Pas plus que nécessaire
Certaines personnes aiment les détails croustillants, l’éclat de l’extraordinaire ou les phénomènes surnaturels. Certains chrétiens se repaissent d’histoires merveilleuses. Aujourd’hui, le brave S. Thomas a l’air d’être de ce genre-là. (Je précise : il s’agit de S. Thomas l’apôtre, celui dont l’évangile parle aujourd’hui, et pas de notre grand S. Thomas d’Aquin qui, sur ce point, est plutôt du genre opposé !) Aujourd’hui, la parole des autres disciples ne suffit pas à S. Thomas l’apôtre, il veut plus, il veut plus extraordinaire. Et pourtant, nous dit l’Évangile, il n’y avait pas besoin d’en rajouter.
L’évangéliste S. Jean insiste sur cette sobriété de la révélation divine. Il ne se contente pas de rapporter la phrase de Jésus sur la bonté de croire sans voir (« Heureux ceux qui croient sans avoir vu »), il ajoute aussi un petit paragraphe bien éclairant quand nous souhaitons de l’extraordinaire ou des révélations privées : « Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits […] et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu ».
En entendant le début : « Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits », on pourrait se dire : « Chouette ! Il y a plein d’autres événements de la vie du Christ, on peut se mettre en quête de nouveaux éléments de la vie du Christ ! », mais il semble que c’est la volonté de Dieu que tout ne soit pas raconté dans la Sainte Écriture. Il n’y a qu’un bout, mais ce bout est assez pour, dit l’évangéliste, « que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom ».
Ce que les évangiles nous disent de la vie de Jésus est assez pour nous. Assez pour ce qui est le principal : que nous croyions que Jésus est le Christ. Il n’est pas nécessaire d’ajouter tout un tas de révélations : ce que Dieu nous donne dans la Bible est assez.
Le démon se réjouit sans doute de voir des chrétiens dépenser leur énergie et leur temps à courir derrière la dernière pseudo-mystique à la mode et d’être ainsi, peut-être, même détourné de Dieu qu’ils voudraient honorer et servir.
Dieu ne veut pas d’ectoplasmes formés par des mediums. La sobriété de ce que Dieu nous a donné dans la Bible est assez pour nous conduire à la foi en Jésus-Christ et à la pratique de la charité. Notamment parce qu’il y a dans les évangiles une partie très développée – plus que les miracles : c’est l’enseignement de Jésus pendant sa vie publique. Cet enseignement de Jésus est comme le trésor du trésor de la Révélation. Ce trésor a tellement de valeur que les évangélistes ne rapportent presque pas de paroles de Jésus après la résurrection. Nous pourrions rêver d’entendre l’homélie que Jésus a faite aux pèlerins d’Emmaüs, ou bien ce que Jésus disait aux apôtres quand, ce soir de Pâques, « il leur [ouvrait] l’esprit à l’intelligence des Écritures » (Lc 24, 45), mais les évangélistes inspirés par le Saint-Esprit n’en ont pas rapporté le contenu. En revanche ils nous livrent de nombreux discours de Jésus avant sa Passion.
Nous avons tout l’Ancien Testament, tous les enseignements des apôtres, toutes les paroles et actions de Jésus rapportées dans les évangiles… ce n’est pas rien ! Quand nous voudrions avoir plus, il est bon de se rappeler que cela doit nous suffire.
Est-ce que cela veut dire qu’il ne faut surtout pas ouvrir d’autres livres que la Bible ? Non ! Il y a beaucoup de bons livres. Comment les reconnaître ? Justement à ce qu’ils viennent de la Bible et qu’ils y conduisent. Les saints, les théologiens, les bons auteurs spirituels s’abreuvent à la Parole de Dieu, se nourrissent de la Sainte Écriture. Ce qu’ils écrivent ensuite est un commentaire, un éclairage nouveau, une mise en perspective de cette Parole de Dieu. C’est cette même Parole de Dieu présentée avec le meilleur d’eux-mêmes. Il y a beaucoup de choses que nous pouvons lire en dehors de la Bible pour nourrir notre foi : tout le Magistère, la théologie, les écrits des saints, mais aussi l’archéologie biblique, etc. Et cela nous ramène normalement à la Bible, à lire et relire encore et toujours ces pages que Dieu nous a offertes.
Ajoutons aussi un autre moyen de recevoir ce que Jésus veut nous donner : c’est la liturgie. La visite de Jésus aux disciples le soir du dimanche de Pâques a été l’embryon de la messe dominicale. Depuis, dimanche après dimanche, il vient encore nous visiter. La liturgie, elle aussi, vient de Dieu. Elle est remplie de références bibliques et nous conduit à aimer cette Parole de Dieu vivante. Il n’est pas étonnant que ceux qui sont absents aient du mal à croire !
Reprenons des paroles entendues aujourd’hui : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu », « en croyant vous [avez] la vie [divine] ». « Celui qui croit que Jésus est le Christ, celui-là est né de Dieu » et « tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde », il garde les commandements de Dieu « et ses commandements ne sont pas un fardeau » : voici ce qui est vraiment extraordinaire, surnaturel, divin. Voilà ce que Dieu veut nous offrir.
fr. Timothée Lagabrielle op