La foi augmentée
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Notre évangile est traversée par deux expressions riches de sens spirituel : « Augmente en nous la foi » et « nous sommes des serviteurs inutiles » ou « nous n’avons fait que notre devoir ». Comment comprendre ensemble ces deux expressions pour enrichir notre vie spirituelle ?
La demande des apôtres pourrait être comprise comme une humble prière : « Augmente ma foi car je sais qu’elle n’est pas bien grande ». Mais la réaction de Jésus à rebrousse-poil montre qu’il s’agit d’autre chose. « Si vous aviez de la foi », répond Jésus, autrement dit, si vous aviez autant de foi que vous l’imaginez, ce serait bien suffisant pour accomplir de grandes choses, des choses étonnantes.
Voilà le lien entre nos deux affirmations : l’imagination. C’est une belle réalité, notre imagination. Elle est au principe des grandes œuvres d’art et de toute sorte de créativité. Mais, comme toute nos facultés, elle est aussi touchée par le péché originel et elle tend à vivre sa propre vie au dépend du réel, de la vraie vie, de ce que l’on est réellement et, avant tout, de qu’on est en vérité devant Dieu.
Une tradition spirituelle la nomme : « la folle du logis ». Là ou devrait régner la raison et la pleine liberté, l’imagination impose au logis, à l’âme, son désordre, sa fantaisie, son trouble.
Alors, de tout temps, l’être humain rêve, il rêve d’être augmenté : économiquement ; politiquement ; juridiquement ; électroniquement et même religieusement, y compris quand on se trouve devant la seule humanité vraiment augmentée, qui est l’humanité de Jésus.
C’est vrai que la foi peut grandir. Car la foi n’est pas seulement une conviction qu’on a ou qu’on n’a pas ; qu’on possède ou qu’on a perdue. Il est donc légitime de demander humblement à Dieu de l’augmenter. Mais si l’on s’imagine qu’on a déjà beaucoup de foi et qu’un peu de surplus nous ferait du bien, alors, on n’est plus dans le réel, on est dans l’imaginaire, et c’est pourquoi Jésus nous remet les yeux en face des trous, l’imagination à sa place, pour enrichir notre intelligence et notre volonté, notre vie spirituelle.
Un professeur de morale expliquait que l’être humain vit sa vie à 80 % dans l’imagination. On pense se connaître ; on pense connaître les autres. En fait, on ne pense pas, on imagine. On estime les intentions d’autrui : pourquoi il dit cela, pourquoi il ne dit rien, pourquoi il est absent ou présent, etc. I-ma-gi-nat-ion, la plupart du temps. Bref, on se trompe, on trouble le réel et on s’empoisonne, soi et les autres.
Si Jésus insiste tant sur la vérité de la foi, celle qui nous habite, même comme un grain de moutarde, et c’est pas bien gros, c’est que cette vérité de ma foi personnelle, ce que je suis vraiment devant Dieu, est la condition de la charité. La foi augmentée, c’est la charité.
Alors, l’imagination, oui, pour être créatif dans la charité mais pas pour surestimer sa vie spirituelle, même avec quelque coloration d’humilité, car l’imagination sait faire cela aussi et le Diable est un grand imaginatif et a beaucoup de pouvoir sur notre imagination.
Ensuite, vient la seconde tromperie de l’imagination : imaginer qu’on en a fait beaucoup. Ce qui revient à croire qu’on en a fait bien assez et que le bon Dieu ne nous en demande pas tant. « Je ne suis pas un saint, certes, mais, à peu près, un bon chrétien ». Mais qu’est-ce que ce chrétien qui se résigne, si facilement, à ne pas être un saint ? C’est un chrétien qui n’aime pas, un imposteur.
Là, encore, Jésus remet les choses en place : exécuter ce qu’on doit faire, ce n’est pas un exploit. Que des époux s’aiment ; que des enfants honorent leurs parents ; que des religieux soient religieux ; que des frères prêcheurs prêchent, y a pas de quoi s’en vanter. C’est le minimum du « simple serviteur » comme dit Jésus. Faut pas s’attendre à recevoir une place d’honneur ou à être canonisé parce qu’on aura fait ce qu’on devait faire. Cela, les plantes et les animaux le font. Ça, c’est le minimum, c’est déjà bien, mais le Christ et l’Esprit-Saint nous donnent d’en faire beaucoup plus.
Beaucoup plus ? Peut-être pas, beaucoup mieux : sûrement. C’est quoi ce mieux ? C’est l’amour avec lequel nous faisons tout cela ; c’est l’amour avec lequel nous croyons ; c’est l’amour avec lequel nous servons. C’est l’amour qui imprègne la moindre parcelle de notre vie.
Peut-être que Jésus attendait plutôt cette demande de la part des Apôtres : « Augmente en nous la charité » ; « fais de nous les serviteurs inutiles de l’amour gratuit ». Pour cela, il faudra que Jésus leur explique encore ; il faudra surtout que Jésus aille jusqu’à l’extrême de l’amour sur la Croix. C’est là seulement que la foi s’ajuste, que le serviteur devient un serviteur de la grâce, qu’il devient un « simple » serviteur, rien de plus que de répandre le don de Dieu mais selon la mesure de Dieu, non imaginée à hauteur pauvrement humaine, mais vraiment à la mesure d’un autre amour.
On peut encore rêver, mais avec Dieu, c’est plus sûr.
fr. Gilbert Narcisse, op
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