Des choix surnaturels

par | 12 mai 2024

Fr. Dominique-Raphaël Kling

Un auteur anglais contemporain construit toutes les intrigues de ses romans sur une seule erreur de choix qui entraîne en avalanche une vie de catastrophes. A l’inverse de Proust par exemple en littérature dont les personnages se construisent sur une accumulation laborieuses d’expériences, cette obsession pour le choix initial manqué éclaire  singulièrement l’incommensurable défi de nos décisions humaines. Chaque bifurcation souscrite rétrécit par la suite les possibilités ouvertes et une unique  occasion manquée peut ruiner tout espoir d’accomplir le rêve que vous êtes fixés.

Un tel accomplit  une mauvais orientation de carrière et à 30 ans il est trop tard pour reprendre de longues études.

Un  autre sélectionne une filière scientifique  alors que ses talents s’épanouissent en réalité  dans les arts et en ait profondément malheureux.

Un brillant diplômé se laisse attirer par les paillettes d’une rémunération  alléchante et se brûle l’âme et part en burn-out.

Deux jeunes se lancent dans la vie commune pour se sauver mutuellement de la solitude ou de la noyade affective : c’est parfois  notre épreuve  pour nous prêtres dans les préparations au mariage sans que nous puissions rien faire.

En tout cas nos douloureuse et multiples expériences d’accompagnement de situations devenues inextricables par une erreur d’aiguillage initiale.

Oh bien sûr un  discours motivationel  cherchera à rassurer : « il n’y a jamais d’erreur, seulement des opportunité de grandir, la résilience se construit de nos défaillances » etc.. Pourtant la maturité de l’âge sait  bien que notre vie terrestre résulte moins de la somme de nos choix  que  d’un nombre restreint en réalité de choix décisifs professionnels, sentimentaux, vocationels. Ils nous font choisir des voies qui se rétrécissent progressivement dont il est de plus en plus difficile de revenir ensuite.

Tout autant pourrions appliquer cette rumination bougonne aux évangiles ! Que se serait-il passé si le sort n’était pas tombé sur Mathias mais sur un autre ? Si les disciples avait manqué le rendez vous de l’ascension ou de la Pentecôte  parce qu’ils avaient manqué leur correspondance en chameau ? Si Judas avait été arrêté dans sa trahison du Christ  par un disciple un peu plus affuté  à comprendre  la désignation du Christ à la Cène ?La destinée du monde en aurait été elle changé ?

« Ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi, je n’appartiens pas au monde. Sanctifie-les dans la vérité : ta parole est vérité. »

A l’angoisse de ces  déterminations enfermantes de nos choix que je viens de pointer, le Christ  rétorque aujourd’hui: « vous n’êtes plus du monde » Dans le monde certes, encore lié à sa contingence et ses défaillances, mais échappant à sa tragique destinée.

Ou plutôt élevé  à une autre hauteur, déployé à une autre profondeur : celle de la Sanctification du Nom. « que ton Nom soit sanctifié » répétons nous des millions de fois dans une vie.

« Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du Mauvais. »

La complexité de notre choix chrétien réside tout entier dans ce paradoxe :

– nous sommes dans le monde mais déjà avec le X de l’Ascension accroché au Ciel.

–  nos choix discernent des moyens terrestres mais déjà dans un regard céleste.

De cette lumière de l’ascension  sur notre vie, trois conséquences en découlent : confiance,  ES et gloire.

La première conséquence qui en résulte pour le chrétien  est celle d’une confiance infrangible. Nos échecs de la terre sont gage du Ciel « qui perd sa vie à cause de moi vivra éternellement » La vie du Christ est un échec patent, et c’est pourtant la victoire la plus ultime de toute l’histoire du monde. Son choix de ressusciter Lazare a mis en branle sa propre mise à mort. Mais sa mort a été la mort de la mort.

