Et, laissant tout, ils le suivirent

par | 7 février 2010

Frère Pavel Syssoev

Temps Ordinaire, 5ème dimanche de l’année C, Lc 5, 1-11

Et, laissant tout, ils le suivirent.

Ils laissent tout. Ni peu, ni beaucoup, mais tout. Pierre laisse sa femme, son père, son métier, sa maison et sa barque – tout – pour suivre Jésus. Pourquoi ? Pourquoi ne pas se contenter de donner un peu ? De donner même beaucoup, voire énormément, mais pourquoi donner tout ? Pourquoi Pierre saisit-il que moins que tout, ce serait rien ?

Regardez : pour être l’apôtre de Jésus, Pierre quitte sa femme. Comment comprendre cette exigence ? En quoi l’apôtre marié serait-il moins apôtre qu’un célibataire ? Jésus méprise-t-il le mariage ? N’est-ce pas Dieu qui en est l’auteur ? Pourquoi alors la vocation d’un apôtre va-t-elle de pair avec la vocation au célibat ? Tout quitter.

Non, Jésus ne méprise pas le mariage. Non, un homme marié n’est pas moins croyant ou moins saint qu’un célibataire. Souvent, c’est le contraire qui est vrai. Il ne s’agit pas de sainteté personnelle, il s’agit d’un métier, d’un métier bien particulier, celui du pêcheur d’homme, celui de l’apôtre. Dans ce métier de l’apôtre – et comme vous vous souvenez, apôtre signifie envoyé – il y a un modèle, un standard, passez-moi l’expression. C’est Jésus lui-même. Le premier des apôtres, comme le premier des prêtres, ce n’est ni Pierre, ni André, mais Jésus : il est l’envoyé du Père, l’apôtre et le grand prêtre de notre profession de foi, comme le dit l’Épître aux Hébreux (He 3, 1). Cet apôtre par excellence, modèle et principe de tout apostolat et de tout sacerdoce n’a pas connu de mariage. Jésus n’était pas marié. Je ne parle pas ici de Jésus des phantasmes commerciaux, je parle du Jésus des Écritures, du Jésus de la foi, du Jésus de la Croix. C’est lui qui m’intéresse, mon Sauveur et mon Dieu, non pas un phantasme passager d’une époque lascive. Jésus n’a pas été marié, il n’a pas connu de noces.

Ou plutôt, si. L’Écriture parlera des noces de Jésus, la Tradition parlera de l’Épouse du Christ. Cette Épouse, c’est l’Église. C’est elle qu’il sert. C’est pour elle qu’il travaille. C’est pour sa bien-aimée qu’il donne sa vie. Jésus scelle ses noces sur la Croix. Voilà le sens de son célibat. Aucune autre épouse, sinon l’Église. Aucun autre amour, sinon le salut des âmes. Pas d’autre maison, pas d’autre famille, pas d’autre métier, sinon le salut. Le mien. Le vôtre.

Du coup, nous comprenons le sens de l’abandon de tout par Pierre, Jacques,  Jean. Ils seront pêcheurs d’hommes. Ils serviront l’Église, comme le Christ, dans la personne même du Christ, Tête et Époux de l’Église. Elle sera leur amour, leur maison, leur barque, c’est en elle qu’ils exerceront leur paternité, c’est pour elle qu’ils donneront tout. Comme Jésus.

Pierre quitte sa femme – il prendra sa part aux noces de la Croix, car c’est de ces noces-là qu’il s’agit pour notre salut ! Pierre quitte sa maison et sa barque – il s’occupera de la maison de Dieu, de la barque de l’Église. Pierre quitte son métier ; notre salut devient sa profession. Pas d’autre épouse que l’Église, pas d’autre richesse que l’Église, pas d’autre œuvre que servir l’Église dans l’obéissance à son Maître. Quel métier étrange, le pêcheur d’homme ! Car l’homme ne demande que d’être retiré de la mer sombre et tumultueuse où il est plongé, mais à quelques conditions.

L’homme exige un témoin crédible. L’homme exige un signe plénier pour croire. L’homme exige que lui soit montré que Dieu peut remplir une vie, que Dieu peut rendre heureux, que la volonté divine est aimable. La pauvreté, la chasteté, l’obéissance de Jésus le clament, le montrent, le prouvent. Et l’homme, tout plongé qu’il soit dans l’obscurité du monde, ne s’y trompe pas.

Des prêtres à moitié, personne n’en veut ! Ni de pères qui seraient tels 35 heures par semaine. On est père à vie, toujours, ou l’on n’est jamais père. On est époux et maître de maison 24 heures par jour ou on ne l’est pas du tout. Qui voudrait échanger sa mère contre une baby-sitter ? Qui voudrait trouver un fonctionnaire à la place de son père ? Qui veut des prêtres ayant une autre vie que celle de nos âmes ? Prêtres ouvriers ou abbés de salon – peu importe. Dès que quoi que ce soit passe avant Dieu et le salut des âmes, le prêtre n’est plus crédible, l’apôtre n’est plus fécond.

Dieu peut-il – oui ou non – remplir ma vie ? Pierre, André, Jacques et Jean, tant d’autres après eux, à la suite de Jésus, avec Jésus, grâce à Jésus disent par leurs chasteté, pauvreté, obéissance, que notre Dieu est un Dieu d’abondance. Il peut remplir les barques jusqu’à ce qu’elles s’enfoncent, il peut remplir une vie jusqu’à ce qu’elle devienne éternelle. Et laissant tout, ils le suivirent. La totalité de leur acte d’abandon les transforme en pêcheurs d’hommes. Jusqu’à ce que la barque de l’Église soit trop étroite pour accueillir tous les sauvés, tant leur acte d’abandon est fécond.

fr. Pavel Syssoev, op

Frère Pavel Syssoev

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