Pour le Jubilé du 8ème Centenaire, ‘Mon Dieu, ma miséricorde, que vont devenir les pécheurs !’
« Mon Dieu, ma miséricorde, que vont devenir les pécheurs ! » – Jubilé 8ème Centenaire
fr. Hugues-François Rovarino, dominicain
Inattendu ! Peut-on dire que cet Evangile de s. Matthieu [10,5-16], lu en ce jour de l’ouverture du Jubilé de l’Ordre des prêcheurs est inattendu ? Certes c’est l’Evangile, et comment ne devrions-nous pas l’écouter avec l’attention que requiert le Seigneur – tout particulièrement chez ses disciples ! « Ne prenez pas le chemin des païens et n’entrez pas dans une ville de Samaritains ; allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël ». Et suivent des prescriptions qui envoient les disciples vers leurs coreligionnaires. Il n’y a guère de doute.
Inattendu, mais entendu ! Cet appel à la mission est dirigé vers un peuple particulier, pour une mission circonscrite ! Où est-il le « va et prêche » que diront Pierre et Paul en apparaissant à Saint Dominique. Oui, la mission dans cet Evangile entendu semble circonscrite, comme si l’on devait penser que le feu de l’Evangélisation était sous contrôle, qu’il n’allait pas se propager : n’aurions-nous pas là presque l’anti-songe de la Bienheureuse Jeanne d’Aza, qui rêva que son fils Domingo de Guzman tel le chien portant la torche enflammée dans sa gueule allait enflammer toute la terre par sa parole de Feu !
Etonnant contraste ! Mais Jésus parle à ses disciples, Pâques n’a pas encore eu lieu, la Pentecôte n’est pas survenue ! Il y a un temps pour toute chose, n’est-ce pas ?
Et il en va de même pour chaque disciple du Christ, en tout temps, en tout lieu. Désormais, ces mots encadrent notre Evangile : Ces douze, Jésus [les appela et] les envoya en mission … Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ; montrez-vous donc prudents … et candides. »
Si cette mission va se déployer au commencement en terrain connu, un terrain qu’il faut toujours labourer et retourner vers le Ciel, cette mission peu à peu va sortir des cadres familiers : pour une brebis, les loups sont à redouter.
La prudence se fait exigeante, sauf à mourir. Et en réalité, l’Esprit de Pentecôte en sera l’agent extérieur insistant ; celui qui parle au cœur. Dans le cas de Dominique cela naîtra dans une maison de Toulouse, son hôte se révélant ensuite être familier des cathares.
La mission le poussera, au point qu’il lui vouera désormais sa vie. Cet Evangile inattendu révèle ici sa grâce. Dominique lui avait donné son cœur et son esprit. Il y avait enraciné sa prière nocturne : « Mon Dieu, ma miséricorde, que vont devenir les pécheurs ! » Cette intercession va aussi mettre le feu. Il aura fallu du temps, peut-être plus de quinze ans entre les premières nuits du jeune religieux chanoine à Osma, en Castille, et le fondateur toulousain et les premières heures de son Ordre dont nous faisons mémoire aujourd’hui.
Cependant la prière de Dominique, ayant embrasé son être va se propager. Elle aura illuminé, et illumine toujours ses frères, ses sœurs, et tous ceux qui s’éclairent à la flamme de sa mission :
Pour que du sein de l’Eglise, se lève ce feu de la charité fraternelle, il faudra certes un charisme particulier que certains ont reçu ou reçoivent en ces heures. Mais entendons tous cet appel juste, fort, simple : « L’évangélisation est le service le plus élevé que le chrétien puisse rendre à son frère » (s. Jean-Paul II).
Voilà la mission, ce qui l’inspire et ce qui la nourrit : « L’évangélisation est le service le plus élevé que le chrétien puisse rendre à son frère » (s. Jean-Paul II).
Pour cela, comment ne pas offrir sa vie ; chacun à sa façon, selon ce que l’Esprit et l’Eglise lui diront. Mais c’est maintenant l’heure pour le faire, l’instant pour le vivre, un jubilé pour y penser, pour porter ce désir dans sa prière. Dire oui à Jésus, comme un abandon et comme une délivrance ; comme un bonheur et comme une victoire.
Voilà l’héritage stimulant que nous livrent le Seigneur, Marie, sa Mère Notre-Dame des Prêcheurs, Notre-Dame du Rosaire, et combien de belles et saintes figures de l’Ordre ; un héritage que nous vivons évidemment en Famille, alors que nous savons que nos sœurs moniales nous ont précédés sur cette voie ! Un héritage qui nous stimule dans la mission pour que les cœurs s’ouvrent ; et pour que le monde aie la Vie, cette vie de la grâce et de la gloire !
« Va et prêche ! » Vers tous ! Païens aussi, pécheurs compris, désormais vers tous ; car pour tous, créés à l’image de Dieu, le Sauveur a livré son sang.
Si nous avons pu parfois heureusement crier avec saint Dominique : Mon Dieu, ma miséricorde, que vont devenir les pécheurs ! Aujourd’hui, nous pouvons chacun, nous interroger au fond de notre cœur : Seigneur que veux tu que je fasse ! Radicalement, avec la liberté des enfants de Dieu, de ceux qui ont la lucidité spirituelle de pouvoir reconnaître qu’ils peuvent devenir une humanité de surcroît en laquelle le Seigneur renouvellera tout son mystère.
Aujourd’hui, écoutons cette voix de la charité qui nous presse : « Va et prêche » !
fr. Hugues-François Rovarino op