04/09/2011 – L’Eglise, présence et miséricorde du Christ pour le monde ! – fr. Benoît-Joseph Colonval, op

par | 4 septembre 2011

L’Eglise, présence et miséricorde du Christ pour le monde !

Homélie / XXIII° dimanche du TO / Ez 33, 7-9, Rm 13, 8-10, Mt 18, 15-20

 

Ouille ! Dures, ces paroles de Jésus qui ressembleraient bien à un petit traité de la délation fraternelle ou à une leçon du Maître à ses disciples sur « comment apprendre à excommunier ».

Pourtant il n’en est rien et parmi tous les enseignements du Seigneur consignés dans les évangiles aucun, peut-être, n’est aussi important en ce qui concerne l’Eglise que les quatre que nous entendons aujourd’hui. Quatre paroles singulières de Jésus puisqu’elles s’adressent directement et explicitement à l’Eglise, comme telle. Cela est suffisamment rare pour être souligné. Souvent Jésus s’adresse à ses disciples et aux foules pour leur annoncer l’avènement du Royaume, pour leur révéler qu’elle est la nature et la texture de ce Royaume et leur donner le chemin pour y entrer, les moyens de mener une vie évangélique et de pénétrer ainsi dans la réalité du monde nouveau que Dieu créé en parachèvement éternel de sa Création. Ce Royaume qui est là, déjà présent au milieu des hommes à travers la personne de Jésus au milieu de ses disciples.  Ce Royaume dont la réalisation totale et la manifestation pleine sont à attendre dans un temps qui mettra fin au monde connu et à l’histoire temporelle pour engager l’humanité dans une terre inconnue et une histoire éternelle. Et de ce fait Jésus prépare aussi, assez souvent, ses apôtres à la mission qui sera la leur d’annoncer l’évangile après la résurrection et de lui rendre témoignage.

Mais ici il ne s’agit pas de cela mais bien de ces rares paroles des évangiles adressées à l’Eglise, à la communauté des disciples qui va être appelée à poursuivre son œuvre et à traverser l’histoire avant que ne survienne la plénitude du Règne de Dieu. Ces Paroles du Maître fleurent une situation où l’Eglise va devoir continuer à porter l’Evangile dans l’histoire du monde, après qu’il ne soit plus là, ou du moins plus là physiquement. Après lui, après l’œuvre accomplie du salut en sa Pâque, il évoque la situation nouvelle de sa communauté devenue « Eglise ».

Au-delà du fait, que ces paroles nous concernent au premier chef, puisqu’elles renvoient aux conditions d’existence de l’Eglise dans lesquelles nous vivons encore aujourd’hui et dans lesquelles nous sommes aujourd’hui rassemblés, il renvoie au mystère de l’Eglise elle-même. Je veux dire ici au mystère de son existence, de sa raison d’être. Pourquoi Dieu dans sa sagesse souveraine et conformément à son plan de salut, pourquoi le Christ Jésus, qui pourtant a fait tout le travail et a accompli, lui seul, l’œuvre du salut, pourquoi – dis-je – notre Dieu a-t-il voulu l’Eglise ? Non  pas l’Eglise des saints, de ceux qui sont entrés dans la lumière et la gloire, mais l’Eglise instrument et signe du salut au milieu des nations et au cours de l’histoire mouvementée et tumultueuse des hommes. Je veux bien sûr parler ici des hommes faillibles, pêcheurs, tout autant à sauver que vecteur du salut mais à qui pourtant Jésus remet la valise des codes du salut et de la perte du monde : « Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. » En d’autre terme il lui remet les pleins pouvoirs. Ce que Jésus avait déjà donné personnellement à Pierre (cf. Mt 16,18), comme fondement de l’Eglise, appartient à l’Eglise comme telle, à la communauté des croyants, en raison de sa fonction, de sa mission, de sa destinée dans l’accomplissement historique du dessein de Dieu. L’Eglise peut rendre des jugements qui lient jusqu’à Dieu même. Non pas en tant que ses décisions s’imposeraient à Dieu mais parce qu’elle est dotée de l’autorité même de Dieu. Mais attention ! Il s’agit là d’un pouvoir qui ne regarde que le salut, et le vocabulaire employé ici est tout à fait précis : « Elle peut attacher ou détacher », c’est-à-dire libérer ou, au contraire, laisser dans les liens du péché celui qui ne se convertit pas. Elle dispose de l’exercice de la miséricorde divine pour le monde ! C’est dire – tout de même – la confiance qu’il nous fait, et le risque que Dieu prend. Et si certains pourraient être tentés avec tant de nos contemporains de tirer à boulets rouges sur l’Eglise, toujours un peu facilement, en lui reprochant d’avoir exercé beaucoup trop le pouvoir et d’avoir succombé à la tentation de la toute-puissance, il faut tout de même bien voir que c’est le Christ lui-même qui a pris ce risque. Plus encore ! C’est le Christ qui l’a voulu afin que l’Eglise participât, avec l’autorité même de Dieu sur la terre, à l’accomplissement de son projet. Et c’est là selon moi, le mystère même de l’existence de l’Eglise comme associée jusqu’au bout à la réalisation de son propre salut.

