L’Ascension nous oblige

par | 9 mai 2013

Frère Thierry-Dominique Humbrecht

L’Ascension nous oblige

Homélie du fr. Thierry-Dominique Humbrecht o.p., jeudi 9 mai, année C

Sur Actes 1, 1-11, Héb. 9, 24-28 ; 10, 19-28, &Luc 24, 46-53

À peine arrivé, le voilà déjà parti. Annoncé pendant des siècles, il n’aura vécu parmi nous que trois ans, à peine le temps de nous faire à sa présence. Le Christ n’a touché terre que pour remonter au ciel. Et moi, voici que j’ai raté mon carême, que le Temps pascal est passé comme une lettre à la poste, et que je me retrouve au terme de ces fêtes liturgiques grosjean comme devant. Jésus va trop vite, je n’arrive pas à suivre.

Comment faire pour transformer ces rendez-vous manqués en moments réussis ? Comment se pénétrer du mystère de l’Ascension, dès aujourd’hui mais aussi pour demain ? En d’autres termes, quel est le principe de continuité du plan de Dieu sur nous ? Qu’est-ce qui relie les actions passées de Jésus, la mémoire que nous en faisons aujourd’hui, et l’inscription de tout cela dans l’avenir ? Comment trouver le fil rouge, le saisir, ne plus le lâcher, s’y accrocher à jamais ? Les lectures de ce jour nous en instruisent.

Quant au passé, l’Épître aux Hébreux rappelle que tout est fondé sur le sacrifice du Christ. Sacrifice unique, définitif, salvateur, le sort du monde lui est lié. Le sacrifice du Christ marque un avant et un après dans l’histoire sainte, dans l’histoire tout court. « C’est une fois pour toutes, au temps de l’accomplissement, qu’il s’est manifesté pour détruire le péché par son sacrifice ». C’est pour cela qu’il est venu. Il l’a fait. La croix et la résurrection sont la cause du salut de tous.

Unique est le médiateur, il est le grand-prêtre d’une religion accomplie, nouvelle et définitive. Les autres religions ne sont pas autant de voies de salut, comme si elles se valaient, comme si elles disaient la même chose, et annonçaient le même salut. D’ailleurs, la plupart d’entre elles n’entendent même pas sauver. La figure du sauveur est une idée biblique. Voyez : au cinéma, il n’est de héros sauveur que dans les films occidentaux, ils sont autant de produits dérivés du christianisme.

Quant au présent, c’est le même sacrifice du Christ qui s’accomplit pour nous, en continuité. Nous bénéficions du salut, c’est la grâce du Christ qui nous sauve, dans et par l’Église. Le salut est baptismal. Le fil rouge qui relie le Christ reparti et le Christ présent, c’est la grâce salvifique qu’il confère à l’Église.

L’Église est son épouse ; elle est la réalité du salut, réalité concrète pour nous, sans laquelle nous ne sommes pas sauvés ; elle est la communauté des croyants. Non, le Christ ne nous laisse pas orphelins. Il nous envoie l’Esprit Saint, l’Esprit qui est cet amour mutuel du Père et du Fils. Or l’Esprit sanctifie l’Église et, par elle, tout chrétien de bonne volonté.

Personne ne peut être chrétien tout seul, nous le sommes ensemble, constitués en l’Église, avec tous les moyens du salut que l’Église nous dispense, à volonté. Un chrétien qui voudrait s’isoler et en prendre à son aise se tromperait sur son salut et commettrait une injustice vis-à-vis des autres. Il nuirait à la communauté.

Nul ne réforme l’Église en se plaçant hors d’elle. C’est pourquoi, par exemple, les propos médiatiques sur ce que le nouveau pape doit faire pour réformer l’Église sont aussi comiques que mal pensés : une seule réforme est nécessaire, celle des personnes elles-mêmes, ce qui s’appelle la conversion, à commencer par celle du commentateur qui entend régenter les autres. Pour le reste, parce que les choses humaines sont toujours à améliorer, tout se résout avec les dévoués qui endossent le travail, et non avec ceux qui se dérobent au moment d’y concourir ; mais pas dans des débats d’idées de comptoir ou de fin de repas dominical, le coude levé… Cela dit, le pape a raison de nous souhaiter « bon dimanche et bon déjeuner !

Quant au futur, les lectures rappellent que le Sauveur reviendra de la même manière, non plus pour le péché mais pour le salut. Il reviendra mais en gloire, pour le Jugement dernier. Il ne reviendra pas pour recommencer une vie terrestre, ni la même ni une autre, elle n’est plus nécessaire à notre salut. C’est notre vie au contraire qui sera aspirée dans la sienne, selon un état non terrestre mais céleste, non plus lié aux modalités de la matière et du péché, mais à celles de nos corps glorieux et de la grâce. C’est à cette vie définitive que les sacrements nous préparent. Ils purifient, nourrissent, pardonnent et, surtout, préparent notre ciel de gloire. Une communion, c’est le paradis commencé. La charité demeurera.

Ce n’est pas tout. De ces merveilles, nous avons à devenir témoins. Or le témoignage suppose un ordre d’entrée en scène des éléments en présence : le départ du Christ, la prière fervente des disciples à Jérusalem, puis l’effusion de l’Esprit et enfin leur envoi aux nations. Témoigner, ce n’est pas raconter sa vie, parler de soi, chez soi, entre soi. Témoigner, c’est annoncer le Christ ressuscité, à condition d’avoir reçu l’Esprit et prié.

C’est assez dire que le disciple devient apôtre dès lors qu’il place la prière en premier. La prière n’est pas seulement intéressée, à courte vue, sèche ou bien trop sentimentale, elle est une prière au souffle long, qui s’appuie sur le temps, qui sait que notre vie dure, et que le péché aussi a la vie dure ! La prière transforme le priant au moins autant qu’elle répond à ses caprices. La prière sauve le monde du péché, plus qu’elle ne résout les problèmes qui dépendent de nous. La prière augmente la communion des saints, ciment de l’Église.

À la vérité, rien de tout cela n’est confortable. Le Christ compte sur nous pour accomplir son œuvre. L’Ascension nous oblige, nous voilà aspirés.

fr. Thierry-Dominique Humbrecht o.p.

Frère Thierry-Dominique Humbrecht

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