Le sel, la lumière et la soupe

par | 7 février 2011

Frère Guy Touton

Le sel, la lumière et la soupe
Homélie du frère Guy Touton o.p., 5ème  dim. du T.O. ordinaire, Année A, Matthieu 5, 13-16,
    Le sel, la lumière : deux ingrédients fondamentaux de la vie quotidienne que nous connaissons bien. Prenez le sel : atroce dans la bouche, à vous faire cracher au sol, mais si nécessaire pour donner du goût aux choses. C’est sa vocation : relever le plat, pour émoustiller les papilles, qui, sans lui, s’ennuieraient beaucoup au fond du palais. Nous sommes donc, dit Jésus, ceux qui donnent du goût à ce monde, que l’on peut trouver bien des fois absurde et insipide. Encore faut-il, précise Jésus, ne pas perdre la qualité de salaison du sel, cette chose intrinsèque qui le constitue, qui opère au moment où elle disparaît dans la marmite. Car le sel est bien plus fort que ces herbes de Provence que l’on ajoute, dont le parfum gagne les aliments. On ne le voit plus faire la planche comme le laurier ou le thym à la surface d’une sauce ! Il n’a pas de branche, il disparaît complètement pour se fondre dans le mets et mettre en valeur les ingrédients qui le composent. Le sel requinque tous les aliments, qui, sans lui, les régimes sans sel le savent, retombent comme un soufflet ! Il n’a qu’un égal, le levain, que d’ailleurs Jésus a pris aussi pour image. Eh bien, frères et sœurs, posez-vous la question : êtes-vous de cette sorte de sel qui sale encore quelque chose, ou faites-vous partie des groupies du monde, de ces dits chrétiens qui n’ont de chrétiens que le nom. A l’intérieur du nom de chrétien il y a Christ, comme à l’intérieur du mets qui fume il y a le sel qui fait remonter toutes ses qualités. Notre puissance de salaison, c’est le Christ. Hors de sa connaissance, hors de lui, hors de son Evangile, nous-mêmes retombons comme un soufflet, une pâte molle. Vous le savez bien : on peut se perdre, se dénaturer en voulant ressembler au monde, aux idées qui sont dans l’air du temps… Mais se garder en soi, frotté au Christ, aux évangiles, dans ce combat au corps-à-corps qu’est toute conversion véritable, voilà la seule façon de ne pas finir en lavasse, en pauvre soupe inoffensive, en benêts de nos temps médiocres et dangereux.
    Prenez maintenant la lumière. Elle ne fait pas de bruit, pourtant le vent, les courants d’air ne peuvent pas la pousser comme les nuages, ces ballots. Elle irradie. Encore faut-il que cette lumière ne soit pas mise sous l’étouffoir, par respect des autres, par tolérance, par mégarde, par trouille profonde, que sais-je ? Elle doit servir de point de repère dans la nuit du monde, pas moins. Elle doit briller, dit Jésus, devant les hommes, comme les martyrs devant les tribunaux, et autant que le sel, lui, sait se faire oublier pour être efficace. Comment doit-elle briller ? Jésus précise : en faisant le bien. C’est imparable. Et on ne se perd pas en discussions oiseuses, les jambes croisées. Le bien que tu fais renverra tôt ou tard au bien que l’autre, ton frère, ne fait pas. Il commencera alors, peut-être, par devenir un peu plus modeste, contesté moins par ce que tu dis que par ce que tu fais d’indéniable.
    Notre époque s’enfonce dans l’Indifférencié, dans ce relativisme agressif qui voudrait imposer la loi du tout se vaut puisque rien n’a de sens. Ne vous laissez pas faire ! Soyez les fins observateurs de l’inanité de tout, dès que l’amour que prêche Jésus est ignoré, ou jeté au loin. La boulimie du fric, la frénésie du sexe, la pure folie, à la vérité, de vivre pour son compte uniquement, cet étourdissement général, sur fond d’égoïsme de masse, cachent mal l’inanité profonde qui mine tout cela, et l’extermine. Alors, frères et sœurs, laissez-vous illuminer par l’enseignement de Jésus, par la présence de Jésus en ses sacrements, et tout particulièrement en son eucharistie, pour que votre lumière vienne de lui et non de votre petite personne. Soyez certains que si vous laissez le Christ à la manœuvre de notre vie, s’il est votre sel et votre lumière, votre lecture du monde, il vous enracinera en lui, et votre témoignage sera d’autant plus moqué qu’il intriguera, en commençant par agacer.

Ne vous cachez pas du Christ, vous vous dénatureriez. Laissez-le agir en vous : il a le goût de la victoire. Christ a vaincu la mort, toutes les formes de mort, qui prennent des allures de vie, et ne sont que des esclavages à la chaîne, ou des suffisances proclamées. Sans lui, tout est flapi, vite épuisé, rendu à sa rengaine, on connaît, on connaît ! Avec lui, même besogneusement, puisque nous sommes d’argile, une grande lumière crue arrive dans notre vie, porteuse de cet amour unique qui a fait pleurer des saints de joie et de reconnaissance. Il est le sel qui corrode les faussetés, la lumière engageante, cet Amour englouti en sa pâque, disparu à vue, dont le monde a besoin plus que tout.Le

fr. Guy Touton, op

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