« Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort »

par | 5 juillet 2015

Fr Hughes-François Rovarino

« Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort »

Temps ordinaire B – 14ème dimanche  –  Fr. Hugues-François Rovarino, dominicain  –  Bordeaux

Je dois ce matin vous confier quelque chose : longtemps – comme vous peut-être -, j’ai été intrigué par des formulations bibliques au style parfois paradoxal ; un genre de communication que l’on retrouve aujourd’hui dans cette phrase de saint Paul : « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort ».

Paradoxe… Formulation inattendue ! On sait que l’apôtre a parfois pris ses comparaisons dans le monde sportif ou militaire ; on aurait mieux compris qu’il écrivît : « Lorsque je suis entrainé, c’est alors que je suis fort », ou au contraire : « Lorsque je suis faible, c’est alors que je serai perdant ». Mais non ! Point d’évidence : l’apôtre aime surprendre !

Il faut dire que l’exemple de l’inattendu vient de haut, puisque le Seigneur s’adresse ainsi à l’apôtre accablé qui n’a cessé de le supplier : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse ». Pourtant, face à la faiblesse, à la maladie de proches, à l’accablement des hommes ou à des persécutions effrayantes, chacun incite Dieu à intervenir. « Vers toi j’ai les yeux levés, vers toi qui es au ciel, comme les yeux de l’esclave vers la main de son maître. » [Psaume 122]

Et chacun espère justement comme l’apôtre que Dieu repoussera le mal ou aidera à guérir le faible : le Seigneur-Jésus n’a-t-il pas commencé à gagner sa réputation de Sauveur dans la charité efficace lors de nombreux miracles de guérison ?  Ne fut-il pas proclamé Seigneur pour avoir été Sauveur ? Alors pourquoi ici, et face à l’apôtre qu’il a choisi, Dieu à son tour resterait-il inerte, asthénique, comme écrit saint Paul pour lui-même ? N’est-il pas difficile de comprendre pourquoi Dieu laisse l’apôtre dans ses tourments – et « par trois fois » ?

Car, il y a une évidence : devant Dieu, l’homme est faible – quoiqu’il puisse en penser lui-même ! Faible toujours ; pécheur, jusqu’à sa dernière heure ! Dieu le sait bien y compris pour son Apôtre ! Et la puissance de Dieu peut donner sa mesure en tout temps : qui l’empêcherait ? Paul l’a aussi vécu sur le chemin de Damas.

Et que l’homme ait ou non été visité par de sublimes révélations comme saint Paul, choisi pour une mission exceptionnelle comme un patriarche Abraham, distingué comme un saint hors du commun comme une sainte Mariam de Bethléem, ou qu’il essaie de guider sa vie à la lumière d’une foi plus nue comme une Bienheureuse Teresa, ou plus simple comme beaucoup parmi nous, l’homme sera toujours le faible, l’infiniment petit… Il sera toujours celui qui, au mieux demandera avec lucidité et justesse au Seigneur de le délivrer de ses faiblesses, de ses péchés, de son orgueil, du malheur. Et le Seigneur saura utiliser cette faiblesse et faire des miracles !

Pourquoi n’en ferait-il pas autant avec saint Paul ? Pourquoi donc Dieu aurait-il besoin des faibles pour donner sa force ? Y aurait-il là quelque chose de remarquable pour Dieu : « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », formulerait Corneille… Drôle de principe pour Dieu ! 

Cependant, en posant aussi les principes de la vie chrétienne en termes de fort et de faible, en n’évoquant pas seulement la conversion, le bonheur, la joie ou la louange, par exemple, le Seigneur vient souligner l’état où il peut nous rejoindre.

Pourquoi ? Nous interrogions-nous. Mais ne serait-ce pas pour nous convertir, c’est-à-dire pour nous faire retomber en enfance, que le Seigneur nous amène à nous poser la question typique de l’enfant qui pose son regard sur le monde qui l’entoure ?

Reconnaissons-le, il y a de cela dans l’attention que Dieu a envers nous. Et derrière le paradoxe : « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » se dessine l’enfant de Dieu que le Seigneur vient saisir, remodeler, retourner. Sa grâce vient en nous pour cela. Loin de nous de supposer que Dieu va entretenir la détresse d’une âme, pour jouir de sa force divine, ou je ne sais quoi d’autre d’insensé.

Cette faiblesse ne sera pas la faiblesse dont on parle couramment qui voit des drames et des victimes, en désigne les auteurs et alourdit notre cœur. Car cette faiblesse-là, dans son sens habituel, ne fortifie pas ; elle  voit agir les violents, déplore les victimes et pleure. Avec bon sens, elle a recours à la force et à la justice !

Mais Dieu va en revanche exprimer par la faiblesse dont parle saint Paul, la nécessité d’une filiation par la grâce. Dieu a créé en nous une vulnérabilité spirituelle qui permet à tout homme – serait-il le plus grand des apôtres – de consentir personnellement à la venue de Dieu, et d’avoir conscience de devoir s’appuyer sur lui, guidé aussi par le don de la crainte, le respect de Dieu.

C’est l’enfance spirituelle qui nous est proposée comme une préférence au milieu de notre vie chrétienne, au sein de nos impressions de piétinements lassants, de difficultés à accorder à Dieu une place vitale en nous ou de prières apparemment vaines.

Cette enfance est en ce sens une faiblesse rajeunissante, réjouissante. La dépendance vécue envers le Seigneur permet d’établir une communion vivante avec lui : nous grandissons dans le besoin de sa force. Jusqu’à attendre enfin de lui qu’il touche notre cœur et nous transfigure, lui seul ! Et ce n’est pas facile ; cela peut demander des années…

 

Grandir par la faiblesse ! Il faut sans tarder en demander le programme à saint Paul, et le vivre comme un enfant qui aura eu la sagesse de mettre en Dieu sa foi, de faire de son Seigneur son Consolateur et son Sauveur. Pour que nous confessions avec certitude : « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » [2°Corinthiens 12]

fr. Hugues-François Rovarino, o.p.

Fr Hughes-François Rovarino

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