Pleurer et prier – Notre-Dame du Rosaire
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Pour célébrer Notre-Dame du Rosaire, fêtée traditionnellement le 7 octobre, le lectionnaire dominicain propose l’oracle du prophète Zacharie qui exhorte : « Chante et réjouis-toi, fille de Sion » (Za 2, 14). Le Diable, qui a le sens de l’ironie, a voulu que des milliers de filles de Sion soient massacrées et violées un 7 octobre, et que ce massacre entraîne d’autres massacres en représailles, dans un cycle infernal de violences. Le livre de Jérémie serait donc plus adapté que l’oracle de Zacharie. On y trouve ces mots : « Un cri s’élève dans Rama, une plainte et des pleurs d’amertume. C’est Rachel qui pleure ses enfants ; elle refuse d’être consolée, car ses fils ne sont plus » (Jr 31, 15). Rachel n’est pas seulement une fille de Sion, elle a le visage de toutes les mères qui à Jérusalem et à Gaza, à Kiev et à Moscou, à l’Est du Congo RDC, et dans mille autres lieux, perdent leurs enfants dans une guerre qui, elle, ne dit pas toujours son nom…
Un autre verset de l’Évangile, apparemment paradoxal, revient alors en mémoire : « Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage » (Mt 5, 5) L’héritage de la terre est au cœur de ces guerres qui déchirent le monde : qui est l’héritier légitime d’une terre avidement convoitée ? Qui peut s’emparer de la terre, et très souvent, de ce qui se trouve dans les entrailles de la terre ? Le grec originel de l’Évangile souligne d’ailleurs la terrible ambiguïté, puisqu’on peut aussi bien traduire « recevoir » la terre que « prendre » la terre. Que la terre soit reçue ou qu’elle soit prise, l’Évangile nous assure que ce sont les doux qui en sont les héritiers. C’est vrai du Royaume des Cieux, la seule terre qu’il soit toujours légitime de convoiter. C’est vrai de la terre de notre âme, cette terre que se disputent la grâce et le péché. Seuls les doux possèdent le Royaume des Cieux, seuls les doux possèdent leur âme. Pour ce qui est de tel territoire particulier, on peine à croire que la douceur puisse être de quelque secours, et l’on se résigne à voir la terre pleurer du sang dans un déchaînement de violence.
Attention toutefois. La résignation n’est pas chrétienne. L’abandon à la volonté divine n’est pas la résignation. Car l’abandon à la volonté divine n’exclut pas de prier et d’agir, avec toute notre intelligence, tout notre cœur, là où nous sommes, pour que la paix triomphe. Comme chrétiens, nous savons que le péché est enraciné au cœur de l’homme, et qu’aucune paix ne sera définitive avant la deuxième venue du Christ dans la gloire. Mais nous savons aussi que la grâce ne nous est pas refusée. Voulez-vous un indice que la grâce surgit là même où le péché abonde ? À l’époque moderne, l’un des ressorts principaux de la guerre réside dans la mainmise sur ce qui se trouve dans les entrailles de la terre : telle ressource minière, tel hydrocarbure, etc., qui attire les convoitises et promet des richesses infinies. Nous savons, nous que le fruit des entrailles de la Vierge Marie, cette « terre admirable » dont nous parle le cantique, n’est autre que Jésus-Christ, prince de la paix. C’est un fruit caché. Il ne fleurit que dans les cœurs qui veulent bien l’accueillir. Il est toujours reçu comme un don et non pas pris par la force. Jésus-Christ, prince de la paix, fruit de la terre, est caché, mais il est bien là.
Revenons à Rachel. Peut-on exiger de Rachel qu’elle consente à être consolée ? Non, pour une mère qui a perdu son enfant, les paroles pieuses de consolation sont insupportables et ne font qu’ajouter à l’horreur. Il faut toujours se souvenir que Jésus lui-même, le Verbe incarné, la Parole de Dieu faite chair, est resté muet, s’est tu alors qu’il s’avançait vers le Calvaire. Dans certaines circonstances, même le Verbe se tait, non pas qu’il n’ait rien à dire, mais parce qu’il ne peut pas être entendu. Avec Jésus, avec Marie aussi, qui « méditait ces événements dans son cœur » (Lc 2, 51), on se tait alors, et on prie dans le silence. Amen.
fr. Jean-Thomas de Beauregard op
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