Mystère d’apesanteur – Solennité de l’Annonciation
Pourquoi l’Annonciation est-elle si belle, si admirable ? Pourquoi ne se lasse-t-on pas de la contempler, de la figurer et de la célébrer, de génération en génération, comme Marie, elle-même, l’avait prédit ?
Serait-ce parce que le destin de toute l’humanité est suspendu à la réponse de cette jeune femme ? Ce fait est si grand et si vertigineux que nous ne pouvons pas nous empêcher d’éprouver, quand on y pense, une sorte d’inquiétude rétrospective : « Ô Vierge, hâtez-vous de répondre. Ô ma dame, répondez une parole et recevez le Verbe, prononcez et recevez la divinité, dites un mot qui ne dure qu’un instant et renfermez en vous l’Éternel. Levez-vous, courez, ouvrez ! » Saint Bernard de Clairvaux a raison : si l’Annonciation est belle, c’est en raison de ce « oui » qui nous a libérés.
Mais c’est aussi parce que cet échange sublime signe le début de l’Incarnation, le moment « où l’éternité vient dans le temps, l’immensité dans la mesure, le Créateur dans la créature, Dieu dans l’homme, la vie dans la mort (…) l’incorruptible dans le corruptible, l’infigurable dans la figure, l’inénarrable dans le discours, l’inexplicable dans la parole, l’incirconscriptible dans le lieu, l’invisible dans la vision, l’inaudible dans le son, (…), l’impalpable dans le tangible, le Seigneur dans l’esclavage , (…) la source dans la soif, le contenant dans le contenu, le moment où l’artisan entre dans son œuvre. » (Bernardin de Sienne) Cela, aussi, est vrai mais j’aimerais ajouter une autre raison.
Si le mystère de l’Annonciation est bouleversant, c’est qu’il manifeste l’instant exact où Dieu inversa le cours de l’histoire. Ce moment, annoncé depuis des siècles —Voici que la Vierge concevra — est arrivé dans un petit village de Galilée appelé Nazareth. Dieu a tenu sa promesse. Quelle année, quel jour, cela est-il arrivé ? Yom rishon, le premier jour de la semaine ? Yom shéni, le deuxième jour ? On ne le sait pas. Où Marie était-elle quand l’ange se manifesta à elle ? Était-elle dans sa maison ? Sur le pas de la porte ? Était-elle sur le point de sortir ? Venait-elle, au contraire, tout juste de rentrer ? Qu’était-elle en train de faire ? Nous ne le savons pas et nous n’avons pas besoin de le savoir. Ce qui compte, c’est de savoir que cette rencontre a eu lieu.
Au regard des milliards d’années qui se sont écoulés depuis la création du monde et du temps des hommes, ce jour, cette heure, cette minute, cette seconde où l’ange apparut est aussi petit qu’une tête d’épingle ou une pointe d’aiguille. C’est pourtant à cet instant que s’est opérée la bascule du péché à la rédemption. L’échange entre la femme et l’ange n’a pas duré plus de deux minutes mais ces deux minutes ont changé l’histoire des hommes et du monde. Ce que j’admire le plus dans l’Annonciation se trouve donc dans cette concrétion phénoménale de notre histoire, dans ces quelques minutes — mystère d’apesanteur — où le ciel, et la terre maintenant, retiennent leur souffle.