La nuit où on veille

par | 24 avril 2011

Frère Pavel Syssoev

LA NUIT OU L’ON VEILLE
Homélie du fr. Pavel Syssoev pour la nuit de Pâque 2011    ( Mt 28, 1-10)
Pourquoi cette nuit est-elle différente de toutes les autres nuits ? Pourquoi sommes-nous rassemblés ici ? Pourquoi veillons-nous ensemble ? En quoi cette nuit est-elle différente de toutes les autres ? C’est la nuit où on veille.
Les soldats veillent dans cette nuit. Postés près d’une pierre tombale, ils gardent le mort. Ils ne sont pas là pour le veiller, comme on veillerait un ami ou un proche, ils gardent le cadavre, pour qu’il reste bien à sa place : dans la nuit éternelle de son caveau, dans le royaume des morts, pour que ce corps crucifié ne surgisse pas, pour que la parole de ce Messie disparaisse dans l’oubli. Laissons la mort faire son œuvre : elle nous débarrassera de ce prétendu Christ !
Les disciples veillent dans cette nuit. Leur cœur est lourd, le sommeil leur manque. Leur espoir a été brisé, leur confiance – anéantie. Ils ont abandonné leur maître, ils ont laissé mourir leur ami, mais que pouvons-nous faire contre la mort et toute sa puissance ?
Les femmes veillent aussi. Patientes, elles guettent la première lueur du jour pour partir vers le tombeau. Les aromates, les linges, tout est prêt ; elles veillent pour aller retrouver ce corps, pour l’accompagner dans la mort. Le corps du Fils ! Il y a les nuits où l’on veille à cause de naissance – un enfant vient dans notre monde ! Cette nuit-là le Fils nous a été arraché, parti pour un monde sans nom – et les femmes, sentinelles de l’invisible, veillent sur ce seuil.
Un ange veille dans cette nuit. Du haut de son ciel d’azur, il s’apprête à plonger dans nos sombres cieux, balayer cette haïssable pierre ; il est tout ouïe dans l’attente du signal pour fondre, pour briller comme un éclair, pour que les gardes de la mort deviennent comme des morts, pour que les femmes, dont il observe du haut de son paradis, plein d’admiration, une lente et timide marche, pour que ces femmes abandonnent leurs aromates, leurs linges, pour qu’elles courent à leur tour, et joyeuses et tremblantes, en croyant et n’osant pas croire, et disent la parole qui tirera les disciples de leur torpeur. L’ange veille, frétillant d’impatience, émerveillé devant le dessein de son Dieu.
En quoi cette nuit est-elle différente de toutes les autres ? C’est la nuit où on veille. Ce cercle de veilleurs a un centre. Son Nom est : Celui, qui veille. Comme l’annonçait le psaume : Non, il ne dort, ni sommeille, le gardien d’Israël, il n’est pas endormi dans la nuit du tombeau. Jésus, le Crucifié, a plongé dans notre mort, mais elle n’a pas pu le retenir. Son cœur se met à battre, ses yeux s’ouvrent, sa chair rayonne de sa vie divine. Rien de plus spirituel que cette chair du Christ : ce corps qui a traversé notre nuit est devenu lumière et vie pour tous ceux qui s’en approchent.
Pourquoi veillons-nous en cette nuit, comme en aucune autre ? Parce que la Résurrection du Christ nous a réveillés. Comme un choc électrique relance le cœur voué à la mort, le choc de la résurrection nous a arrachés à la vie sans but, héritée de nos pères. Désormais dans la nuit la plus profonde un Veilleur nous attend. Désormais dans la souffrance la plus amère il y a un sens et un espoir. Désormais la mort même n’est plus une impasse, mais un passage, une Pâque, vers la Vie sans fin.
Que signifie veiller, sinon vivre dans la nuit comme s’il faisait jour ? C’est exactement notre rôle, à nous, chrétiens : vivre dans la nuit de ce monde à la lumière du monde à venir. Le chrétien marche comme s’il voyait l’invisible. Dans la nuit il veille, car la lumière du Christ Ressuscité l’a illuminé ! A chacun de nous, au moment de notre baptême, Dieu notre Père, a dit cette parole : Réveille-toi ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts et mon Christ t’illuminera. Aux uns, cette parole, il l’a murmurée dans la douceur de leur prime enfance. Aux autres, il l’a criée au moment de leur conversion adulte. D’autres encore l’ont entendue, solennelle et joyeuse, à travers l’expérience de toute une vie.
À chaque âme, créée pour sa lumière sans déclin, Dieu dit avec la tendresse d’un jeune amoureux : Lève-toi, ma bien-aimée, viens ! Voilà que l’hiver est passé, c’en est fini des pluies, elles ont disparu ! La nuit de ton esclavage – c’en est fini. La domination de la mort sur toi – c’en est fini ! Le prince de ce monde – c’en est fini ! Réveille-toi ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts et le Christ t’illuminera.

Pourquoi cette nuit-là est-elle différente de toutes les autres ? Pourquoi veillons-nous ensemble ? Parce que le Christ s’est levé en cette nuit. Parce que sa lumière nous a tirés des ténèbres. Parce que son Jour éternel nous attend. Parce que la nuit du tombeau ne nous engloutira pas, si seulement – oh si seulement ! – nous vivons éveillés !

fr. Pavel Syssoev, op

Frère Pavel Syssoev

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