Rendez compte de l’espérance

par | 25 mai 2014

Frère Thierry-Dominique Humbrecht

Rendez compte de l’espérance

Homélie du fr. Thierry-Dominique Humbrecht o.p,. dimanche 25 mai 2014

dimanche de Pâques, année A, sur Actes 8, 5-18 ; Jn 14, 13-21

« Vous devez toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent à rendre compte de l’espérance qui est en vous ». Cette adresse de saint Pierre aux chrétiens est prescriptive : « vous devez rendre compte ».

Nous ne demandons pas mieux que d’être ainsi toujours prêts. « Toujours prêts », comme des scouts de l’espérance. Scout veut dire éclaireur, celui qui se place en avant-poste, en grand-garde comme on disait jadis chez les hussards, et qui reconnaît la route face à l’ennemi. Avant-poste, grand-garde, éclaireur, il y a de cela pour le chrétien.

Trois questions se posent. De quelle espérance s’agit-il ? Qui sont les demandeurs de compte ? Comment nous expliquer ? Quant à l’espérance qui est en nous, évitons le contre-sens ou du moins le faux sens : il ne s’agit pas de mesurer notre taux d’espoir, entre pessimisme et optimisme.

L’espoir est un moteur puissant, mais il ne prouve rien quant à la vérité de ce vers quoi il se tend. Ce qui compte, c’est ce qu’il vise et atteint. Mais il ne s’agit pas non plus de mesurer notre qualité d’espérance chrétienne, en quelque sorte limitée à l’intensité présumée de notre foi. Que savons-nous de cette intensité ? Et à quoi servirait-il de s’en expliquer ? La conviction du croyant convainc rarement, à elle seule, celui qui ricane. Il en a vu d’autres, ou fait comme si.

Quant à l’espérance, il faut donc la désigner par son objet, celui qu’on espère, le Christ. Notre espérance, c’est le Christ. L’espérance qui est en nous, c’est lui. C’est donc de lui qu’il faut rendre compte, et non pas de nous. Le chrétien qui se fait apôtre comme Pierre lui-même, à la Pentecôte, parle du Christ, pas de soi. Imaginez-vous

Pierre racontant sa vie devant des milliers d’auditeurs ? « Voyez-vous, je suis pêcheur en Galilée… » Aucun intérêt.

Parlons du Christ, il parlera en nous. Rien n’est plus redoutable qu’une personne qui étale son expérience comme une médaille d’ancien combattant, et qui se raconte. Entre longueur et complaisance, le monologue du médaillé fatigue et n’enseigne pas. Celui qui éclaire les esprits et les cœurs, c’est le Christ, avec ses mots et non les miens.

Encore, faut-il les connaître, ces mots, les avoir entendus, lus, appris. Louis Jouvet, dans ses cours sur le théâtre, le disait un jour vertement à un élève du conservatoire : tu hésites, tu ne sais pas ton texte. Tu y mets du sentiment, mais c’est le tien, pas celui du personnage. Le pire, c’est que tu ne dialogues pas, tu monologues. C’est mauvais.

Nos mots sont les mots du Christ, nous les savons et nous les donnons.Quant aux demandeurs de compte, devrons-nous avouer que nous avons des adversaires ? Oui. le chrétien appartient déjà à la cité céleste. Sur terre, il est chez lui et il n’est pas chez lui. Son horizon ne s’arrête pas aux richesses, à la gloire, aux plaisirs.

De tous temps, c’est insupportable.

Le chrétien a donc des ennemis. Non pas de son propre fait, il ne s’en déclare aucun. Mais du fait de ceux qui s’opposent à lui et se déclarent ses ennemis. Il n’a pas d’ennemis mais il a des adversaires. Cela aurait pu paraître abstrait à nos grands-mères. Aujourd’hui, une telle opposition est devenue concrète. Elle va s’accentuant.

