Vengeance d’une guérison

par | 6 septembre 2015

Vengeance d’une guérison
XXIIIème dimanche du temps ordinaire
Is 35, 4-7 ; Mc 7, 31-37
C’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu… Alors s’ouvriront… les oreilles des sourds.
On lui amène un sourd-muet…
La surdité. La surdité diverse et variée, avec ses formes innombrables. Celle de la jeunesse : il y a trop de vie en moi pour que j’entende encore qui que ce soit. La surdité des petits vieux : tellement repliés sur soi, et son passé, et sa faiblesse, qu’il est difficile d’entendre l’autre. La surdité des repus : on se suffit, on édicte la loi, c’est nous qui devons être écoutés, comment voulez-vous qu’on se mette à l’écoute ? La surdité des petits : on lutte pour survivre, on subit le monde qui vit à nos dépens, notre quotidien dévore toute notre attention, comment entendre ? La surdité personnelle, la surdité sociale, celle d’autrefois, celle que nous portons en nous – qui nous en libérera ?
Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu… Alors s’ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds. Pourquoi cette guérison est-elle associée à une vengeance et au jugement ? Parce que une fois mes oreilles s’ouvrent, je ne peux plus vivre comme si rien n’était. Si j’entends le cri des malheureux, et le sang des innocents qui crie vengeance vers Dieu, comment tenir après un petit discours lénifiant ? Quand vous voyez ces images d’un camion rempli des fugitifs étouffés, comment croire que nous avons apporté la paix et la prospérité avec une démocratie armée ? Ou comment faire comme si rien n’était et comme cela ne nous touchait pas ? Qui ne se sent jugé, interloqué par une telle tragédie ; et ne pas l’être – c’est se condamner à l’insensibilité de plus en plus grande.
Comment notre Europe a-t-elle pu arriver là ? Aujourd’hui, en 2015, il y a des gens en Grèce qui travaillent pour la nourriture. En Hongrie, nous marquons des numéros sur les bras des réfugiés. Aujourd’hui, en Europe, pour répondre à la catastrophe humanitaire provoquée en grande partie par la politique européenne en Libye, en Irak, en Afghanistan, en Syrie, nous construisons des camps qui concentreront les personnes déplacées. L’Europe, 2015.
La tragédie du monde dont nous sommes responsables doit briser notre surdité. Devant cette cacophonie d’horreurs, nous ne sommes pas pour autant aptes à trouver un ton juste et une attitude juste pour ramener l’ordre là où notre aveuglement a semé l’enfer. Il nous faut une voix extérieure qui parvienne à notre conscience, il nous faut comme un diapason qui permettrait de retrouver un regard pur, une volonté droite. Sinon, nous oscillerons éternellement entre la condamnation des autres : « c’est leur faute si » ; et la désespoir « mais qu’est-ce que je peux faire pour que ». La démagogie irresponsable des indignés professionnels.
C’est pour cela que la vengeance de Dieu perce la surdité de nos oreilles. Ses doigts ouvrent ce que notre orgueil a bouché, et la salive de sa bouche délie notre langue qui a été figée par les mensonges d’usages. Non, nous ne sommes pas condamnés à être complices des crimes. Non, l’insouciance des grands ne tuera pas la vie de notre cœur. Il vit par la compassion. Pourtant, la compassion n’est pas une émotion médiatique. Elle appelle un discernement, une responsabilité, une volonté tenace à trouver un véritable bien de l’autre, un effort renouvelé. C’est dans la parole de Dieu que nous trouverons de quoi alimenter cet effort. Si nous l’accueillons avec foi et confiance, elle ne permettra pas que nos oreilles se bouchent de nouveau, que le bruit du prince de ce monde nous égare.
Il n’est pas confortable de s’exposer à ce jugement de Dieu, d’entendre ce qu’il a à nous dire, de se voir dans ce regard. Cette parole est dure, et qui peut l’entendre ? Mais vers qui irions nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ! Le regard de Dieu est exigeant et aimant, son jugement nous met à nu et nous libère. Lui seul peut nous donner cette joie qui ne passera pas et cette liberté que nul ne pourra nous ravir : la joie d’aimer, la liberté de prendre soin du faible. Lui seul peut nous donner notre inaliénable dignité, celle des fils de Dieu et d’héritiers du Royaume.

fr. Pavel Syssoev, op

Fr. Pavel Syssoev