Tout ce qui nous tue nous rend plus forts – fr. Joël-Marie Boudaroua op

par | 5 avril 2010

Tout ce qui nous tue nous rend plus forts 

(Homélie du fr. Joël Boudaroua, le dimanche 4 avril 2010, Jour de Pâques)

Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau alors qu’il fait encore sombre…

(Jean 20, 1-9)

Frères et sœurs, l’hiver est passé, les pluies ont cessé, les fleurs se montrent, le roucoulement de la tourterelle se fait entendre sur notre terre, et le Bien-aimé appelle et attend sa bien-aimée : Lève-toi ma bien-aimée, ma belle viens, ma colombe cachée au creux des rochers ; montre-moi ton visage, fais-moi entendre ta voix, car ta voix est douce et charmant ton visage[1].

Mais ce matin, le visage de la bien-aimée, de l’Epouse en laquelle les mystiques ont vu une figure de l’Eglise, ce visage est encore sombre. La joie de l’Eglise, la joie pascale, ce matin est assombrie par les histoires, les affaires, les procès où on l’accuse de dissimulation et de mensonge, où on l’accuse d’accueillir en son sein, – et de protéger -, des criminels… Et certes, il faut que la lumière se fasse sur ce qu’on appelle pudiquement des « abus », et qui sont de véritables scandales, mais les scandales sont inévitables là où il y a de l’humain : il est fatal qu’il arrive des scandales, disait Jésus à ses disciples[2]. Mais il y a aussi le scandale dans le scandale : l’organisation systématique de la « panique morale », de sorte qu’on ne sache plus qui croire ! Et, en effet, comme disent les gens : « on ne sait plus qui croire » !

Et pourtant il faut croire ! Non pas parce qu’il y aurait chez l’homme un irrépressible besoin de se raccrocher à quelque chose, mais parce que ce que nous annonçons est vrai. Et comme le disait un homme politique devant le mauvais score de son parti aux élections : « Ce n’est pas parce qu’une vérité est minoritaire qu’elle cesse d’être une vérité ! ». Notre vérité à nous, la vérité du Christ, n’est pas seulement minoritaire, elle a été littéralement mise au tombeau, et comme Caïphe a été prophète cette année-là sans le savoir, les nouveaux grands prêtres qui nous condamnent aujourd’hui le sont-ils eux aussi sans le savoir ; s’ils savaient ce que veut dire : « la Vie a jailli du tombeau » ! Oui, la foi est partie d’un tombeau, c’est à partir d’un tombeau qu’elle s’est propagée, et cela est lourd de sens ! Certes, il ne faut pas exagérer l’importance du tombeau dans les récits de la Résurrection, elle est somme toute relative : Marie découvrant le tombeau vide n’en déduit pas que Jésus est ressuscité ; au contraire, elle pense à une violation de la tombe : on a enlevé le Seigneur de son tombeau et nous ne savons pas  où on l’a mis. Les femmes ne parleront de résurrection que parce que l’Ange leur a parlé en ces termes, elles ont appris la résurrection « par les anges », c’est-à-dire par révélation. Notre foi repose aussi sur le témoignage des Apôtres que Dieu avait choisi d’avance, qui ont vu le Christ ressuscité,  qui ont mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts (Actes 10, 41).

…Il n’empêche, ce tombeau ce n’est pas rien ; c’est sur ce site que tout s’éclaire pour Jean : il vit, et il cru quand il entra dans le tombeau ; c’est sur ce site qu’a lieu la première annonce et c’est sur ce site que l’on revient sans cesse en pèlerinage. « Sans doute, les premières messes eurent-elles lieu dans le tombeau ou au bord du tombeau et non pas au Cénacle comme on le croit habituellement. Le tombeau fut comme la première église où se réunirent les chrétiens pour ces célébrations au cours desquelles ils ré-annonçèrent, en souvenir de ce matin de Pâques que le Seigneur était ressuscité et vivant parmi eux »[3].

Car le Christ ne pouvait pas ne pas ressusciter : la mort ignominieuse de Jésus ne peut être ni un accident de parcours, ni le résultat d’une perte de sa situation antérieure, d’une dé-divinisation en quelque sorte : elle est l’acte d’une liberté souveraine qui s’abandonne à ses ennemis et à ses bourreaux pour qu’ils puissent devenir eux aussi enfants de Dieu. Ma vie, dit Jésus, personne ne me l’enlève, je la dépose de moi-même,  j’ai le pouvoir de la donner et le pouvoir de la reprendre [4] et Pierre dans son discours devant la foule de Jérusalem redira : Ce Jésus que vous avez pris et fait mourir en le clouant à la croix, Dieu l’a ressuscité, le délivrant des affres de l’Hadès,  car il n’était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir [5]. Toute l’Ecriture va en effet dans ce sens : Il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.

« A la fin de la nuit, il jaillit de la tombe, la croix au poing, comme un étendard, comme une lance, son geste est d’un athlète, sa taille est d’un géant, […] son linceul est une armure ; son visage a visité la mort mais le mouvement total de la forme efface tout sentiment de la douleur. […] Tout le pays, arbres, ciel et montagnes court derrière le Christ. Les jeux de l’ombre et de la lumière, donnent une âme et un chant à l’heure de l’aube, entre la nuit et le jour, qui est l’heure frissonnante entre toutes, l’heure irréelle et tragique de la Résurrection »[6] .

Comme le Christ ne pouvait pas ne pas ressusciter, parce qu’il est la vie, le feu, l’éternité, l’Eglise ne peut pas ne pas renaître, parce qu’elle a les paroles de la vie éternelle que le Christ lui a donné. Rien donc ne pourra empêcher la joie de la Résurrection de se répandre et d’atteindre le cœur des hommes de bonne volonté.

« Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort », écrivait F. Nietzsche dans Le Crépuscule des idoles. Il y a dans cette sentence une certaine philosophie de la vie, propre à nous faire rebondir, à faire de toute blessure qui ne nous tue pas la source même d’un renouveau, mais c’est une philosophie qui reste au bord de l’éternité et qui refuse, – comme c’est humain-, de mourir ! Or, il faut entrer dans le tombeau pour croire et pour vivre : c’est pourquoi Tertullien est allé plus loin que Nietzsche en affirmant : « Le sang des martyrs est une semence de chrétiens ». Cette phrase célèbre de son Apologétique n’est pas une exaltation de la souffrance pour la souffrance, elle signifie simplement que tout ce qui nous tue nous rend plus forts.

C’est là toute la philosophie paradoxale du Christ qui lui fait dire, en entrant dans sa Passion : J’ai vaincu le monde,… je dépose ma vie pour la reprendre ; tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père. C’est cet incroyable dépossession et reprise de lui-même qui, seule, justifie notre propre dépossession et reprise et qui fonde notre joie, une joie que rien, pas même la mort, ne peut nous enlever.

[1] Cantique des cantiques, 2, 11-14

[2] Matthieu  18, 7

[3] Adolphe Gesché, Le Christ, Cerf, 2001, p. 146.

[4]  Jean 10, 28

[5] Actes  2, 23-24

[6] André Suarès, Le voyage du Condottière, « Piero della Francesca à San Sepolcro ».

fr. Joël-Marie Boudaroua op

Frère dominicain