Les chemins de croix : pour qui ? pour quoi ?

par | 14 mars 2023

Frère David Perrin

Un mot, frères et sœurs, sur la tradition des chemins de croix. Comme beaucoup d’autres, celle-ci n’est pas très bien comprise et estimée. Outre le fait qu’elle tombe souvent à l’heure du repas, entre midi et deux, et que le corps, par conséquent, y répugne, cette pratique est réputée doloriste et morbide, bonne pour le peuple qui a besoin de se raccrocher au sensible mais pas pour les gens éclairés. Sans parler de la difficulté qu’il y a à témoigner de sa foi en pleine rue : – « Les chemins de croix ? » – « Pas trop mon truc ! Pas ma sensibilité ! Je laisse ça à d’autres. »

Commençons, si vous le voulez bien, par rappeler le principe ! Les chemins de croix sont nés au XIVe siècle dans les milieux franciscains. Ils se sont répandus très vite dans toute l’Europe auprès des fidèles qui ne pouvaient pas faire le grand pèlerinage en Terre Sainte et vivre la Semaine Sainte à Jérusalem. L’idée était très simple : « Puisque nous ne pouvons pas aller à Jérusalem, Jérusalem viendra à nous ! »

C’est ainsi que, depuis plus de sept siècles, chaque vendredi saint, puis, chaque vendredi de carême, les chrétiens font des rues de leurs villes ou de leurs églises le lieu de la Passion du Christ. Mais si les chemins de croix sont bien une représentation de la Passion, en quatorze stations, ce ne sont pas des pièces de théâtre ! D’abord, parce que l’histoire représentée n’est pas une fiction ou un évènement imaginaire. Ensuite, parce que ceux qui vivent les chemins de croix prennent leur part, sans s’en rendre compte, à la Passion du Christ.

Ce mystère est grand ! Pour vous le faire comprendre, permettez-moi un parallèle un peu étonnant. Vous savez sans doute qu’au siècle dernier, un romancier et philosophe français célèbre, Albert Camus, avait bouleversé et renouvelé l’interprétation traditionnelle du mythe de Sisyphe, cet homme condamné à porter pour l’éternité un rocher immense au sommet du montagne, en imaginant Sisyphe heureux, au moment de la redescente. Camus tenait que Sisyphe, à cette heure, était supérieur à son destin, plus fort que son rocher. Je passe sur le sens qu’il donnait à cette histoire et qui est à des années-lumière du sens chrétien de la vie. Ce qui m’intéresse est d’imaginer à mon tour le Christ heureux dans sa Passion.

Non parce qu’il échapperait à son rocher — le Christ, lui, n’est pas descendu, vivant, de sa croix — mais parce que, dans sa montée, alors que presque tous ses contemporains l’avaient quitté et abandonné, une foule immense de fidèles était à ses côtés. Cette nuée innombrable, en ce vendredi 7 avril de l’an 30, nul ne la voyait.

Seul Jésus, dans le mystère de sa prescience divine, pouvait la contempler. Lui seul pouvait voir ces visages amis qui se superposaient à ceux qui l’insultaient et se moquaient de lui ; visages de ceux qui, dans les siècles à venir et jusqu’à la fin des temps, croiraient en lui en s’associant à sa Passion.

Nos participations aux chemins de croix le soulageaient par avance et lui donnaient la force de porter sa croix et de porter nos péchés. En le suivant ainsi dans sa Passion, nous devenons les amis qui, au milieu de ses ténèbres et dans sa douleur, ont fait sa joie.

 

 

Frère David Perrin

Frère David Perrin