. Les contrastes sont saisissants : le grand prêtre déchire ses vêtements en signe de rage et de deuil devant les propos de Jésus, qui s’identifie au Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel, mais la tunique du Crucifié, sans couture comme celle du grand prêtre de l’Exode, n’est pas déchirée par les soldats romains. Jean veut nous faire comprendre que dans ce corps supplicié, torturé de haut en bas, s’accomplit le sacerdoce parfait, impeccable, intouchable, définitif. La soldatesque au pied de la croix élevée sur le Golgotha, avec ce centurion qui s’exclame : « Vraiment cet homme était fils de Dieu ! », joue ici le même rôle que les mages venus d’Orient au pied de l’Enfant couché dans la crèche. Matthieu, le juif, ajoute à l’événement de la Croix le sceau du rideau de temple déchiré. Il signifie par là que l’ancien culte mosaïque est caduc, que l’entrée dans le sanctuaire n’est plus réservée au grand prêtre une fois l’an, que le tout venant du peuple a accès à Dieu grâce au Crucifié, que désormais le salut passe par la chair de cet Homme. Je dis bien le tout venant du peuple, puisque Dieu en Jésus vient et habite chez le pécheur. Il manquait au sacré un peu de courant d’air…frais !

Le ministre ordonné, dans la lignée des apôtres, à qui Jésus a donné mission spécifique, célèbre in persona Christi l’unique sacrifice du Fils s’offrant au Père. Par son ministère il rappelle à la communauté croyante quelle œuvre de rédemption jusqu’au sang la précède et la fonde.

Le sacerdoce commun des fidèles, avant toute idée de distribution des charismes et de respect des laïcs, est d’abord cette sainteté partagée avec le Christ, le Saint des saints, qui n’est plus une enceinte mais une personne. Il est lié au mystère des épousailles du Christ et de l’Eglise, et son sens du service à l’unité du Corps mystique. (Entre nous, Jésus est celui qui déchire tous les voiles de temple idéologique, et ôte dans l’intime le voile sur le cœur de chacun).

Jésus annonce sa Passion, tantôt dans l’esprit du sacrifice expiatoire du Serviteur souffrant d’Isaïe : il vient pour « servir », « il donne sa vie », il meurt « en rançon » au profit de la « multitude », tantôt dans le langage du sacrifice d’alliance de Moïse au pied du Sinaï : « Moïse, ayant alors prit le sang, le projeta sur le peuple et dit : « Ceci est le sang de l’alliance que Y a conclue avec vous », Ex 24, 8. Le sang répandu est celui de l’Agneau pascal, Ex 12,7 ; 13,22. Car cette mort infligée de force, il la transforme en vie donnée par grâce, supplantant les anciens sacrifices rituels à la demande de Dieu, par le don souverain de sa personne, à l’appel du Père. Il y exprime, dans le sang du meurtre, cet amour d’abandon qui caractérise la Trinité même, où jamais sang n’a coulé… Il est le prêtre de son propre sacrifice. Il s’immole au Calvaire, fait oblation de sa vie jusqu’à la mort, après avoir connu dans sa nature humaine l’angoisse de toute chair limitée : « Père, s’il se peut, éloigne cette coupe ». C’est quand son corps ne pourra pas aller plus loin, mourant exténué, que l’amour infini du Père invisible sera rendu manifeste, au point que : « Ils regarderont vers celui qu’ils ont transpercé ». Elle est là la merveille : que la finitude d’un homme soit le lieu même où se révèle l’infini amour. Jean Cocteau disait ne pas croire en l’amour, seulement dans les preuves de l’amour. Eh bien, nous avons dans la chair les preuves de cet Amour en Esprit. Les immondices du péché sont lavées aux grandes eaux du pardon, qui ne cesse de sourdre du « Je Suis ».

Ainsi, pour saint Paul Jésus devient « notre Pâque », 1Co 5,7 ; Jn 19,36. Paul ne se contente pas de dire que Jésus nous fait vivre la pâque, il dit qu’il est notre pâque, de même que la Résurrection n’est pas qu’un événement attendu, mais la personne même de Jésus : « Je suis la résurrection et la vie ». Pour Paul Jésus inaugure dans son sang la nouvelle Alliance, 1 Co 11,25, réalise l’expiation des péchés, Rm 3, 24sv, la réconciliation entre Dieu et les hommes, 2Co5,19sv ; Col 2,14, moyennant le sang versé, auquel désormais nous sommes appelés à communier pour entrer dans le mystère de son Sacrifice. N’oublions pas que pour un sémite l’âme est tellement la puissance de vie du corps qu’elle siège dans le sang. Elle n’est pas seulement ce principe spirituel immortel séparé du corps, auquel fait allusion le livre de la Sagesse. Il serait bon pour l’Eglise de rassembler les deux courants, sémitique et grec, pour en parler… Quand nous honorons l’Ame du Christ, nous ne devrions donc pas, en rigueur de mémoire, la séparer du sang versé de la Passion, ni celle-ci un seul instant de la résurrection, puisque l’âme est immortelle, et le corps du Seigneur, qu’elle anime, incorruptible.

