Le Pasteur des étoiles devient Pasteur des hommes
« Posant son regard sur Jésus, Jean le Baptiste dit à ses deux disciples : “Voici l’Agneau de Dieu” ». C’est la deuxième fois que Jean le Baptiste désigne Jésus ainsi au début de l’évangile de Jean ; quelques versets plus haut, il disait : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29). Mais il n’est pas seulement agneau, et S. Jean se plaît à le montrer immédiatement : les disciples se mettent à la suite de Jésus, Jésus les mène où il demeure, il les rassemble, les appelle chacun par son nom ; ce n’est pas l’action d’un agneau, mais c’est l’action d’un berger. On retrouve ici ce que Jésus dira plus tard dans ce même évangile : « le pasteur marche devant et les brebis le suivent » (Jn 10, 4) ; « ses brebis à lui, il les appelle une à une et il les mène » (Jn 10, 3), il les rassemble en une unique bergerie (Jn 10, 16).
Jésus est à la fois l’Agneau et le pasteur. Plus encore, il est le pasteur parce qu’il est l’Agneau, puisque l’Agneau est offert en sacrifice pour le pardon des péchés – comme cela se faisait au Temple de Jérusalem – et que « le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10, 11). Ce n’est pas étonnant que des bergers ont été les premiers à venir rendre hommage au Messie à sa naissance : il est le bon pasteur, le berger des hommes reconnu par les hommes qui sont bergers.
Dès le début de la vie publique de Jésus, dès le début de l’évangile, Jésus nous est présenté comme le bon pasteur. Aujourd’hui, S. Jean nous présente le bon pasteur en train de commencer à réunir son troupeau. Il appelle les premières brebis de l’immense troupeau qu’il veut rassembler et conduire.
À vrai dire, Jésus est un faux-débutant dans le rôle de pasteur. Avant l’Incarnation, le Verbe est déjà pasteur de la création. L’univers a été créé par la Parole de Dieu. Le Verbe a disposé l’ordre des choses. C’est déjà un rôle de pasteur puisqu’il « a réuni les contraires avec les contraires pour en composer une seule harmonie » (S. Athanase), comme le berger réuni les brebis pour faire un unique troupeau.
Et comme un bon pasteur, il ne se contente pas de réunir le troupeau une fois puis de le laisser à lui-même, mais il le conduit en permanence. Il gouverne et ordonne l’univers, il le maintient dans l’existence, il lui évite de retourner au chaos et au néant. L’univers est créé et gouverné avec raison et sagesse, cette sagesse qui vient du Verbe de Dieu et que nous découvrons en contemplons l’ordre de l’univers.
Le Verbe, comme un bon pasteur, « compte le nombre des étoiles, et il appelle chacune par son nom » (Ps 146 (147), 4), il mène les rivières comme des brebis « vers le lieu qu[’il] leur [a] assigné » (Ps 103, 8) chante le psalmiste .
Quelle bonté dans toutes ses actions ! Son œuvre est de mener chaque chose vers son bien propre. Et les choses créées suivent ce bon pasteur et elles s’en portent bien. « Les étoiles brillent à leur poste, joyeuses, remarque le sage prophète Baruch, il les appelle, elles répondent : “Nous voici !” ».
« Nous voici » ou « Me voici », c’est la grande réponse des hommes de la Bible à l’appel de Dieu. Les étoiles ne sont pas les seules à suivre le Verbe comme leur pasteur et à obéir à sa voix. Comme Samuel croyant répondre à l’appel du prêtre Éli, « Me voici ! » c’est la réponse pleine d’humilité de l’homme qui se rend disponible à celui qui l’a appelé par son nom. C’est la réponse d’Abraham à l’Ange du Seigneur au mont Moriyya : « “Abraham ! Abraham !” Il répondit : “Me voici !” » (Gn 22, 11), c’est la réponse de Moïse au buisson ardent : « “Moïse, Moïse”, dit Dieu et il répondit : “Me voici”. » (Ex 3, 4), c’est aussi la réponse d’Isaïe le prophète : « J’entendis la voix du Seigneur qui disait : “Qui enverrai-je ? Qui ira pour nous ?” Et je dis : “Me voici, envoie-moi.” » (Is 6, 8).
Aujourd’hui encore, Jésus appelle. Il appelle sans s’arrêter. Dans l’Ancien Testament, nous avons vu Dieu appeler Abraham et Moïse deux fois : « Abraham, Abraham » ; « Moïse, Moïse ». Pour Samuel, le premier appel n’a pas été suffisant. Qu’à cela ne tienne, Dieu appelle une deuxième fois, et une troisième… et pourquoi pas plus s’il avait fallu. Tant que Samuel était en vie, sans doute que Dieu aurait continué !
Il appelle parce qu’il veut nous rassembler dans son troupeau, il veut nous conduire par les bons chemins, par les chemins de justice (Ps 22, 3). N’est-ce pas pour cela que nous sommes réunis ici ? C’est notre bien, c’est pour cela que nous sommes faits. Sans lui, nous sommes errants, égarés, comme des brebis sans pasteur (Is 53, 5 ; 1P 2, 25).
Pour qu’il nous mène, il y a seulement deux conditions : que nous écoutions sa voix (« Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ») et que nous mettions en pratique.
Le bon pasteur, a dit lui-même au Père, en entrant dans le monde : « Voici, je viens pour faire ta volonté » (He 10, 5.7.9) et à son appel, à sa suite, nous pouvons répondre nous aussi – comme le font les étoiles ! – : « Me voici Seigneur, pour faire ta volonté. C’est mon bien. C’est pour cela que je suis fait. » Et puisqu’il veut encore réunir toute l’humanité à ce troupeau, nous pouvons aussi conduire d’autres à écouter cet appel de Dieu pour y répondre.
fr. Timothée Lagabrielle op