Le Carême : tout ou rien ?

par | 1 mars 2017

Frère Antoine-Marie Berthaud

Mercredi des Cendres, 1 mars 2017, Bordeaux, église Saint-Paul des dominicains

LE CARÊME : TOUT OU RIEN ?

Ça y est, nous y sommes ! Le Carême commence. C’est le moment favorable, le jour du salut, comme nous venons de l’entendre proclamé. Quarante jours de salut pour renaître à la vie divine dans la lumière et l’instant de Pâques !

Et pour cette résurrection personnelle et pour toute l’Eglise, ensemble, nous avons besoin de temps et nous allons prendre le temps. Quarante jours de carême !

Mais, frères et sœurs, nous serions tentés de regarder en arrière et, au bilan de nos carêmes passés, d’adopter avec réalisme la mystique du « tout ou rien ». Le tout ou rien !

Le « tout » ? Parce que nous serions d’un tempérament optimiste et volontaire, ce carême nous l’attendions avec impatience. Enfin il est là. On va pouvoir jeûner et se dépasser. Un nouveau challenge, une occasion de nous secouer, une manière de sortir de la tiédeur et de la monotonie de notre vie spirituelle. Et puis de nos jours, l’esprit du monde nous donne des raisons de nous battre, n’est-ce pas ? J’en mentionnerai seulement deux, entre autres.

La diététique : occasion de nous battre… contre les kilos ! Eh oui, cette raison traîne toujours dans l’esprit de nos contemporains. Ou simplement occasion de nous battre contre cette sacrée société de consommation !

Après la diététique, la comparaison : occasion de rivaliser avec les pieux musulmans qui nous feraient bien la leçon avec le ramadan.

Si ces motivations peuvent exister, ce ne sont pas les bonnes raisons. Car cette spiritualité du « tout » nécessiterait, pour tenir 40 jours, de jeûner de tout… sauf, bien entendu, de vitamine C !

La deuxième attitude après le « tout », c’est le « rien ». Le rien, parce que nous serions de tempérament réservé avec un fond de pessimisme ou même dans une phase quelque peu dépressive de notre vie. Vous voyez, frères et sœurs, après tout, ce carême sera comme les autres ! De bonnes intentions ! De bonnes résolutions ! Et finalement tout cela pour avoir des regrets et une culpabilité de n’avoir pas tenu nos engagements. « Vanité des vanités, tout est vanité » disait Quohélet ! Conclusion raisonnable : cela ne sert à rien de « faire carême ». La nature humaine est ainsi faite. Rien ne sert de se battre. A quoi bon se décevoir soi-même avant de décevoir le Bon Dieu lui-même !

Cette spiritualité du « tout ou rien », vous l’avez compris, frères et sœurs, n’est pas celle inscrite dans la Parole de Dieu. Voilà pourquoi elle ne tiendrait pas longtemps par elle-même dans le cœur de l’homme.

Le carême est un temps de grâce. Un temps donné par l’Eglise, un vrai cadeau de Dieu ! Sonnez du cor dans Sion, annoncez une fête solennelle, réunissez le peuple, des plus vieux aux nourrissons ! Osons le dire : le carême est une fête avant la fête. Comme la joie des préparatifs. Car, durant ces 40 jours d’épreuve, nous viserons la fête des fêtes, la joie des joies, sommet de notre vie liturgique : la Résurrection de Pâques !

Le carême est un temps de conversion, de purification, de sanctification. Et cela nous demandera d’entrer plus consciemment dans le combat spirituel. Un combat contre trois ennemis… oh toujours les mêmes !

En premier, le diable. Qui veut notre perte et, ne l’oublions pas, à qui Dieu donne toujours la permission de nous tenter.

Ensuite l’esprit du monde. Qui a adopté consciemment ou inconsciemment les perspectives du prince de ce monde, ce que tout le monde fait ou pense sans réfléchir, mais toujours dans le sens du mensonge, de la transgression et du malheur.

Enfin nous-mêmes, ou plutôt la part de nous-mêmes, celle qui préfère descendre les pentes plutôt que monter les côtes, en un mot : le vieil homme !

Pour ce bon combat, Dieu et notre mère l’Eglise nous invitent à faire pénitence ! Et pour définir simplement la pénitence – selon l’appel de la Vierge Marie transmis à Bernadette à Lourdes : « pénitence, pénitence, pénitence » – je dirais : la pénitence est la peine que je prends pour plaire à Dieu. Nos efforts de carême, vous l’avez compris, seront donc des efforts d’amour.

D’amour de Dieu d’abord (qui est la source) par une vie de prière réelle et plus conséquente ; afin d’écarter l’orgueil qui souvent prend la place du Maître. Une prière donc plus fervente personnellement, en famille, en communauté…

Effort d’amour aussi du prochain par une attention renouvelée, un geste plus généreux envers les misères matérielles mais également spirituelles de nos frères rencontrés sur le chemin ou simplement voisins. Aumône, partage donc, afin de déraciner indifférence ou mépris de l’autre…

Enfin, effort d’amour de soi par une maitrise de nos désirs, de nos besoins, j’allais dire de nos caprices. Jeûne et privations afin de grandir constamment dans le désir de l’essentiel et la liberté des enfants de Dieu.

Alors, frères et sœurs, face à la mystique du « tout ou rien », nous choisirons simplement la « spiritualité de l’amour ». Un amour qui fait vivre, un amour qui cherche et accomplit le vrai bien à travers les épreuves, un amour qui désire aimer et ne jamais renoncer à aimer jusqu’à son accomplissement total : la joie parfaite dans l’humilité et la miséricorde de Dieu. Amen.

Fr. Antoine-Marie Berthaud, op

Frère Antoine-Marie Berthaud

Frère Antoine-Marie Berthaud