Pour Pierre et l’Apocalypse Jésus est « l’Agneau immolé », 1P 1,19 ; Ap5,6. Au moment où l’on égorge les agneaux sur le parvis du temple, Jésus dans l’évangile de Jean est crucifié. Pour les Actes, il rachète le troupeau, Ac20,28. Faisant probablement allusion au sacrifice d’Isaac par Abraham, figure inachevée du Christ, Paul, le juif, écrit que « Lui qui n’a pas épargné son propre Fils mais l’a livré pour nous », Rm 8,32 pour ce « sacrifice d’agréable odeur », Ep5,2, dont la substance est spirituelle : témoigner de l’amour du Père au cœur de la séparation d’avec lui, que connaissent les fils du péché originel que nous sommes.

Conformément au Lévitique qui prescrit les douze gâteaux déposés sur la table en mémorial, « ce sera l’aliment offert en mémorial, un mets pour Yahvé », Lv 24,7, l’Eucharistie est accomplie « en mémoire » de lui, l’unique Prêtre. Ainsi son Offrande en Martyr récapitule t-elle toute l’économie sacrificielle de l’Ancienne Alliance : par son corps, il est l’autel des anciens sacrifices sanglants, en sa personne il est le prêtre qui offre le sacrifice de sa vie, de la communauté humaine et de la création, par son témoignage il est lui-même la victime offerte. Il est l’autel, le prêtre et la victime.

Il rassemble en son sacerdoce unique les éléments disparates de l’ancien, obligés de se mettre à plusieurs pour accomplir la figure sacrificielle : l’autel n’était pas construit par le prêtre, les offrandes étaient amenées par d’autres que lui, et son propre sang ne risquait rien. Tous les sacrifices de tous les temps sont dépassés par la nature de la personne du Christ, qui modifie celle de l’offrande, puisqu’il est lui-même l’oblation. Rappelons que ce n’est pas la personne humaine de Jésus qui s’offre sur la Croix. Il n’y a pas de personne humaine de Jésus. Il n’y a qu’une personne en lui : la personne divine, mais deux natures : la divine et l’humaine. Quand Jésus s’offre, dans les souffrances et mérites de sa nature humaine, c’est l’unique personne du Verbe divin qui s’offre au Père. Voilà pourquoi la Croix est salvatrice, car par cette Oblation, qui exigea tellement de la volonté humaine du Christ, est divine. La volonté humaine en Jésus a embrassé les décisions de sa volonté divine. Quand nous comprendrons au ciel ce consentement, qui est un baiser, nous tomberons à genoux. Si la croix n’était que la sainte mort d’un homme, elle n’aura pas puissance de salut. Mais elle exprime, par la mort d’un homme, toute la charité qui est en Dieu. Seul le Fils en sa divinité a pouvoir d’emporter avec lui toute la beauté et la misère du monde, pour les configurer à lui, et les transfigurer, car à Dieu rien n’est impossible.

« Pour eux je me consacre moi-même, afin qu’ils soient eux aussi, consacrés en vérité « Je me consacre » est éminemment sacerdotal, et désigne la nouvelle qualité du sacerdoce du fidèle : se consacrer au Christ, qui est Vérité. C’est ainsi que pour les Apôtres la vie chrétienne est une liturgie, une participation au sacerdoce du Christ. Pour Paul la foi est comme un « sacrifice et une oblation », Ph2,17 ; l’aide financière reçue de l’Eglise de Philippes est « un parfum de bonne odeur, un sacrifice acceptable, agréable à Dieu », Ph 4,18, parce que la preuve matérielle d’une générosité spirituelle. Paul invite les fidèles de Jésus à s’offrir « en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu », Rm 12,1. A-t-on mieux dit le sacerdoce commun des fidèles, qui est une vocation à la sainteté par imitation du Christ, la grâce aidant : « Soyez saints car Moi je suis saint ». C’est dans cette sainteté qu’il faut comprendre le « sacerdoce royal » du peuple nouveau, dont chaque membre participe à « l’édification d’un édifice spirituel », 1 P 2,5, qui fait dire à l’Apocalypse : « Tu fais d’eux pour notre dieu une royauté de prêtres régnant sur la terre », Ap 5,10, et ailleurs… C’est un sacerdoce mystique, qui cherche à présenter au Christ un amour qui s’approche du sien dans sa relation au Père.

fr. Guy Touton