Parler la Langue maternelle de tous les hommes … « Pentecôte »
Parler la Langue maternelle de tous les hommes …
Solennité de la Pentecôte – fr. Nicolas-Bernard VIRLET o.p.
Cela se passe à Marseille, comme cela se passe ailleurs. Les petites Sœurs indiennes, ne parlant pas le français, baragouinant l’anglais comme elles pouvaient, accueillaient chaque jour des dizaines de personnes qui étaient dans la précarité, à la rue, dont beaucoup en provenance du Maghreb et des pays de l’Est, ne parlant pas plus le français qu’elles. Et elles les servaient et les servent chaque jour, les soignant parfois, leur témoignant par des simples gestes de fraternité : respect, reconnaissance, charité, au nom du Seigneur. Et par là, sans leur faire de grandes phrases dans leur langue qu’elles ne connaissent pas, elles se font comprendre de tous …
Elles leur parlent cette langue maternelle commune à tous les hommes, compréhensible par tous les hommes de bonne volonté, qui est celle de la charité, de l’Esprit d’Amour du Père et du Fils : le langage de la charité, langue plus maternelle encore que le russe, le français ou l’arabe, pour un russe, français ou magrébin : premier langage que tout enfant apprend dans les bras de son père et de sa mère, quelle que soit sa terre d’origine, par leur affection, leur tendresse, leur attention quotidienne à son égard. Et quel drame et souffrance dans la vie, quand ce langage premier de l’amour, proto-langage, n’est pas présent dans la vie d’un enfant …
C’est le langage de l’Esprit d’Amour : l’Esprit d’Amour du Père et du Fils, que Dieu ne cesse de donner à son Eglise, qui vient nous apprendre à parler cette langue maternelle compréhensible par tous les hommes, de tous les pays, de tous mes frères proches ou lointains, de mon entourage ou venus de contrées et de cultures lointaines … Au jour de la Pentecôte, il y a eu un miracle des langues, un signe ainsi donné de la grâce ineffable du don de l’Esprit Saint aux apôtres : pour signifier que c’est l’Esprit d’Amour, reçu en ce jour très saint, qui est venu apprendre aux apôtres à parler cette langue maternelle universelle de tous les hommes, qu’est le langage de la charité, de la vérité de l’Amour de Dieu manifesté en Jésus Christ notre Sauveur, que nous avons crucifié par nos péchés et qui est ressuscité, nous entraînant dans sa victoire éternelle, nous pauvres pécheurs. « Chacun comprenait dans sa langue » (Act 2,6) maternelle, qui, bien avant d’être le russe, le français ou l’arabe, est celle de la charité, de l’Amour de Dieu pour tous les hommes et de sa révélation.
C’est l’Esprit d’Amour plus fort que la mort, du Père et du Fils, qui nous est donné au jour de la Pentecôte. Il est Celui par lequel Dieu devient :
– « Dieu l’un de nous », le plus petit parmi nous, dans l’Incarnation rédemptrice,
– « Dieu à côté de nous », que nous célébrons à Noël.
– aussi « Dieu en nous », que nous célébrons en ce jour de la Pentecôte, qui vient naître en nous, en notre cœur, en notre vie, par Lui, l’Esprit Saint : qui vient nous faire renaître à la vie nouvelle et éternelle, par les sacrements de l’Eglise.
Dieu pour nous, Dieu avec nous, Dieu l’un de nous, Dieu le plus petit parmi nous, Dieu en nous : quelle intimité, quelle communion, quelle unité, quelle joie, quelle force ! face à toutes les tours de Babel de notre monde moderne qui, malheureusement, ne manquent pas …
C’est l’Esprit d’Amour qui fait porter fruit, comme le soleil, aussi bien aux pommiers qu’aux pruniers, aux abricotiers qu’aux poiriers : chacun selon ses dons, ses charismes, sa vocation, sa mission dans l’Église et dans le monde.
C’est l’Esprit d’Amour :
– qui habitait et illuminait le cœur de notre Bienheureux Père saint Dominique, il y a 800 ans, qui lui faisait « parler que de Dieu », de toute chose dans la seule lumière de son Amour, « ou qu’avec Dieu », qu’avec le regard qui contemple dans le dialogue avec tout frère, toute personne rencontrée, un visage bien-aimé de Dieu, visage d’un frère d’une même grâce, d’un même salut, d’un même Sauveur.
– qui l’a rendu attentif à l’attente des hommes de son temps : « Ô ma miséricorde, que vont devenir les pécheurs ? »
– qui l’a conduit à prêcher Celui qui est la Vérité qui nous a tant aimés, face aux hérésies, aux errements de tant de ses frères en humanité.
– qui l’a instruit pour rassembler les premières sœurs moniales, puis les premiers frères, pour la prédication de l’Evangile.
– qui l’a éclairé et poussé à envoyer et disperser les frères, comme Jésus l’a fait avec ses apôtres, pour aller répandre la Bonne Nouvelle du salut.
– qui le faisait, dans sa prière fidèle de nuit, quitter sa louange et son intercession dans la chapelle où il se tenait, pour aller au dortoir, dans la même charité fraternelle concrète qui le tenait en prière chaque nuit, afin de recouvrir les frères qui avaient fait tomber dans la nuit leur couverture : puis il repartait à la chapelle [cf Vitae Fratrum de Gérard Frachet, entré dans l’Ordre en 1225 ; il a rassemblé aussi de nombreux témoignages sur notre bienheureux Père]
– qui nous a parlé, enseigné, par les apôtres, les saints, et qui veut, par nous alors, parler à nos frères, les enseigner, par notre témoignage en actes et en paroles, par toute notre vie, habités de Lui.
Ainsi, la Pentecôte est notre Annonciation : comme pour la Vierge Marie au premier jour où le Verbe de Dieu a pris chair en elle, les paroles de Jésus prennent chair, vie, dans le cœur des apôtres et le nôtre, dans l’Esprit Saint : les apôtres, comme la Vierge Marie au premier jour va porter la Bonne Nouvelle du salut à sa cousine Elisabeth (Lc 1,39-45), proclament juste après, à la foule rassemblée, le kérygme, les merveilles de l’Amour de Dieu (Act 2,14-36). Comme la Vierge Marie juste après l’Annonciation, les apôtres juste après la Pentecôte ne peuvent garder pour eux seuls la grâce de l’habitation en leur cœur, de Dieu dans l’Esprit Saint : la Bonne Nouvelle de cette présence éternelle et salvatrice dont rien ne peut désormais nous séparer (Rm 8,35+37-39)
Frères et sœurs, en vérité, je vous le dis, l’Esprit Saint, avec Jésus ressuscité, est avec nous, chaque jour jusqu’à la fin du monde (Mt 28,20), pour tout homme qui ouvre son cœur à son souffle, à sa présence : mais c’est nous qui ne sommes pas avec Lui, à cause de notre cœur fermé à sa venue par notre péché. Il nous le dit : Il est venu nous conduire à la vérité toute entière (Jn 16,13), nous conduire pleinement à Celui qui est la Vérité toute entière de l’Amour de son Père et notre Père.
Bon Vent au souffle de l’Esprit d’Amour : il vous apprendra à parler chaque jour le langage de la charité, langue maternelle commune à tous les hommes, compréhensible par tout homme de bonne volonté : parler ainsi, parler en amour vrai, en miséricorde, c’est parler à nos frères, à la suite du Christ, de la Vierge Marie, des apôtres, des saints. Ce que le monde Attend sans le savoir, ce que nos frères Espèrent sans le connaître.
fr. Nicolas-Bernard VIRLET O.P.