On ne s’habitue jamais à l’absence… Mais quant à la Présence ?

par | 1 juin 2014

Fr Hughes-François Rovarino

On ne s’habitue jamais à l’absence … Mais quant à la Présence ?

fr. Hugues-François Rovarino, dominicain

Temps Pascal, 7°dimanche – Actes 1,12-14 ; Ps.26 ; 1°Pe.4,13616 ; Jean 17,1-11a

On ne s’habitue jamais à l’absence  – à ce point que je n’ai pas besoin d’insister sur les contours variables de telles périodes.

Non, jamais spécialement quand elle frappe l’amour ou l’amitié.

Il y a alors des arrangements du quotidien face au surgissement d’une situation nouvelle ; et le conseil raisonnable glissé par les amis, devant un fait abrupt qui change soudain la donne. Il peut aussi y avoir la sagesse d’un tempérament qui aura l’équilibre nécessaire pour faire face, ou encore l’intelligence et le caractère pour désormais tourner la page, après que les faits toujours têtus, aient imposé leur loi.

Mais tout cela ne fait que nous murmurer qu’on ne s’habitue jamais à la morsure d’une absence forte. On doit seulement s’en arranger.

Alors, pensez donc, deux absences : que faire, qu’en dire ? Ainsi, la deuxième fois, les disciples de Jésus vont retourner dans la Chambre Haute. Jésus est parti aux Cieux.

Le sentiment de ceux qui restent, pourait être celui de l’abandon. L’abandon commence comme un départ puis il s’installe comme une absence. Reste alors comme une boule, là, dans les entrailles : plus l’absence dure et plus le manquant pèse, étonnamment. Plus l’absent comptait, plus le manque ronge, comme une anxieuse question.

Et souvent, la pudeur va paradoxalement déclarer que tout va bien. Puis se faire absence, elle aussi. La pudeur d’un disciple, Simon-Pierre aurait pu nous en parler, lui que le Ressucité avait relevé au bord du Lac, d’un triple « M’aimes-tu ? » il y a quelques semaines à peine.

Pourtant, en ce jour, après l’Ascension de Jésus ressuscité, Pierre ne parle pas. Ni aucun autre d’ailleurs. La pudeur est timide, muette ; elle va se réfugier dans la Chambre haute. Elle a rendez-vous avec l’attente de Dieu.

Après l’absence de la mort et du tombeau, voici l’absence de l’Ascension et du Ciel. Oui, une absence pouvait en cacher une autre ! Que réserve donc l’avenir à ces disciples ? Jamais deux sans trois ? Orphelins, encore, à nouveau ?

Ainsi soupirait le Psaume : « J’ai demandé une chose au Seigneur, la seule que je cherche:

habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie.

Écoute, Seigneur, je t’appelle ! Pitié ! Réponds-moi !

Mon cœur m’a redit ta parole : Cherchez ma face. »

On ne s’habitue jamais à une vraie absence, on se fait une raison, voilà tout, comme une cicatrice déposée par le temps – pour que l’on reparte vers la vie.

Cependant le Seigneur a une leçon à nous livrer. D’absence en absence, il prépare sa Présence. Il est familier des paradoxes apparents.

En ces jours de la Chambre Haute, les disciples vont être disposés par Dieu à la Plénitude de son Mystère. Lentement, Dieu les oriente et les place dans son axe, dans sa proximité. Ils ne savent ce qui se passe, mais le Seigneur reste leur Maître. Il agit.

C’est là tout sauf une absence qui mord ; il s’agit d’une attente qui relève.

C’est comme un enfantement qui approche. Un enfantement spirituel très réel.

Portés par la prière du Seigneur, ils sont pris en elle. Bientôt, ils seront habités par elle.

« Père, l’heure est venue. Glorifie ton Fils, afin que le Fils te glorifie.

Ainsi, comme tu lui as donné autorité sur tout être vivant, il donnera la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. Or, la vie éternelle, c’est de te connaître, toi, le seul Dieu, le vrai Dieu, et de connaître celui que tu as envoyé, Jésus Christ. »

Sans doute, les diciples n’ont-ils pas tout compris de ces propos d’alors, et pourtant, cette absence creuse leur cœur ; elle le dispose. L’absence va leur en faire prendre conscience, et aider à prendre la mesure de sa signification.

Le Mystère de la Plénitude de Dieu va bientôt envahir leur être. La prière de Jésus ne les quitte pas, comme le regard de sa Mère qui est là, à côté d’eux, les Onze encore.

Il y a un temps pour tout. Comme le demandait Jésus en Croix, avant sa première absence, ils auront eu la sagesse de prendre chez eux Marie, comme leur Mère.

Vous l’aurez compris : parlant des disciples, l’Evangile parle aussi de nous ; de la Plénitude à laquelle le Seigneur nous dispose.

Le Seigneur va nous visiter. Autrement qu’il le fit quand Jésus vint un jour prenant chair dans les entrailles de Marie sa Mère, à Nazareth pour naître à Bethléem.

Il le fera cette fois-ci comme à la Pentecôte, quand il transforma le disciple en apôtre, quand il transfigura les timides en envoyés ; quand de muets, taciturnes et craintifs, saisis par le sentiment de l’absence du Maître, le Seigneur fit des « serviteurs de la Parole », des proclamateurs, des audacieux, envahis par la foi en sa Présence !

Nous sommes entre Ascension et Pentecôte. Nous pourrions dire : Jésus n’est plus là, l’Esprit pas encore ! Notre chair est déjà en Dieu grâce au Christ glorieux ; et Dieu va survenir en notre chair grâce à l’Esprit de Vie.

C’est l’entre-deux, une absence pédagogique ; ou encore l’attente nécessaire en réalité pour que Dieu nous incline à sa présence. L’enjeu est immense.

Et si l’on ne s’habitue jamais à l’absence du Maître et Seigneur, puissions-nous surtout ne jamais s’habituer à sa présence !

Notre vie en dépend, sa qualité, sa vérité, sa profondeur ! 

fr. Hugues-François ROVARINO, o.p.

Fr Hughes-François Rovarino

Fr Hughes-François Rovarino