On demande des bons « barreurs »

par | 7 mai 2017

Frère Nicolas-Bernard Virlet

On demande des bons « barreurs »
Le prophète Ezéchiel le décrivait déjà tout au long du chapitre 34 de son livre à relire en ces jours : « les brebis se sont dispersés faute de pasteurs », sur des chemins d’égarements, de traverse. Comme un bateau sans gouvernail à la merci de tous les vents et des houles violentes et incertaines. Comme des moutons de panurge d’une foule errante au gré des magasins des nouveaux sanctuaires modernes que sont les centres commerciaux, comme autant de stabulations libres, gavantes du vide du non sens de la société de consommation. Le mouton de panurge qui ne suit aucun berger mais le mouton qui est devant lui, se faisant tondre à chaque station de service l’illusionnant que la vie est un doucereux long fleuve tranquille. Comme des feuilles mortes dont l’ambition n’est que d’être portées par l’air du temps, du prêt à penser politico médiatique et sociétal, où il faut penser et faire comme tout le monde : « cosi fan tutte ».
Face à un tel spectacle qui n’est pas nouveau, le Seigneur est ému aux entrailles, de voir la foule qui commençait à le suivre, car elle était comme des brebis sans berger cherchant un vrai berger (Mc 6,34).
Il y a tant de faux pasteurs, de gourous de toutes sortes qui se présentent à nous … Alors, au milieu de tous ceux-là, cherchons à discerner le visage du Bon Pasteur : qui vient faire des brebis errantes, dispersées, de la foule des pécheurs que nous sommes, des membres de son peuple de sauvés.
Il est celui qui accomplit la généalogie des bergers qui annonçaient sa venue : Abel, Abraham, Moïse, David. David qui fut choisi pour être roi-pasteur du peuple de Dieu, non parmi les candidats qu’on présentait au prophète Samuel, parmi les fils de Jessé le Bethléemite : mais comme celui que l’on avait oublié, négligé, rejeté de cette nomination, de cette élection divine … (1 Sm 16,1-13)
Ce Bon Pasteur est le Roi, roi des rois : Serviteur incontournable de la royauté commune des baptisés. Il est le Prêtre, le Grand Prêtre : Serviteur indispensable du sacerdoce commun des fidèles. Il est Celui qui accomplit toutes les prophéties, le Fils de Dieu : Serviteur de l’annonce de la Bonne Nouvelle par tous les baptisés. L’Elu de Dieu, Serviteur de Dieu, serviteur de l’élection divine de chaque chrétien par la grâce de son baptême
Il est celui qui est le Chemin, l’unique chemin des brebis, de leur salut (Jn 14,6) : en dehors de ce chemin, c’est l’abîme. Il est devant ses brebis pour leur montrer le chemin, l’ouvrir pour elles, premier né d’entre les morts (Col 1,18). Il est à côté d’elles, marchant à leur rythme dans la patience de sa pédagogie divine de charité. Il est derrière elles, surveillant qu’aucune ne se perde, se faisant le dernier, recherchant celle qui s’égare, au prix de sa vie divine, pour que nous ayons sa vie en abondance. (Lc 15,4-7) Depuis le premier jour de la création où il vit que tout ce qu’il avait créé était très bon (Gn 1,31) comme au premier jour de son Incarnation procurant par sa seule présence parmi nous, l’un de nous, non pas une petit joie, mais une très grand joie, en abondance, au rois venus d’Orient à l’Epiphanie (Mt 2,10). Comme au premier jour de sa prédication avec le miracle de Cana où il fait du très bon vin et en surabondance pour les convives de la Noce (Jn 2,1-11), comme lorsqu’Il multiplie en surabondance les pains pour la foule affamée (Mt 13,20). Et aimant les siens jusqu’à la fin (Jn 13,1) il prie pour eux jusqu’au dernier soir « afin qu’ils aient sa joie en sa plénitude. » (Jn 17,13)
Il est le Bon Pasteur en vérité : il est la Porte des brebis, il n’y en a pas d’autres. Toutes les autres sont des fausses portes conduisant finalement dans le mur ou s’ouvrant sur le néant. Cette porte tourne sur les deux gonds indispensables, inséparables de la miséricorde : de l’Amour et de la Vérité, jamais l’un sans l’autre. Une porte à un seul gond ne s’ouvre pas, ne fonctionne plus, n’est plus une porte. Il en est même le portier, nous dit saint Augustin. Il en a la clef : celle de sa venue parmi nous, l’Incarnation. Et la poignée est celle de la Rédemption qui nous ouvre le Royaume du salut éternel.
