10/10/2010 – Plaidoyer pour les « 9 » – fr. David Macaire, op

par | 4 mai 2018

Plaidoyer pour les « 9 »
Homélie du Fr David Macaire op, pour le 28° Dimanche de l’année C, selon 2Tm 2, 8-13 ; Lc 17, 11-19
On a souvent tendance en commentant cette parabole à souligner l’ingratitude des 9 lépreux, ces vilains, ces méchants, ces mal-élevés qui ne sont même pas revenus remercier Celui qui les a guéris.
Pourtant les « 9 » n’ont fait que ce qu’on leur a dit de faire:
Ils ont obéi à la Loi, la loi de Moïse qui leur demandait en cas de guérison d’aller se présenter aux prêtres,
Ils ont obéi à Jésus, et, c’est à n’y rien comprendre si obéir à Jésus est une mauvaise chose ! Ils ont fait exactement ce qu’Il leur a dit de faire… Marie, à Cana, ne nous a-t-elle pas dit de « faire tout ce qu’il nous dira » ?
Ils ont même fait un acte de foi assez impressionnant puisqu’au moment où ils partent pour Jérusalem pour aller voir les prêtres (dois-je vous rappeler qu’il n’y avait pas de prêtres dans chaque village, mais uniquement à Jérusalem, c’est donc un long trajet qu’ils ont entrepris), ils ne sont pas encore guéris… C’est en chemin, nous dit l’Évangile, qu’ils se trouvèrent purifiés. On ne sait pas quelle distance ils avaient parcouru lorsqu’ils se sont rendu compte de leur purification ! Raisonnablement, sans portable et sans GPS, pouvaient-ils comme cela, rebrousser chemin, sans garantie de retrouver Jésus et les apôtres, eux-mêmes en déplacement de village en village. Ne valait-il pas mieux se rendre à Jérusalem sagement comme le leur avait ordonné Jésus? Et attendre qu’il y arrive lui aussi, puisqu’il s’y rendait, pour le remercier à l’entrée du temple.
Aujourd’hui, nous avons intérêt à les réhabiliter, ces 9 lépreux, car ils nous ressemblent beaucoup. Les 9 lépreux, c’est nous! Nous, croyants pratiquants normaux. Nous faisons ce que Jésus nous dit de faire, nous posons des actes de foi en venant à la messe ou en allant nous confesser, en recevant les grâces que Dieu nous accorde et même quand nous ne les recevons pas nous attendons plus ou moins patiemment que Dieu nous entende… Pour le reste, notre vie s’ordonne sagement, raisonnablement, entre nos obligations religieuses et morales et le reste (vie familiale, professionnelle, études, loisirs…). Je ne crois pas que nous soyons ingrats envers le Seigneur « en suivant nos ch’mins de petit bonhomme ».
Nous évitons de trop nous exposer, comme chrétiens, au travail : à quoi cela servirait-il de jouer les martyrs? Si on est marié, on calcule, en fonction de son budget et de ses capacités, le nombre de ses enfants et on prévoit sagement l’avenir professionnel et matrimonial de ceux-ci selon notre éducation; si on n’est pas marié, on prévoit son plan de carrière et on recherche sa « petite femme » ou son « p’ti mari » pour fonder sa « p’tite famille » avec ces « p’tits enfants » … Tout cela est bon, sage, normal, légitime c’est ce que Dieu nous demande. Les « 9 » ont raison de faire ce qu’ils ont fait, gardons nous de les critiquer d’une façon ou d’une autre.
Il en va de même dans notre pratique religieuse. Par exemple, lequel d’entre nous qui, s’étant confessé, omet d’accomplir sagement sa pénitence, pour « en rajouter une louche », passant la journée en adoration, louant à haute voix en rentrant chez lui, partant en pèlerinage dans un lointain sanctuaire, récitant le Rosaire en entier (les 4 Mystères, après tout ce n’est qu’une heure et demi de prière, moins qu’un téléfilm !), ou encore en allant témoigner à tous ses voisins, même les non-cathos de la joie d’avoir été purifié (j’ai connu une jeune fille convertie grâce au témoignage spontané et joyeux d’une copine qui revenait de confession…)…     Si nous faisions tout cela, nous nous sentirions ridicules et passerions pour des illuminés y compris dans nos familles et même dans l’Église. Voyez, quand je vous dis que les 9 lépreux purifiés c’est nous, c’est tout nous!
Et là vous vous dites que le Père Macaire va encore vous faire un couplet sur la médiocrité…. hé bien vous avez raison! Les 9 lépreux, comme le jeune homme riche, comme les pharisiens, comme tous les bien-pensant et les bons pratiquants qui apparaissent dans l’Évangile, comme aussi les foules des rameaux (dont beaucoup avaient été guéris par le Seigneur) sont tous des médiocres. Médiocre, c’est « B », parfois « B+ » souvent « B- » entre 10 et 14, c’est pas mal. Ce n’est pas « 2/20 » mais ce n’est pas « 19/20 » non plus. Médiocre cela ne veut pas dire « nul », mais « moyen », sage, bien sage, poli et bien poli!
En tous cas cela ne veut pas dire « fou »… Le lépreux samaritain, lui, est fou ! Fou aux yeux des hommes, fou même aux yeux de la religion. Repartir comme cela dans la campagne à la recherche de Jésus, en ignorant la loi, en prenant le risque de ne pas être reconnu « purifié » légalement et donc de rester officiellement lépreux, paria, rejeté, sans même savoir s’il va revoir Jésus sur les routes… ce n’est pas raisonnable, c’est fou !
Mais pourquoi le fait-il? Pourquoi en désobéissant a-t-il mérité un « satisfecit » de Notre Seigneur? Parce qu’il est entré dans un projet surnaturel que nul discours, nul raisonnement ne peut justifier ou expliquer. Il est entré dans ce que les théologiens appellent « l’amitié divine ». Le chemin de cette amitié est escarpé et peu s’y engagent, … 10% d’après l’Évangile, c’est déjà ça! C’est le chemin de ceux qui sont de vrais fous de Dieu, de vrais amis de Jésus, les autres ne sont pour l’instant que des serviteurs, en attendant, au ciel, en le voyant face à face, de se laisser envahir tout entier par lui.
Aux serviteurs de Cana, Marie dit « faites tout ce qu’il vous dira » mais une fois le miracle fait, une fois l’expérience faite de l’amour de Dieu, de sa Miséricorde, ce ne sont plus des serviteurs que le maître attend, mais des amis! Le Samaritain a réagi, non pas comme un serviteur, mais bien comme un ami. Il devient celui qui aime et qui part à la recherche de Celui qui l’aime en proclamant partout son amour et sa louange. Et quand il a retrouvé « celui-qui-se-laisse-trouver » il se jette à ses pieds ! Mais, finalement, c’est dans les bras du Christ qu’il tombe en vérité.
Nous sommes de bons serviteurs de Jésus, saurons-nous devenir vraiment ses amis ? Nous sommes des sages, saurons nous devenir fous? Nous vivons avec lui saurons-nous souffrir et mourir avec lui? Nous sommes catholiques (et fiers de l’être) saurons-nous être des Saints ? Je l’espère.
Amen.

fr. David Macaire, op

Frère dominicain