Les uns accourent, les autres s’éloignent

par | 2 janvier 2011

Frère Pavel Syssoev

Les uns accourent, les autres s’éloignent
Épiphanie 2010, le 2 janvier                                                           Mt 2, 1-12
Telle une nouvelle étoile qui surgissant change les lignes de force, attirant les uns et repoussant les autres, cet enfant, en venant dans notre nuit, attire à lui les uns, tandis que les autres se dressent en amère opposition. Les uns accourent, les autres s’éloignent. Comme si dans le monde apparaissait un nouveau centre de gravité, plus rien n’est à sa place habituelle.
Commençons par les anges. Où est leur place ? Dans les cieux, à chanter la majesté divine. Tout au moins dans le Temple, là où jadis Isaïe contemplait les séraphins criant la sainteté du Seigneur. Enfin auprès d’un héros, d’un patriarche, d’un prophète, d’un être exceptionnel qui a des choses exceptionnelles à accomplir. Et voilà qu’ils sont en légions dans les champs vides d’une bourgade obscure pour annoncer à des bergers sans aucune importance leur mission : trouver un nouveau-né dans une crèche ! Et Dieu n’y va pas de main morte, il ne se contente pas d’un petit messager pour les petites gens : il lance une armée sans nombre qui enveloppe d’une immense clarté les bergers éblouis devant tant de magnificence ! Dans l’ordre habituel des choses les anges ne sont pas à leur place, mais le centre de gravité a visiblement changé. Le roi des anges est désormais sur la paille de l’étable. L’étiquette de la cours céleste en tire les conséquences.
Les bergers. Où est leur place ? Auprès de leurs troupeaux, dans l’anonymat d’une condition obscure, hors de la ville. Mais c’est à eux qu’il est donné d’adorer en premier le berger du monde, le Bon Pasteur. Les grands jouissent d’une abondante paix, ils comptent leurs sujets comme on compte les bêtes, et voilà qu’à l’insu de leur regard pénétrant c’est devant les humbles que le Souverain du monde apparait. Le vrai centre du monde n’est ni dans le palais impérial à Rome, ni dans les écoles de sagesse, ni dans les temples où l’homme adore les dieux fabriqués à son image et à son ressemblance (on dirait aujourd’hui, « selon son vécu »), mais là, où Dieu se fait homme pour restaurer dans l’homme déchu l’image divine imprimée au jour des origines.
Ce nouveau centre de gravité, cette étoile qui impose son attraction aux hommes et aux anges, ne serait-elle accessible qu’aux miséreux et aux simples d’esprit ? Loin de là !
Les mages sont riches, ils sont cultivés, leurs cadeaux sont royaux. Ces prêtres de la tradition perse qui scrutent les cieux en attendant la venue du libérateur, confusément prédit par leur religion. Ainsi soixante-dix ans plus tard, selon les chroniques romaines, un autre mage viendra adorer Néron en reconnaissant en lui le prince promis. Leur quête n’est donc pas infaillible, mais là ces prêtres païens, ces magiciens, ces idolâtres, précèdent les scribes et les docteurs de la Loi au berceau de l’Enfant-Dieu. On peut donc être riche, cultivé, puissant et s’incliner devant le Roi du Ciel, le Saint d’Israël et le Sauveur des nations !
Les uns accourent, les autres s’éloignent. Vous me direz : les scribes de Jérusalem, les chefs des prêtres, ceux qui répondent avec tant de justesse où le Messie doit être, tous ces gardiens de la Tradition ne s’éloignent pas, ils restent paisiblement à Jérusalem. Et on les comprend – ils ont d’autre choses à faire ! Mais ne pas se laisser attirer par cette étoile, c’est en éloigner. Aujourd’hui, les païens (nous tous, frères et sœurs, nous tous qui ne descendons pas d’Abraham selon la chair, mais uniquement selon la Promesse, selon la foi) les païens entrent dans l’ère messianique, et les dépositaires de la Promesse restent encore dans l’âge de l’attente. Aujourd’hui ils ne se soucient pas d’accueillir l’enfant, demain ils le rejetteront en exigeant sa mort. Nous donc, heureux dépositaires d’une grande tradition, hâtons-nous d’accueillir Dieu qui se présente à nous ! Il ne nous suffit pas de bien réciter sa leçon du passé, il s’agit d’adorer aujourd’hui le Christ venu pour changer radicalement, joyeusement, éternellement notre vie. La lumière de cette étoile brille sur tous les âges, elle nous attire tout comme les mages, laissons-nous guider par elle !

Et puis il y a Hérode. Un vieux roi assoiffé de son pouvoir, régnant sur le peuple qui n’est pas le sien. Plongé dans son jeu politique, incapable de voir dans la religion autre chose que l’instrument du pouvoir, il ne voit en cet enfant qu’un prétendant. Hérode sait qu’Israël est un peuple à part, il n’est gouverné que par Dieu Unique. Il sait qu’il n’a aucun droit sur son trône, que son pouvoir il le tient de Rome. Son refus d’adorer le roi de la promesse n’est pas une attente prudente des scribes, mais une véritable hypocrisie : il cherche la mort de cet enfant, il s’enfonce dans la mort – l’extermination de innocents devait lui garantir la paix, elle le plonge dans la mort éternelle. Le prince de ce monde se dresse contre le prince de la paix. L’ordre du monde est désormais changé. Le pouvoir, la sagesse, l’amour ou bien sont offerts à l’Enfant de la crèche, ou bien se transforment en idoles mortes et mortifères. Laissons-nous cette étoile nous guider. Accourrons vers ce centre nouveau du monde nouveau. Humblement, déposons devant l’Enfant-Dieu notre richesse, notre puissance, notre amour et trouvons là notre véritable joie – Dieu-avec-nous, et, près de lui, les anges, les bergers, la sainte famille, la béatitude de tous les saints. Qu’elle devienne un jour la nôtre !

fr. Pavel Syssoev, op

Frère Pavel Syssoev

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