La sainte famille

par | 29 décembre 2019

Frère David Perrin

Drôle de famille, n’est-ce pas ? Le père de l’enfant, déjà, n’est pas le père biologique. Vous allez me dire : « Ce sont des choses qui arrivent. » Oui, mais Marie n’a pas trompé Joseph. C’est, bien sûr, ce que le pauvre homme a cru, au début ! Mettez-vous à sa place. Voilà trois mois que vous n’avez pas vu votre fiancée. Quand elle revient, vous remarquez qu’elle n’est plus tout à fait comme avant. Comment a-t-elle pu faire une chose pareille ? Vous lui auriez donné le bon Dieu sans confession. Vous vous mettez à gamberger. Vous ne voulez pas créer de scandale, vous l’aimez encore. Mais vous vous sentez blessé, humilié, trahi. Vous ne pouvez pas vous empêcher de passer en revue les hommes, dans la ville, qui auraient pu faire cela, à moins que ce soit quelqu’un qu’elle a rencontré chez sa cousine. Sa cousine, tu parles ! Vous avez la tentation de vous venger… Tout ça, c’est ce que vous pensez, vous ! Joseph, lui, pense surtout à Marie. Cet « homme juste », dit saint Matthieu, décida de la répudier sans bruit.

Il fallait bien qu’un ange arrive pour arranger la situation et expliquer l’inexplicable : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme ». Mais d’où vient l’enfant ? Elle n’est quand même pas tombée enceinte comme ça, par l’opération du Saint-Esprit ? Eh bien oui, justement. C’est ce que l’ange annonce en songe à Joseph : « ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint ». Il l’avait dit la même chose à Marie quelques mois plus tôt : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre. » Gare au malentendu ! L’Esprit Saint n’est pas le mari de Marie et le père de l’enfant. Jésus n’est pas issu de l’Esprit Saint. Il ne descend pas de lui. Non, l’Esprit-Saint n’a fait que former le corps de l’enfant dans le sein de sa mère. Marie, de son côté, n’a pas dit non. Elle aurait pu. Mais la toute graciée, comme le dit l’ange, l’immaculée conception, a dit oui : « Je suis la servante du Seigneur ; qu’il m’advienne selon ta parole ! » Aussitôt dit, aussitôt fait. L’Esprit-Saint conçut en elle, à partir de sa chair, un être dont l’ange a dit qu’il sera saint, qu’il sera le fils du Très Haut et dont le règne n’aura pas de fin.

Drôle de famille, n’est-ce pas ? Le père n’est pas le père. La mère est toujours vierge. Et l’enfant n’est pas comme les autres. Enfin, si. Il a comme tous les bébés une tête, qu’il n’arrive pas encore à tenir bien droite, des mains et des pieds minuscules, des yeux qui n’ont pas encore leur couleur définitive. À le voir téter goulûment puis s’endormir, comme un bienheureux, sur le sein de sa mère, on se dit que c’est un enfant comme les autres ; sauf que cet enfant est la seconde personne de la Trinité, le Fils éternel de Dieu. En bref : Dieu. Je sais ce que vous allez me dire : « Lui, le Tout-Puissant ? Vous avez vu sa main ? Elle tient tout entière dans ma paume. Lui, le Fils de Dieu ? Vous l’avez vu hoqueter ? Quel dieu accepterait qu’on lui change ses couches ? » Je sais tout cela. Je sais que mes paroles vous paraissent folles. Scandaleuses même. Mais elles sont vraies. Ce nourrisson est bien le Fils éternel de Dieu.

Je pourrais, pour tâcher de vous convaincre, vous citer les Écritures, vous dire, comme l’ange, que « rien n’est impossible à Dieu » et vous montrer pourquoi il convenait que Dieu s’incarnât… Mais je ne ferai rien de tout cela aujourd’hui. Je me contenterai de vous demander une chose, une seule. Allez les voir ! Qui ? Cette petite famille. Allez-y et dites-moi ce que vous en pensez. Ils sont là tout près. Vous n’avez qu’un pas à faire. C’est ça. Poussez la porte ! Marie est là dans le clair-obscur de l’étable. Elle tient son fils dans ses bras, le berce et lui chante tout doucement des mots que seuls, son enfant et elle, comprennent. Approchez-vous. Voyons, ne soyez pas timide. Elle ne va pas vous manger. Elle en voit passer des gens, vous savez, depuis trois jours ! Vous marchez à peu feutrés. Marie vous a entendu. Elle se retourne légèrement, vous présente son visage et vous sourit avec calme. Mais vous ne voyez que ses yeux. Votre regard est plongé dans le sien. Et soudain, vous vous dites : « Mon Dieu, c’est vrai. Voici la Vierge Mère ». Vous êtes bouleversé. C’est étrange, n’est-ce pas ? Jamais personne, dans toute votre vie, ne vous a regardé comme elle, avec autant de douceur et de pureté, jusqu’au fond de l’âme. Vous avez fait, sans vous en rendre compte, un pas en arrière et vous laissez la mère à son enfant.

Vous vous tenez debout, immobile, derrière le rais de lumière qui dessine dans la poussière comme une limite sacrée entre vous et elle. Vos yeux se tournent maintenant vers son mari. Il est là, silencieux, et il veille. C’est un homme bon. Ça se voit sur ses mains, sur son visage. Il ne sait pas encore ce que Dieu attend de lui. Mais il est prêt à tout, prêt à faire de son mieux pour protéger sa femme et cet enfant qu’il aime déjà de tout son cœur, comme s’il était le sien. Cette nuit, Joseph va recevoir la visite de l’ange. Ils seront bientôt sur les routes : elle, lui et l’enfant. Ils fuiront vers l’Égypte, comme leurs pères. Ils fuiront au désert pour que vive cet être saint, cet enfant qui vient de Dieu.

Regardez-les encore un instant et puis sortez. Dites-moi, à présent : n’avez-vous jamais vu de plus sainte famille ?

Fr. David Perrin o.p.

Frère David Perrin

Frère David Perrin