Il est le Pasteur et l’Agneau : Il est le Pasteur lui-même obéissant comme un agneau obéissant à son Père, jusqu’à donner sa vie pour nous pauvres pécheurs.
Il appelle chacune de ses brebis par son nom. Depuis Adam, Abraham, Moïse, Samuel, la très sainte Vierge Marie, jusqu’à Marie-Madeleine au matin de la résurrection : Il connaît et appelle, aime, chacun par son nom.
Voici que le Berger qui est la porte des brebis, se tient à la porte de notre coeur, mais ne la force pas. Il frappe : « si quelqu’un ouvre, alors j’entrerai chez lui, lui près de moi, moi près de lui, pour souper. » (Ap 3,20).Oui il est vraiment l’unique Bon Pasteur. Bergson disait : « Les centaines de livre que je l’ai lus ne m’ont pas donné autant de réconfort que le Psaume 22 : Le Seigneur est mon berger … »
Alors comment ne pas être disciple, heureux serviteur d’un tel pasteur, du Bon Pasteur, qui veut nous donner des pasteurs selon son coeur (Jr 3,5). Disciple du Bon Pasteur : humblement comme un chien de berger qui rassemble le troupeau, protège les brebis de l’égarement et de la méchanceté de l’entourage.
Dieu appelle : qui ne fera pas qu’entendre sa voix, mais écoutera son appel : « Soyez les bergers du troupeau de Dieu qui vous est confié » (1 Pi 5,2) Pas meilleurs que les autres, « car je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs » (Mt 9,13). Pas appelés, car capables par eux-mêmes, mais devenus capables, car appelés et ayant répondu : « Oui, me voici » Le Fils de l’homme, lorsqu’il reviendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? Trouvera-t-il encore des pasteurs pour conduire son peuple dans l’espérance ?
Le prêtre est pasteur : il est aussi le barreur du navire de l’Eglise, de la communauté chrétienne qui lui est confiée. A la suite de Pierre, pêcheur expérimenté, barreur sûr, à qui Jésus a confié de conduire la barque de l’Eglise, voiles déployées au souffle de l’Esprit Saint.
Sur une barque ou petit bateau, le barreur est le membre de l’équipage qui tient la barre du gouvernail, c’est-à-dire qui maintient le bateau dans la direction choisie. Le barreur suit les instructions du navigateur qui lui a fourni un cap à tenir face à tous les obstacles rencontrés dans la navigation.
Un bateau sans gouvernail, sans barreur, est un bateau en détresse … Une paroisse sans prêtre, sans pasteur, est comme un équipage, comme un bateau, sans barreur, sans gouvernail gouverné, qui seul conduit au bon Port de la vie éternelle. Avec sagesse réaliste, le saint Curé d’Ars décrivait de manière sombre un village sans prêtre, sans son bon pasteur …
Jeunes ici présent, vous parents de jeunes, grands-parents de jeunes, écoutons avec vous cette prière que le Bon Pasteur adresse certainement ce matin, chaque jour, à certains : « J’ai Nécessité de toi. J’ai nécessité de toi dans la consécration religieuse à mon sacerdoce, au service du sacerdoce commun des fidèles, sans lequel le sacerdoce commun des baptisés ne peut exister et subsister. Pour cela, j’ai nécessité de tes mains pour continuer de bénir. J’ai nécessité de tes lèvres pour continuer à prêcher l’Evangile du salut. J’ai nécessité de ton coeur pour continuer d’aimer comme je vous ai aimés. J’ai nécessité de toi pour continuer de sauver par les sacrements de l’Eglise … J’ai nécessité de ton humanité en surcroît à la mienne pour continuer l’œuvre de la Rédemption que le Père m’a confiée, que le monde espère si souvent sans la connaître. J’attends de toi, cette réponse confiante et aimante : Me voici, Seigneur, voici mon corps, voici mon coeur, voici mon esprit, voici mon âme, que tu m’as façonnés, voici ma vie que tu m’as donnée, pour faire ta très sainte volonté d’amour pour le salut de mes frères (Ps 39). Baptisé avec tes frères, pasteur pour tes frères. » Amen, alléluia !

fr. Nicolas-Bernard Virlet o.p

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