C’est que Dieu ne veut pas sauver l’homme sans l’homme. Cela nous le savons, puisque c’est par l’Incarnation du Verbe de Dieu assumant une humanité comme la nôtre, à l’exception du péché, et par l’humanité du Christ qu’il nous sauve. Mais cette logique divine – d’associer l’homme au salut de l’homme – va jusqu’au bout, jusqu’à associer les pêcheurs aux salut des pêcheurs, de mettre à contribution l’Eglise et donc de nous mettre à contribution. L’Eglise ne vient pas après le Christ, elle continue le Christ, elle perpétue le Christ et est dans le monde le signe permanent de la présence du Seigneur. Et c’est pour cela qu’elle reçoit du Seigneur de telles prérogatives dans la participation à l’œuvre de Dieu. Là où elle se trouve, là, le Christ est présent, réellement, vraiment. « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux ». Là où il y a la foi, là, il y a l’Eglise et là où il y a l’Eglise il y a le Christ. L’humanité de l’Eglise c’est l’humanité du Christ, une humanité habité par la grâce et la présence du Seigneur. A la fin de ce même évangile Jésus le dit à ses apôtres « Je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la consommation du siècle » (Mt 28,20).

Mais vous l’avez remarqué, frères et sœurs, il faut être « deux ou trois », c’est-à-dire que d’un côté, ce n’est pas le nombre qui compte mais que, de l’autre, il faut être au moins plusieurs pour pouvoir représenter l’Eglise, être l’Eglise. C’est-à-dire non pas chacun pour soi mais rassemblés dans une communion les uns avec les autres et unis par un lien de vie et une solidarité qui nous relie, en sorte que je suis, moi-même, le vecteur du salut pour mon frère.

Et c’est dans cette optique que Jésus évoque le cas de ce frère qui vient à pécher, que ce soit « contre moi », comme semble le suggérer le texte, ou que simplement son péché soit visible et manifeste « pour moi ». Je me dois d’aller vers lui pour qu’il sorte de son péché. Non pas pour moi, pour me satisfaire moi. Mais pour lui, pour le bien et la vie du frère. Il ne s’agit pas là d’une invitation à la délation ou encore un apprentissage de l’exclusion et de la condamnation fraternelle. Non pas condamner mais, à l’inverse de Caïn, répondre à Dieu que « je suis- en effet – le gardien de mon frère » et que j’ai le devoir, au nom du Christ, d’exercer ma responsabilité envers lui. Comme l’Eglise est responsable de l’humanité et a reçu la charge de son salut, je suis responsable de mon frère et je m’occupe de son salut. C’est un appel à aller au secours de son frère pour qu’il se convertisse et sorte du péché (cf. première lecture d’Ezéchiel). Et que tous les moyens de corrections fraternelles sont à prendre pour qu’il revienne au Seigneur. Faire quelque chose c’est assister une personne en danger. Ne rien faire et laisser son frère s’enfoncer dans son péché, c’est une non-assistance à personne en danger. Agir, c’est cela faire vraiment miséricorde.

Aujourd’hui, que les chrétiens, que l’Eglise du Christ, ne se taisent pas, mais qu’ils puissent parler, en raison de la mission que Jésus lui a confié, ou plutôt en tant qu’elle est le signe de la présence agissante du Christ dans l’histoire. Pour ce faire, elle est dotée d’une puissance invincible d’amour et de grâce, qui lui permet de dénoncer le péché et le mal, et d’orienter vers la lumière de l’évangile et vers la vie du Royaume, non pour perdre mais pour les gagner chaque homme.

Benoît-Joseph Colonval, op

Frère dominicain