Cf 2e lecture « Dieu est amour : qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. » Quelques soient nos défaillances humaines, nos erreur d’aiguillage, un chemin de victoire s’y trace à une autre profondeur, à une autre hauteur, lorsque notre être respire de l’amour de Dieu c’est à dire de sa vie même. La logique du monde n’a alors plus le dernier mot : nous en sommes comme libéré.  Certes la souffrance de nos échecs patents demeurent mais s’y fraient un chemin d’offrande et de don : ce ne sont pas des perfections ou des réussites que la charité nous supplie de donner mais notre propre personne « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie »  Le tragique de nos échecs appellent à un plus grand don, un  amour total dans le Christ.

Ce monde passe, l’amour du Christ jamais : il constitue la trame de notre gloire future.

La deuxième conséquence est  que tout nos choix sont à discerner en  Dieu. Loin de nous plonger dans une sorte de désintérêt ou déréalisation du monde, ils en acquièrent un poids et un enjeu renouveler. Et « voici comment nous reconnaissons que nous demeurons en lui et lui en nous : il nous a donné part à son Esprit. » L’Esprit nous est vraiment offert en partage.

Nos confirmands s’apprêtent à le recevoir et nous à y être confortés dans ce que nous déclinons en dons dur Esprit Saint pour en laisser apparaître la fécondité. Oui, nous avons à invoquer l’Esprit Saint dans chacun de nos choix et discernement.

Par le don de conseil, l’Esprit Saint transforme notre intelligence morale et pratique pour que nous discernions parmi tous les biens, ceux qui sont les meilleurs. Ayant remis notre jugement entre les mains de Dieu, il simplifie et unifie notre vie et dispose à la douceur à l’égard des autres.

Par le don d’intelligence, l’Esprit Saint transforme notre capacité à rechercher la vérité en toute chose. Il nous aide à saisir les vérités de la foi et les Écritures. Il nous ouvre aux secrets de l’enseignement de Dieu et permet de saisir combien tout est ordonné à la gloire de Dieu.

Par le don de sagesse, Il ouvre notre intelligence à une contemplation aimante  de Dieu : il unifie cœur et intelligence.  Nous connaissons Dieu et Le contemplons  unis à Lui dans la charité.  Il nous fait communier à la vie  du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. En devenant  fils adopté de Dieu, il nous ouvre à un  paix  engendrée en nous par cette union à Dieu  qui rayonne alors autour de nous.

Par le don de science, nous participons à la connaissance de Dieu sur les réalités créées. Notre regard sur les créatures set éclairé par leur lien à Dieu et nous conduisent à Lui.

Enfin troisième conséquence : Dieu dispose tout pour sa gloire. Le grand mot du christianisme n’est pas la croix mais la victoire. La grande question n’est pas de réussir sa vie mais laisser réussir la vie de Dieu en nous. « Le Seigneur a son trône dans les cieux : sa royauté s’étend sur l’univers. »

Qu’est-ce qui a poussé Dieu à créer l’univers ? Rien n’aiguillonne Dieu à la création du monde.

Comme le dit le Psalmiste,  son cœur est en fête, son amour déborde, il éprouve le besoin de faire exister hors de lui son amour, sa joie. Non par nécessité donc, mais par débordement. Il crée dans l’élan de son bonheur et de son amour. Pour exprimer son bonheur, sa splendeur, ses perfections, son amour, pour faire exister  « hors de lui-même » pour « pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés » Notre vocation est  de manifester, faire éclater ses perfections, son bonheur, son amour de Dieu. Que ce soit le soleil qui éclaire,   la forêt profonde, que ce soit le ciel plein d’étoiles ou d’aurores boréales, que ce soit un enfant ou la vie accomplie du grand âge, toutes les créatures n’ont pas d’autre finalité que d’exprimer, de manifester Sa gloire en participants de quelques de ses perfection.

Si ma vie est donnée et sanctifiée en  Dieu est glorifié par moi : « qu’ils soient un, comme nous-mêmes un ». Alors notre vie célèbre la  Vie immense de Dieu. Elle a vocation à être féconde,  certes au plan humain mais encore plus au plan spirituel, ma vie glorifie Dieu.

« Ce qui glorifie mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit. » dit le Christ.

fr. Dominique-Raphaël

Fr. Dominique-Raphaël Kling

Fr. Dominique-Raphaël Kling