Acceptons-la, elle s’adresse à ce que nous représentons, au Christ lui-même, et non à ce que nous sommes. Comme le dit très justement le tueur professionnel qui a accepté le contrat de vous flinguer : « rien de personnel ! » Si le chrétien se montre chrétien, il sera entouré de flingueurs. – Mais moi, je n’en vois aucun ! Que nous racontez-vous là ?

Dois-je m’inquiéter de votre état mental ? Je n’ai pas d’ennemis, aucun adversaire..

C’est possible. De trois choses l’une. Ou bien je ne fréquente que des chrétiens, mais alors je suis tout sauf un apôtre du Christ. Ou bien je vis dans le monde réel mais personne ne sait que je suis chrétien ; on appelle cela une potiche. Ou bien encore, mon rayonnement spirituel est tel que j’entraîne tous les cœurs et que personne ne me résiste. C’est rare, voire impossible, les saints ont souffert des oppositions de toutes sortes. Peut-être mon succès est-il dû à mon charme plus qu’à ma vie théologale. Les bombes d’amour ne sont pas forcément des foyers de charité. Les adversaires sont donc ceux qui ne veulent pas du Christ. À travers nous, c’est à lui qu’ils en ont. À notre péché aussi, bien sûr, mais c’est souvent un prétexte. Les vrais combats sont contre

Quant aux explications qu’il faut donner, mettons de l’ordre dans les idées. On parle quand on a quelque chose à dire, et l’on ne dit rien de mieux que ce qui a été vécu. L’évangile du jour : « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements ». Le chrétien se construit en demeurant avec le Christ et en restant fidèle à ses commandements. Ce n’est pas si facile, à considérer que les commandements sont exigeants et que, de plus, il faut demeurer à ce niveau, sans fléchir, sans renier, sans fuir.

Avec le Christ, tout est possible mais, sans lui, tout dévisse. La fidélité s’appuie sur deux colonnes : la constance des actes, posés l’un après l’autre, et sur le temps, le temps qui dure et impose sa loi. Le temps est un adversaire ou un allié. Adversaire, il corrompt tout, il use, il décolore. Allié, il construit tout, il renforce, il avive.

Le chrétien demeure donc avec le Christ. Il apprend à être avant d’apprendre à faire. Sinon, s’il se réfugie dans le tourbillon de l’activisme, il ne tarde pas à régresser vers l’apostolique sans fécondité, le caritatif sans charité, et l’humanitaire sans humanité. Il n’est pas reçu dans les galas où des stars en rivières de diamants signent de gros chèques pour les pauvres qu’elles ont vu en photo et ne rencontreront jamais. En plus, le chrétien n’est même pas riche.

Demeuré avec le Christ, nourri de sa Parole, le chrétien a de quoi s’expliquer. Avec des mots, ceux de l’Évangile. Lorsqu’il le fait, lorsque l’occasion se présente ou bien lorsqu’il la provoque. Pourquoi se gêner ? Sur la place publique, tout le monde parle, prêche, enseigne des dogmes de tout poil. Il serait bizarre de reconnaître les chrétiens à leur mutisme, air connu !

Le temps n’est plus à la timidité. Le Christ est celui qui éclaire, tant celui qui parle que celui qui écoute. Nous servons de torches. En face, il n’y a rien, rien d’autre qu’un gâchis, rien qu’une immense attente, avec aussi, bien sûr, des oppositions, et, ultimement, l’Adversaire. Et alors ? Notre vocation est de porter la bonne odeur du Christ, pas de sentir la naphtaline.

Un premier acte de courage donne toujours envie d’en poser un deuxième. Le courage tonifie, il emporte tout, il rend heureux, heureux de donner le Christ aux opposants « avec douceur et respect », dit encore saint Pierre, « pour leur faire honte ».

L’Esprit Saint suscite le courage pour toucher les cœurs.

fr. Thierry-Dominique HUMBRECHT, o.p.

Frère Thierry-Dominique Humbrecht

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